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Christophe Aulnette (ex-président de Microsoft France) : « Les seniors seraient trop chers, pas assez agiles, ou dépassés par la tech… ce sont des clichés »

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Christophe Aulnette, senior advisor à 7.2, business angel, et ancien PDG de Microsoft France

Ancien président de Microsoft France, Christophe Aulnette signe Le jour où j’ai quitté Bill Gates (éditions Novice), un ouvrage personnel où à travers le récit de sa reconversion professionnelle, il y explore un tabou tenace du monde du travail qu’est l’employabilité des cadres de plus de 45 ans.

Il connaît cette problématique intimement pour l’avoir traversée et souhaite la placer au cœur du débat public. Alors que les carrières linéaires s’effacent au profit de trajectoires discontinues où la vie personnelle prend de plus en plus son importance, Christophe Aulnette, ancien président de Microsoft France, plaide pour une prise de conscience collective des entreprises sur les difficultés rencontrées par les seniors, mais aussi sur les opportunités qu’ils représentent pour les entreprises. 

 

Forbes France : Vous avez dirigé Microsoft France et exercé plusieurs postes internationaux, qu’avez-vous retenu de vos années chez Microsoft ?


Christophe Aulnette : J’ai passé près de vingt ans chez Microsoft, dont plusieurs postes en France, en Asie et à la tête de la filiale française. J’y ai développé une passion pour la technologie et sa capacité de transformation du monde, mais surtout une profonde conviction sur l’importance des valeurs d’entreprise. Microsoft m’a inculqué une culture de l’excellence, de l’amélioration continue et de la remise en question. C’est une entreprise qui valorise l’humilité, la discipline et la capacité à se réinventer. Ce sont ces ressorts culturels qui permettent à une entreprise de survivre aux disruptions et de durer. Quand j’y étais à la fin des années 1980, on sentait qu’on participait à une transformation de la société, un peu comme les collaborateurs d’OpenAI aujourd’hui. On avait l’impression de redéfinir le monde.

Quels ont été les éléments déclencheurs de votre départ de chez Microsoft France ?

C. A. : Je suis parti pour des raisons de sens et d’impact. Je voulais mesurer plus directement l’effet de mon travail. Dans une multinationale, on devient parfois un excellent officier sur un paquebot très bien huilé, mais on perd le contact avec les commandes. L’envie d’être capitaine d’un navire plus petit, mais où l’on décide vraiment, s’est imposée. J’avais aussi conscience que si je ne partais pas à ce moment-là, je resterais peut-être 30 ans dans la même entreprise, ce que je redoutais. J’ai fait ce saut dans l’inconnu pour garder ma liberté. Et j’avais envie de retrouver une forme d’autonomie, mise à mal par la centralisation croissante des grands groupes paradoxale dans un contexte de globalisation. Par exemple, à mes débuts, on pouvait encore customiser un logo en local. Vingt ans plus tard, tout était verrouillé par le siège.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en quittant Microsoft ?

C. A. : J’ai été projeté dans un monde où mes repères ont changés tout à coup. Passer de PDG de Microsoft France à une nouvelle organisation, Altran, en pleine tempête judiciaire, a été un choc. Je me suis rendu compte que je n’avais pas toutes les compétences financières requises par exemple, ni nécessairement les codes d’une gouvernance à la française. Ça a été une leçon d’humilité lorsque je me suis retrouvé face à la nécessité de me réinventer. Mais surtout, j’ai réalisé que les grands groupes peuvent nous enfermer dans une matrice ultra-spécialisée. Dans une PME ou une start-up, on doit être polyvalent, agile, plus instinctif. Ce changement de posture est profond, et pas toujours anticipé par ceux qui quittent les grandes entreprises. Je me suis retrouvé seul à la tête d’une entreprise de 16 000 personnes, avec des attentes fortes, sans toujours avoir les clés pour les satisfaire. J’ai appris dans la douleur que prendre une décision sans filet, c’est un métier à part entière.

Quels enseignements tirez-vous de cette transition ?

C. A. : Il faut se préparer. Quand on est cadre dirigeant, on peut croire que le monde nous attend, mais ce n’est pas le cas. Il faut cultiver son réseau quand on n’en a pas besoin, s’ouvrir à l’extérieur, faire des choses en dehors de l’entreprise. Il faut aussi éviter de se confondre avec le logo qu’on représente : ce n’est pas parce qu’on est directeur chez un grand groupe qu’on incarne sa puissance. Le jour où le logo disparaît, il faut rester debout. Aussi, tout au long de sa carrière, j’ai compris qu’il fallait penser à son employabilité. C’est-à-dire se demander quel(s) type(s) de compétences nous sommes en train de bâtir et comment elles vont être transférables si un jour nous sommes amenés à changer de travail. Et surtout, si je peux transmettre quelque chose de mon expérience, c’est qu’il faut prendre le temps de définir ce que l’on veut faire vraiment, dans la mesure du temps que l’on peut s’offrir en fonction de ses propres moyens financiers bien évidemment. Moi, j’ai brûlé les étapes. J’ai sur-sollicité mon réseau sans message clair. Ce n’était pas productif. J’ai eu beaucoup de questionnements quand je suis parti et j’ai fait beaucoup d’erreurs. J’ai pris une coach, j’ai travaillé sur mon « ikigai » (ndlr : recherche de soi, de ses passions et de ses aspirations). Et puis j’ai aussi mené une campagne municipale victorieuse à Neuilly, ce qui a permis de me redonner confiance.

