Longtemps pilier silencieux de la performance, le manager est aujourd’hui sommé d’endosser un nouveau rôle : celui de soutien émotionnel permanent. À la rigueur opérationnelle attendue depuis toujours s’ajoutent désormais des responsabilités informelles, mais essentielles : écouter, apaiser, maintenir la cohésion d’équipes sous tension. À mesure que le travail se fragilise sous la pression des crises économiques, sociales et écologiques, le manager devient l’éponge émotionnelle de l’entreprise.
Une contribution de Julia Néel Biz, cofondatrice de teale
Et pourtant, alors qu’on exige d’eux une empathie sans faille, leur propre santé mentale demeure un impensé. Et trop souvent, un angle mort des stratégies d’entreprise. On forme, on évalue, on transforme, mais on oublie d’interroger ce que coûte humainement cette attente permanente de solidité émotionnelle.
La question n’est plus de savoir s’il faut accompagner la santé mentale des managers. La vraie question est : combien de temps les entreprises peuvent-elles encore s’en passer ?
Managers, les nouveaux “pompiers du stress” en entreprise
L’entreprise moderne a peu à peu externalisé sur ses managers une partie invisible de sa charge émotionnelle. Ils absorbent les tensions internes, soutiennent les collaborateurs fragiles, maintiennent la motivation collective, tout en pilotant l’atteinte des résultats. Cette double attente — émotionnelle et opérationnelle — devient un piège. Un manager sur deux déclare aujourd’hui ressentir une surcharge mentale [1], et un tiers estime ne pas être préparé à gérer la détresse de ses collaborateurs. Ce ne sont plus des signaux faibles. Ce sont des alarmes.
Pris entre deux injonctions contradictoires, les managers doivent être stratèges et psychologues, leaders et confidents, pilotes et amortisseurs. Sans formation spécifique, sans soutien institutionnalisé, sans reconnaissance formelle de cette charge supplémentaire. Leur rôle est devenu celui de “pompiers du stress”, premiers sur les lieux de la détresse, derniers à bénéficier d’une assistance.
Un parallèle avec la sécurité aérienne s’impose : on apprend aux passagers à mettre leur masque à oxygène avant d’aider les autres. Pourtant, dans les organisations, on continue d’exiger des managers qu’ils soutiennent leurs équipes sans jamais leur laisser le temps de respirer eux-mêmes.
Les rares dispositifs de soutien existants aggravent parfois le malaise : on leur enseigne à écouter activement sans leur donner les moyens de se protéger, on leur parle de bienveillance sans leur offrir de cadre pour préserver leur propre équilibre. L’hyper-engagement est glorifié, jusqu’à l’épuisement. À ce rythme, le risque est double : perdre ses managers par burn-out, et voir s’effondrer avec eux tout un pan de l’organisation.
[1] Apec 2022
Comment protéger la santé mentale des managers ?
Soutenir les managers ne doit plus relever du supplément d’âme, mais devenir une priorité stratégique. Il faut leur redonner un espace d’expression, leur offrir des outils d’accompagnement, alléger les responsabilités qui les noient.
Première urgence : créer des lieux sûrs pour parler, échanger, se ressourcer. Cercles de pairs, coachings spécialisés, accès facilité à des psychologues via des plateformes de prévention en santé mentale doivent faire partie intégrante du quotidien des managers. Plus qu’une faveur, un devoir d’entreprise. Surtout dans un contexte où 34 % [2] des collaborateurs envisagent de quitter leur entreprise pour protéger leur santé mentale.
Deuxième chantier : clarifier et rééquilibrer leurs missions. Un manager n’est pas un service après-vente émotionnel. Il est urgent de recentrer son rôle sur la stratégie, l’accompagnement professionnel, et de partager la responsabilité du bien-être avec les RH et des référents formés. Lutter contre le mythe du “couteau suisse” émotionnel, c’est préserver leur énergie et leur pertinence.
Enfin, la santé mentale des managers doit être intégrée aux indicateurs clés de pilotage de l’entreprise. Quand on sait que le coût des troubles psychologiques atteint 3 800 euros [3] par an et par salarié, on comprend qu’il ne s’agit plus d’un enjeu cosmétique. Mais d’un pilier de performance durable. Des rituels de prévention réguliers, des temps de respiration émotionnelle, une culture du management soutenable : tout cela doit désormais devenir la norme.
Car soutenir les managers, c’est protéger toute l’entreprise. C’est assurer sa résilience dans un monde instable. Former les managers à écouter n’a de sens que si l’on écoute enfin leurs propres besoins. Leur demander de porter sans relâche les autres sans sécuriser leur équilibre est un non-sens organisationnel.
[2] Baromètre de la santé mentale des salariés en 2025 – teale
[3] Baromètre de la santé mentale des salariés en 2025 – teale
À l’heure où les défis collectifs n’ont jamais été aussi exigeants, il est urgent de redonner aux managers ce qu’ils donnent si souvent aux autres : du soutien, du cadre et de la reconnaissance.
À lire également : Management : pourquoi la France fait moins bien que ses voisins européens ?

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits