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Approche narrative du changement : Une autre manière d’accompagner le changement

Phénomène de saturation du changement (trop de changements), difficulté d’ancrage (de nombreux projets restent à l’état de discours), l’importance du portage (portage des projets par des leaders), la complexité des jeux de pouvoir, la volonté d’autonomie et la recherche de sens sont autant d’éléments qui nous amènent à revisiter les pratiques de conduite du changement en entreprise et à mettre en avant une approche narrative du changement.

 

Cette réflexion a été menée avec les entreprises partenaires des chaires ESSEC du Changement et de l’Innovation Managériale et a permis de poser les constats suivants :

  • Les démarches d’accompagnement en mode instrumental, avec la production de livrables de communication et de formation, permettent une prise de conscience de l’importance du changement et donnent des éléments d’objectivation mais permettent difficilement d’embarquer les parties prenantes. De plus, les livrables produits peuvent surcoder le réel et s’inscrire dans une dérive bureaucratique.
  • Les démarches de gestion du changement en mode collaboratif, avec des ateliers, permettent une participation plus importante des personnes concernées. Cette participation est très couteuse et la qualité du dispositif dépend de l’animation des ateliers et du fait de tenir compte des retours et propositions.
  • Les démarches managériales qui consistent à former les managers à être des relais du changement participent à la professionnalisation du management. Mais les managers sont aussi des bénéficiaires du changement et développent des comportements de résistance comme les autres.

Ces constats nous interrogent sur les pratiques d’accompagnement du changement et leurs évolutions. Les travaux de Weick [1] sur la création de sens et ceux de Kolb [2] et Piaget [3] sur l’apprentissage ont été mobilisés pour proposer ce que nous nommons une approche narrative du changement.

 

Un nouveau paradigme de la gestion du changement : le changement narratif

Quand changeons-nous réellement ? Par changement nous entendons de passer d’un état A à un état B substantiellement différent. Nous changeons quand nous vivons une expérience forte qui nous amène à remettre en question nos croyances et pratiques et à expérimenter de nouveaux scripts d’action. L’expérience nous plonge dans le bain de l’action et de l’obligation de faire. L’obligation de résultat, la bonne utilisation des ressources et la gestion de la dynamique de l’action sont autant d’éléments qui permettent d’expérimenter de nouvelles manières de faire et d’être. En lien avec les travaux de Piaget et de Kolb, on parle de bac à sable compris comme un environnement de tests et d’actions sécurisé qui permet l’erreur et rassure ainsi les participants. Les travaux de Kolb sur l’apprentissage préconisent de faire le récit de son expérimentation pour que le changement vécu soit ancré de manière durable.

La notion de récit devient un facteur de changement par l’apprentissage qu’il déclenche à la suite d’une expérimentation. Le fait de devoir expliquer ce que l’on a fait permet une analyse a postériori et une prise de recul propice à la remise en question. La communication, par sa formalisation et son expression sociale, propose une lecture de la réalité sous la forme d’histoires (story telling) ancrées et donc crédibles. L’approche du changement narrative consiste à faire vivre des expériences aux parties prenantes et à faire en sorte qu’elles produisent des récits de leurs expériences pour elles-mêmes mais aussi à destination d’autrui. Nous proposons trois formes de récits.

Récit Historique : C’est un général un récit collectif sur l’histoire de l’organisation dans sa globalité ou sur certains projets ou réalisations. C’est l’occasion pour l’entreprise de formaliser sa propre histoire et ainsi de l’adresser à ceux qui ne l’ont pas vécue avec un souci de transmission mais aussi de marquages symboliques constitutifs de la culture interne.

Récit Prospectif : Il s’agit de proposer à un collectif un projet dans le temps. Cela peut prendre la forme d’une stratégie, d’un projet d’entreprise ou encore de la mission d’une organisation à termes au travers d’une raison d’être et/ou d’impacts sociétaux positifs. C’est un discours sur le futur d’une organisation en tenant compte du présent et du passé. C’est souvent le fait des dirigeants et des leaders qui incarnent la collectivité.

Récit Expérientiel : C’est le récit d’expériences ayant un intérêt pour le collectif. C’est le fait d’une personne ou d’un petit collectif. Il s’agit de construire un discours sur une expérience vécue. On parle de retour d’expérience. Des personnes ou des petits groupes vivent des expériences de vie et /ou dans le cadre professionnel et prennent un temps pour partager cette même expérience au profit d’un collectif.

 

Vers une conduite du changement cinématographique

Les formats du récit peuvent être écrits, oraux ou en mode vidéo. La vidéo et les réseaux sociaux ont tout changé. Le coût de production de la captation vidéo a diminué avec la démocratisation de certains outils et technologies. Les réseaux sociaux permettent une diffusion à grande échelle sans avoir à passer par des médias institutionnels. Les écrits (articles, livres) donnent beaucoup d’informations et d’analyses mais leur coût de réalisation est assez élevé. Le format livre peut être mobilisé pour un récit historique. Le format oral qui se matérialise par des conférences ne peut se suffire à lui-même au risque de ne pas avoir de trace et de ne pouvoir réutiliser les contenus proposés. Le format vidéo est aujourd’hui le plus utilisé et mobilisé pour les différentes formes de récit. Les récits expérientiels peuvent être réalisés en mode pitch avec des formats courts (3 à 7 minutes). Les récits historiques prennent la forme de films d’entreprise scénarisés sur des temps plus longs (40 à 50 minutes) avec de nombreux témoignages et illustrations. Les récits prospectifs deviennent des discours enregistrés (20 à 40 minutes) dont le fond et la forme constituent des éléments d’engagement.

La gestion du changement prend alors la forme d’un ensemble de communications qui sont autant d’occasions pour les parties prenantes de d’exprimer et de s’informer. Les communications ainsi réalisées constituent des supports qui peuvent être diffusés en externe renforçant la visibilité et la légitimité interne.Il convient de programmer les différents récits en lien avec des expérimentations qui incarnent les objectifs de changement sur le terrain. La gestion du changement organise toutes ces captations, les produit avec l’objectif du changement et les diffuse avec une finalité d’impact maximum.

La gestion du changement pense les objectifs de changement de manière globale au travers de récits historiques (ce que nous sommes et avons fait) et prospectifs (ce que nous voulons faire) et de manière locale avec des récits expérientiels qui retracent les actions opérationnelles et leur impact dans une logique d’émulation sociale et collective. Il s’agit de créer une envie et une dynamique porteuse de sens avec un point d’attention. Le récit est toujours une forme de rationalisation a postériori et ce dernier doit représenter la réalité et ne pas en donner une autre version.

[1] Weick K. E., Sensemaking in Organizations, Sage, 1995.

[2] Kolb D.A., Experiential learning, Experience as the source of learning and development, Englewood Cliffs (NJ), Prentice Hall, 1984.

[3] Piaget J., L’épistémologie génétique, PUF, 1970.

<<< A lire également : Le changement est une certitude, comment gérer l’incertitude ? >>>

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