Dans sa célèbre fable sur le leadership, Les cinq tentations du manager, Patrick Lencioni révèle que ce sont souvent les pièges comportementaux, plus que les erreurs tactiques, qui sapent en silence la performance des organisations. Pourtant, une autre série de défis, trop souvent négligée, met en péril un enjeu tout aussi essentiel : le bien-être du dirigeant.
La santé physique et mentale du PDG constitue la base indispensable à la réflexion stratégique, à la présence de ses équipes, à des décisions éclairées et à une résilience durable. Lorsque le bien-être du dirigeant est fragilisé, son leadership s’en ressent également.
Voici cinq tentations fréquentes auxquelles sont confrontés les hauts dirigeants, et qui peuvent insidieusement compromettre même les profils les plus performants.
1. Prioriser la performance au détriment de l’authenticité
Beaucoup de PDG vivent sous un accord tacite : ils doivent toujours paraître calmes, performants et en pleine forme. Dans le monde des affaires, l’apparence rassure. L’équipe, les investisseurs, le conseil d’administration et les médias attendent du leader des certitudes, même quand elles vacillent en interne. Cette pression conduit fréquemment à l’adoption d’une posture soigneusement contrôlée.
Avec le temps, ce rôle devient un masque difficile à enlever, même en privé. La fatigue est confondue avec du courage, l’épuisement émotionnel avec de la discipline, et le besoin de récupération est souvent ignoré. Mais ce fonctionnement n’est pas tenable. Plus l’écart grandit entre ce que le dirigeant ressent et ce qu’il montre, plus il se déconnecte de lui-même et de son entourage.
Quand les leaders privilégient leur image plutôt que leur bien-être, l’énergie, la présence et la performance s’en ressentent. Ici, l’authenticité ne signifie pas s’exposer publiquement, mais faire preuve d’honnêteté avec soi-même. C’est écouter ses propres signaux d’alerte et agir avant que la machine ne tombe en panne.
2. Dépasser ses limites pour plaire
Être réactif fait partie intégrante du rôle des dirigeants, qui doivent résoudre des problèmes, prendre des décisions et porter une vision. Mais dire oui à tout devient rapidement une forme insidieuse d’auto-sabotage. Cette tentation se traduit souvent par une hyper-disponibilité : un agenda saturé qui laisse peu de place à la réflexion stratégique, tandis que le bien-être personnel passe au second plan. Dans cette quête de productivité et de réussite, les leaders sacrifient peu à peu la profondeur au profit de la rapidité.
Sans limites claires, même les plus disciplinés basculent dans un mode purement réactif. Leurs journées finissent par se calquer sur celles des autres, et les tâches à faible valeur absorbent une énergie précieuse qui pourrait être consacrée à des décisions à fort impact. Ce qui ressemble à du dévouement n’est souvent qu’une forme déguisée d’épuisement.
Au plus haut niveau, le leadership exige du temps protégé : du temps pour se reposer, réfléchir, bouger et se retrouver seul. Fixer des limites n’est pas un moyen d’exclure les autres, mais une nécessité pour préserver sa capacité à être performant de manière constante.
3. Préférer la certitude au progrès
Les grands dirigeants font rarement défaut en discipline, mais ils peuvent être prisonniers de la tendance à trop réfléchir. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de santé personnelle ou de changements de mode de vie, où beaucoup hésitent à agir tant que le plan ne paraît pas parfaitement clair, fluide et optimisé. Cette suranalyse et cette hésitation se manifestent souvent de façon subtile.
Par exemple, un PDG désire perdre du poids ou retrouver de l’énergie. Plutôt que d’adopter rapidement de petites habitudes à fort impact, il passe des semaines à comparer régimes, débattre de méthodes ou chercher « le système parfait » — au point que le progrès stagne, victime d’une illusion de productivité.
Cette quête de certitude cache souvent une résistance profonde au changement ou une peur de l’échec. Et si ce report paraît anodin, il s’accumule et pèse lourd. La santé ne suit pas un rythme trimestriel comme les affaires : elle décline lentement, puis brutalement. La même capacité décisionnelle qui alimente la croissance économique doit être appliquée au bien-être du leader. Ce n’est pas la perfection, mais l’élan qui déclenche la transformation. La clarté naît souvent de l’action, et non l’inverse.
4. Choisir le confort au détriment de la croissance
Quand les indicateurs externes sont favorables (croissance du chiffre d’affaires, stabilité des équipes, réputation solide), il est tentant pour les dirigeants de se contenter de maintenir le cap. Pourtant, en matière de bien-être, le confort peut être trompeur, tout comme en affaires. Il ne s’agit pas de paresse, mais d’inertie.
Ce qui nourrissait autrefois la croissance (réflexion personnelle, sens des responsabilités, capacité à sortir de sa zone de confort) laisse progressivement place à la routine. Les déclins subtils passent alors inaperçus : ce qui paraît être un fonctionnement à 90 % peut en réalité être réduit à 60 %. Ce phénomène est particulièrement dangereux, car la santé personnelle ne déclenche pas d’alertes immédiates comme le font les indicateurs financiers.
La fatigue devient la norme, la perte de clarté est perçue comme « normale », et le niveau de performance baisse sans que personne ne s’en aperçoive. Les meilleurs leaders adoptent en interne le même état d’esprit de croissance qu’ils appliquent à l’extérieur. Ils cultivent une vigilance constante, non par peur, mais par conscience. Ils évoluent parce que leur mission l’exige.
5. L’indépendance au risque de la déconnexion
L’autonomie est une qualité précieuse, à condition qu’elle ne mène pas à l’isolement. Nombre de PDG et dirigeants sont fiers d’assumer seuls leurs responsabilités. Ils gèrent le stress en silence, minimisent leurs difficultés personnelles et hésitent à solliciter un véritable soutien. Pourtant, ce qui commence comme une force peut progressivement devenir un handicap.
À la différence de la première tentation, qui porte sur l’image extérieure, celle-ci concerne l’isolement intérieur.
Le coût à long terme est lourd : diminution de la capacité émotionnelle, fatigue décisionnelle, augmentation de la réactivité, dégradation de la santé mentale, et tensions dans les relations professionnelles comme personnelles. Le succès ne se construit pas en solo, et les grands leaders ne travaillent pas en silo. Ils bâtissent des équipes cohésives et instaurent des systèmes qui préservent leur bien-être.
Pourquoi le bien-être des PDG est une priorité stratégique
Les menaces pesant sur le bien-être des PDG ne sont pas toujours visibles ou spectaculaires. Elles sont souvent silencieuses, rationalisées et faciles à négliger. Pourtant, les dirigeants qui prennent soin de leur bien-être physique et mental ne se contentent pas d’optimiser leur santé : ils assurent aussi leur efficacité durable.
Dans un contexte où la rapidité et les enjeux sont cruciaux, le bien-être des PDG devient une exigence incontournable. Face à une concurrence accrue et une marge d’erreur réduite, l’avantage revient à ceux qui mènent leur organisation en restant alignés avec eux-mêmes, et non épuisés.
Une contribution de Julian Hayes II pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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