Rechercher

5 changements que les RH doivent opérer pour façonner l’avenir du travail

RH
5 changements que les RH doivent opérer pour façonner l’avenir du travail. Source : Getty Images

Les fondations du travail moderne se fragilisent. À l’échelle mondiale, seuls 21 % des employés se disent véritablement engagés. Les viviers de leadership s’amenuisent, les plans de succession stagnent et des postes clés restent inoccupés au moment même où ils sont cruciaux. L’essor de l’IA accélère encore cette fragilité en réduisant la durée de vie des compétences, qui passe désormais de plusieurs années à seulement quelques mois.

 

Ces fissures, qu’elles touchent l’exécution, la culture ou les avantages sociaux, convergent vers un constat unique : les ressources humaines doivent dépasser le cadre des politiques et des processus pour incarner une vision, fournir des preuves tangibles et exercer une influence stratégique. Faute de quoi, elles risquent d’être écartées de la définition même de l’avenir du travail.

J’ai échangé avec Lynda Gratton, professeure de gestion à la London Business School et l’une des plus grandes expertes mondiales de l’avenir du travail, pour comprendre ce que cela implique pour les dirigeants et les organisations. Dans mon premier article Forbes issu de cette conversation, nous avons exploré comment la gestion des talents s’étend désormais au-delà de la création et l’acquisition à la mise en relation, le recours à des talents externes et l’IA.


Ce deuxième article se tourne vers l’interne. Il constitue un véritable signal d’alarme pour les RH, qui risquent de perdre leur influence sur l’avenir du travail qu’elles sont censées façonner.

De mon échange avec Mme Gratton, cinq changements majeurs se dégagent comme essentiels pour que les RH continuent de jouer un rôle stratégique. Chacun met en lumière une faille où la fonction s’est reposée sur d’anciennes habitudes, et où les dirigeants doivent désormais adopter de nouvelles approches.

 

Changement n°1 : de la réaction à la prévoyance

« Les RH devraient être capables de donner aux PDG une vision des tendances à long terme », explique Mme Gratton. « Dans les deux ou trois prochaines années, voici ce que vous devriez anticiper, envisager et analyser. »

Son message est clair : les RH ne peuvent plus se contenter de réagir. Elles doivent scruter en permanence les évolutions démographiques, les bouleversements industriels et les courbes technologiques, puis les transformer en actions concrètes dès aujourd’hui.

Prenons l’exemple d’une DRH dans une entreprise manufacturière internationale. Plutôt que d’attendre les rapports sur l’attrition, elle collabore avec le directeur financier et le directeur informatique pour établir des prévisions quinquennales sur les compétences. Ensemble, ils identifient les postes les plus exposés à l’automatisation et les secteurs vulnérables aux départs à la retraite. Plutôt que de livrer un simple tableau de bord aux dirigeants, elle propose une stratégie de reconversion directement alignée sur le plan d’investissement. Les RH passent ainsi de la production de rapports à la prise de décisions stratégiques.

Les rapports Future of Jobs du Forum économique mondial sont formels : les déficits de compétences sont aujourd’hui l’un des principaux freins à la transformation des entreprises. La technologie évolue trop vite pour qu’une approche réactive suffise. Quand les lacunes apparaissent sur un tableau de bord, il est déjà trop tard. Les organisations ont besoin de prévoyance : anticiper les compétences qui vont émerger ou disparaître, et préparer les collaborateurs avant que le précipice ne se présente. C’est ainsi que l’on construit une main-d’œuvre adaptable et compétitive.

Pour y parvenir, les responsables RH doivent intégrer la prévision dans les cycles de planification stratégique et collaborer étroitement avec les fonctions financières et technologiques. La prévoyance ne peut pas rester un projet ponctuel : elle ne produit son plein effet que lorsqu’elle est continue, actualisée et opérationnelle.

 

Changement n°2 : de l’instinct à la perspicacité

La prévoyance stratégique ne prend tout son sens que lorsqu’elle s’appuie sur des preuves concrètes. Selon Mme Gratton, l’influence des RH est souvent affaiblie par leur incapacité à baser les décisions de la direction sur des données fiables. Sans cette rigueur, les choix critiques se résument à de simples préférences personnelles.

« Les responsables RH savent qu’ils doivent insuffler un changement », explique Gratton. « Le défi ne réside pas dans l’intention, mais dans le “comment” ».

C’est précisément là que les preuves entrent en jeu. Prenons l’exemple d’une entreprise confrontée au risque lié à l’automatisation : un DRH peut se contenter de présenter des chiffres globaux sur la main-d’œuvre, ou jouer le rôle de traducteur stratégique en identifiant les postes menacés, les nouvelles compétences requises et le coût d’une reconversion à grande échelle. La décision passe alors de l’opinion à la preuve, et les RH deviennent des acteurs qui façonnent concrètement les résultats de l’entreprise.

Mme Gratton recommande d’investir massivement dans le développement des capacités analytiques des RH, directement liées aux performances de l’organisation. Attention cependant : noyer les dirigeants sous des tableaux de bord inutiles ne génère que du bruit.

 

Changement n°3 : de la mise en scène culturelle à un récit authentique

Un autre levier négligé, selon Mme Gratton, est la capacité à façonner l’histoire de l’organisation.

