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Comment les dirigeants peuvent encourager la créativité au travail, selon une chercheuse de Yale

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La créativité au travail. Getty Images

Dans certains secteurs comme la R&D, le design d’expérience ou les appels d’offres, le recours à la créativité semble une évidence. Mais pour Zorana Ivcevic Pringle, chercheuse à Yale, l’enjeu est plus large : la créativité a aussi toute sa place dans des domaines moins visibles du quotidien professionnel, comme l’organisation d’une équipe ou l’optimisation des processus internes — autant de leviers capables de booster la performance tout en améliorant la qualité de vie au travail.

« L’idée, c’est de valoriser la créativité là où on ne l’attend pas forcément », explique l’autrice de The Creativity Choice: The Science of Making Decisions To Turn Ideas into Action. Selon elle, qu’il s’agisse d’un directeur artistique en agence ou d’un responsable de la restauration collective, chacun peut faire preuve d’une grande créativité — à condition d’évoluer dans un environnement qui la favorise.

« Être créatif, c’est faire quelque chose de nouveau et d’original, mais cela doit aussi être efficace », insiste-t-elle. Il ne s’agit pas seulement d’avoir une idée de génie, mais bien de générer des résultats concrets — que ce soit en lançant un nouveau produit ou en trouvant une meilleure façon de livrer les repas à des patients à l’hôpital.

Nous avons échangé sur les façons dont les dirigeants peuvent créer les conditions propices à la créativité. Voici cinq pistes pour aider les équipes à transformer leurs idées en actions concrètes.


  1. Commencer par bien cerner le problème avant de chercher des solutions

Trop de dirigeants ont le réflexe de balayer les difficultés d’un revers de main : « Ne me parlez pas de problèmes, apportez-moi des solutions. » Une posture contre-productive, selon Zorana Ivcevic Pringle. Les recherches montrent que les équipes les plus performantes passent plus de la moitié de leur temps – 53 % – à explorer et définir précisément le problème avant d’agir.

« Si vous sautez cette étape, vous risquez de résoudre le mauvais problème », alerte la chercheuse. Elle encourage les managers à valoriser les questions pertinentes, à accueillir la diversité des points de vue et à accepter l’ambiguïté comme une étape fertile. Car selon elle, « la créativité ne commence pas avec une idée, mais avec une vraie compréhension de ce qu’il faut résoudre ».

  1. Transformer les systèmes plutôt que d’ajuster les attentes

La créativité ne se limite ni au marketing ni à la conception produit. Elle peut aussi s’exprimer dans les coulisses, là où on ne l’attend pas. Zorana Ivcevic Pringle cite l’exemple d’un responsable de la restauration hospitalière confronté à l’épuisement de ses équipes. Plutôt que de miser sur un programme de bien-être classique, il a remonté à la source : des gestes répétitifs et usants. Il a donc repensé l’organisation du travail pour limiter les efforts physiques.

Résultat : moins de stress, moins d’erreurs, et une meilleure satisfaction des employés comme des patients. « C’était une forme de créativité physique », souligne la chercheuse. « Il a su identifier le vrai problème, faire preuve de leadership et réinventer le système. » Un exemple qui rappelle que même dans des métiers peu associés à la création, il est essentiel d’encourager les équipes à imaginer d’autres façons de faire.

  1. La contagion émotionnelle : un levier sous-estimé de la créativité

Les émotions circulent dans les équipes comme un courant invisible — et leur impact est bien réel. Une étude menée par Zorana Ivcevic Pringle auprès de plus de 14 000 travailleurs américains montre que les managers dotés d’intelligence émotionnelle favorisent un climat propice à la créativité. Reconnaître et gérer les émotions — ce qu’elle appelle la « gestion émotionnelle » — permet de réduire la frustration, d’augmenter la motivation et de stimuler l’innovation.

À l’inverse, ignorer ce qui se joue sur le plan émotionnel crée ce qu’elle nomme des « fuites émotionnelles » : tensions latentes, malentendus, ambiance plombée. « La contagion émotionnelle est bien réelle », affirme Mme Pringle. « L’humeur d’un leader déteint sur toute l’équipe. Elle influence l’énergie collective, l’ambiance et la capacité à innover.»

  1. Faire durer la créativité, au-delà de l’étincelle

La bonne idée ne suffit pas : encore faut-il créer les conditions pour qu’elle s’épanouisse. Pour Zorana Ivcevic Pringle, les dirigeants ont un rôle clé à jouer pour entretenir la créativité dans la durée. Cela passe par du temps, des ressources, mais aussi — et surtout — par de la reconnaissance.

« Il existe un mythe selon lequel rémunérer les gens nuirait à leur créativité », explique Mme Pringle. « Cela peut être vrai dans certaines études menées en laboratoire sur le court terme, mais dans la vraie vie, les gens ont besoin de savoir que leurs efforts comptent. » La reconnaissance peut prendre de multiples formes : un mot public, une plus grande autonomie, ou la possibilité de porter un projet de bout en bout. Pas besoin de gros bonus : ce sont souvent les signes de considération qui nourrissent le plus l’élan créatif.

  1. Repenser le professionnalisme pour y inclure les émotions

Dans de nombreuses entreprises, exprimer ses émotions ou partager une idée encore fragile reste mal vu. En cause : une conception du « professionnalisme » qui valorise le contrôle, la distance, voire la froideur. Un modèle dépassé, selon Zorana Ivcevic Pringle.

« Il n’est pas possible de faire abstraction totale de ses émotions en arrivant au bureau », affirme-t-elle. « Faire semblant, c’est les refouler — et elles finissent toujours par ressortir, souvent de façon contre-productive. » À l’inverse, les dirigeants qui assument leurs émotions avec authenticité, et qui encouragent leurs équipes à en faire autant, créent un climat de confiance. Et dans un climat de confiance, chacun se sent plus libre, donc plus enclin à prendre des risques, à innover, à créer.

 

La créativité est à la portée de tous

La créativité n’est pas l’apanage des artistes, des designers ou des métiers dits « créatifs ». Elle peut émerger partout — à condition que le terrain soit fertile. Et ce terrain, ce sont les dirigeants qui le préparent, rappelle la chercheuse : en aidant les équipes à mieux cerner les problèmes, en prêtant attention aux émotions, et en valorisant non seulement les idées, mais aussi le chemin pour y parvenir. « La créativité ne se nourrit pas seulement d’inspiration », conclut-elle. « Elle a besoin d’un vrai soutien. »

 

Une contribution de Janine MacLachlan pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


À lire également : Soutenir la créativité avec sens : la stratégie engagée de la Fondation Paul Smith

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