Justement, quels conseils donneriez-vous à ceux qui vivent une transition professionnelle ?

C. A. : Un : rester ouvert. Deux : prendre le temps. Comme je l’ai expliqué précédemment, d’abord cultiver son réseau, je pense qu’un réseau, ça se construit d’abord quand on n’en a pas besoin. Il faut aussi réfléchir à son employabilité, soit saisir les opportunités de formation au sein de son entreprise ou en-dehors et ne pas s’enfermer dans une case avec des compétences ultra-spécialisées. Faire preuve d’humilité, et savoir distinguer sa personne de la fonction qu’on incarne, car cette dernière est rarement définitive. Et puis, réfléchir au sens que l’on veut donner à sa nouvelle orientation professionnelle. Quand on sort, on a tendance à s’agiter, à mobiliser son réseau sans stratégie. Il faut d’abord réfléchir à ce que l’on veut vraiment. Utiliser l’outil de l’« ikigai » est très utile – ce qu’on aime, ce pour quoi on est doué, ce pour quoi on peut être payé, et ce qui a un impact positif. C’est au croisement de ces quatre cercles que se trouve notre chemin. Et puis, il faut savoir que les échecs nourrissent aussi la reconstruction. J’ai été forcé d’accepter que je ne pouvais pas tout contrôler. On doit sortir de la posture du bon élève, accepter d’explorer, de se tromper, de se reconnecter au réel.

Quelles sont les principales difficultés structurelles que rencontrent les cadres de 45-65 ans aujourd’hui ?

C. A. : D’abord, la pyramide hiérarchique se resserre. Passé un certain âge, on accède rarement au comité de direction. Aussi, les employés de 45-65 ans ont tendance aujourd’hui à coûter plus cher au niveau des charges sociales et du salaire, et le problème est que les formations ne suivent pas pour accompagner ces dépenses. Ensuite, les stéréotypes persistent. Les seniors seraient trop chers, pas assez agiles, ou dépassés par la tech…  ce sont des clichés. La vérité, c’est que beaucoup ont des compétences rares, une motivation intacte, et une connaissance de la culture d’entreprise ce qui est très important. Mais le système RH est encore trop binaire, c’est-à-dire que soit on est dedans, soit on est dehors. Il faut inventer des modèles hybrides, pour inclure les cadres de 45-65 ans tel que la retraite progressive, les activités fractionnées, le cumul emploi-retraite… J’ajouterais que les formations sont concentrées sur les jeunes ou les « hypo-potentiels », jamais sur les talents seniors. C’est une faute de vision à l’heure où on parle d’économie de la connaissance et de pression sociale sur le système des retraites.

Pourquoi considérez-vous que c’est un enjeu de société majeur ?

C. A. : D’abord parce que la réinvention professionnelle pour les personnes de 45-65 ans n’est pas du tout accompagnée ou encadrée, et, c’est un véritable problème de société car cela peut mener à de véritables problèmes de santé ou drames personnels tels que des dépressions. Mais aussi parce que c’est une bombe à retardement. En 2030, 40 % des actifs auront plus de 45 ans. Si on n’anticipe pas, on aura une masse de compétences inexploitable, et des drames personnels en cascade. Les entreprises doivent intégrer cette donnée dans leur responsabilité sociale. On parle beaucoup de formation des jeunes, mais très peu de formation pour les seniors. On devrait avoir des programmes « hypo-seniors » comme on a des hypo-potentiels. Il faut aussi revoir le logiciel RH et ne plus chercher à retenir à tout prix, mais accompagner le projet de chacun. Il faut comprendre aujourd’hui que l’équilibre vie pro-vie perso est de plus important et il faut que les politiques RH suivent ce mouvement en expliquant à leur employés que c’est ce que le passage de leur entreprise va permettre. La promesse d’une carrière linéaire, c’est un mythe. Les DRH doivent s’adapter à cette nouvelle réalité.

Aujourd’hui, vous dites avoir trouvé votre équilibre. Qu’est-ce qui vous anime ?

C. A. : J’accompagne des entrepreneurs, j’investis dans des startups, je travaille avec un fonds d’investissement. Je suis en seconde ligne, mais engagé pour aider les personnes à porter leur projet. Ce que j’aime aujourd’hui, c’est la variété des projets, la transmission, le fait d’avoir un impact sans pression opérationnelle directe. L’ « ikigai » change avec le temps. J’ai trouvé le mien. Et je pense que chacun devrait pouvoir faire ce chemin de transformation, avec le bon accompagnement. Je reste actif également comme business angel, notamment dans des start-ups tech en IA et cybersécurité. Mon rôle aujourd’hui, c’est de soutenir les dirigeants, de les challenger, mais sans prendre leur place. C’est un équilibre que je n’aurais jamais pu trouver sans cette période de doutes au sein de ma reconversion. Et j’ai justement écrit ce livre avec la volonté de mettre en lumière l’employabilité des seniors comme un problème de société majeur que les entreprises ne doivent plus ignorer et afin d’ouvrir le débat. Mais aussi pour transmettre les enseignements que j’ai pu tirer de mon expérience après mon départ de chez Microsoft France pour me reconvertir.

 


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