« Les histoires structurent la manière dont les êtres humains interagissent dans le monde », explique-t-elle. « Les grands PDG racontent leur relation avec le monde, ce qui compte pour eux et ce qu’ils souhaitent voir se réaliser. »

Dans les environnements hybrides et décentralisés, un récit cohérent n’est pas optionnel : il constitue le pilier culturel qui soutient l’objectif commun à travers les sites, les types de postes et les changements de direction. Pourtant, trop souvent, les RH laissent ce rôle à d’autres, ce qui fragmente la culture d’entreprise.

Pour y remédier, les responsables RH doivent co-créer et renforcer le récit organisationnel avec les cadres et managers à tous les niveaux. Il ne s’agit pas de slogans ou de campagnes de valeurs déconnectées du quotidien, mais d’un récit vivant, compris et incarné par tous.

 

Changement n°4 : de gestionnaires de systèmes à architectes de systèmes

Après des années de collaboration avec des responsables RH, Mme Gratton identifie deux compétences clés encore trop rares :

  • L’analyse : « Ce groupe ne maîtrise pas vraiment l’analyse de données », explique-t-elle.
  • Le design thinking : « Le design thinking n’a pas vraiment pris racine… Les équipes de développement organisationnel ont pour la plupart disparu des entreprises. »

À cela s’ajoute une troisième compétence : l’observation du système. Il s’agit de comprendre comment le travail s’effectue réellement, comment la technologie est utilisée et où la valeur humaine se crée.

D’après mon expérience, c’est là que se distinguent les meilleurs DRH. Ils ne se contentent pas d’avoir le sens des affaires ; ils voient les systèmes d’une manière que les autres ne perçoivent pas. Ils agissent comme des ethnographes du leadership, observant l’interaction entre les personnes et les processus, capables de zoomer sur les micro-détails opérationnels puis de dézoomer pour obtenir une vue d’ensemble que les responsables fonctionnels, absorbés par leurs priorités, ont souvent tendance à négliger. Cette double vision fait d’eux des architectes de systèmes précieux, appréciés des PDG.

Les lacunes sont particulièrement visibles dans la gestion des performances. Un sondage Gallup auprès des DRH des entreprises du Fortune 500 révèle que seulement 2 % considèrent leur système de gestion des performances comme réellement incitatif. Les employés confirment ce constat : un sur cinq seulement juge les évaluations transparentes, équitables et motivantes.

Ces chiffres envoient un signal clair : sans nouvelles compétences, les RH continueront à utiliser des systèmes qui semblent fonctionner, mais qui n’apportent pas de valeur réelle. Les responsables RH doivent traiter chaque système comme un prototype : le repenser, le tester et l’adapter à l’expérience concrète des employés. Un système efficace sur le papier ne garantit pas automatiquement un impact positif.

 

Changement n°5 : du statut de spectateur à celui d’acteur de l’IA

Pour Mme Gratton, l’IA générative accentue le fossé existant. « C’est une menace existentielle pour le département RH », explique-t-elle, « car souvent l’expérimentation et l’apprentissage de l’IA générative se font sans passer par les RH ».

Selon Gallup, 93 % des DRH interrogés indiquent que leur organisation utilise déjà l’IA, mais seuls 15 % des employés américains déclarent avoir reçu un plan clair sur l’impact de cette technologie sur leur travail. Ce décalage nourrit anxiété et marginalisation des RH.

La dynamique est rapide : selon Gartner, la proportion de responsables RH planifiant ou déployant activement l’IA générative est passée de 19 % mi-2023 à 61 % début 2025. Du côté des employés, l’adoption accélère également : le nombre de travailleurs américains utilisant l’IA au moins plusieurs fois par an a presque doublé, passant de 21 % à 40 % en deux ans.

Pourtant, la clarté reste en retard. Alors que 44 % des employés constatent l’intégration de l’IA dans leur entreprise, seuls 22 % affirment avoir vu un plan précis et 30 % estiment que des directives minimales sont en place. Résultat : les employés expérimentent sans garde-fous et la voix des RH reste largement absente.

C’est là que Mme Gratton voit une opportunité pour les RH. Leur rôle ne se limite pas à établir des politiques : il s’agit de relier l’IA à la stratégie des talents, en cartographiant les tâches, en anticipant les nouvelles compétences et en guidant le développement. Utilisée ainsi, l’IA devient bien plus qu’un outil de conformité : elle se transforme en levier de productivité, de renforcement des compétences et de résilience organisationnelle.

 

Le risque pour les RH de rester en retrait face à l’avenir

L’avertissement de Lynda Gratton est clair : la pertinence des RH ne disparaît pas brutalement, elle s’érode progressivement, à travers les réunions manquées et les projets décidés sans leur implication.

Un véritable audit est nécessaire : quelles sont les capacités actuelles en matière de prévoyance, d’analyse, de conception et d’IA ? Où se trouvent les lacunes, et à quelle vitesse sont-elles comblées ? « Si vous ne participez pas à ces discussions, d’autres le feront », explique la professeure de gestion. « Et ce seront eux qui décideront de votre avenir. »

Les fondations du travail sont déjà en pleine transformation. Les RH ont le choix : façonner activement l’avenir ou se cantonner à expliquer des décisions qu’elles n’ont jamais prises.

 

Une contribution de Vibhas Ratanjee pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


À lire également : Déployer l’IA, oui, mais pour quoi faire ? 

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC