Après avoir fait ses armes chez Giorgio Armani, Christian Dior, ou encore Bulgari, cette Italienne au parcours international dirige depuis 2015 la maison milanaise Pomellato, devenue sous son impulsion un acteur majeur de la joaillerie contemporaine. À la tête de l’initiative Pomellato for Women, elle donne voix aux femmes, avec style et détermination.
Un article écrit par Eve Sabbah, à retrouver dans le numéro 31 du magazine Forbes.
Eve Sabbah : Vous êtes CEO d’une maison de luxe. Quelle est votre mission au quotidien ?
Sabina Belli : Mon rôle premier est de générer de la valeur pour l’entreprise, de piloter sa stratégie, son développement, sa croissance à l’international. Être une femme ne change rien à cette exigence business. Mais je dirige aussi une entreprise faite d’humains et je me sens profondément responsable de leur bien-être. Je veux qu’ils évoluent dans un environnement sûr, épanouissant, qui leur permette de grandir. Cela demande du temps, de l’écoute, et une vraie attention à leurs rêves et priorités personnelles.
Eve Sabbah : Comment définissez-vous votre style de leadership ?
S.B. : Je crois en un leadership exigeant mais profondément humain. Diriger une maison de luxe, c’est travailler dans l’extraordinaire, dans le détail, dans l’émotion. Mais c’est aussi une charge mentale importante, surtout pour une femme. Il faut porter une image, maintenir une excellence constante, tout en gérant une vie privée parfois très dense. Ce qu’on attend d’une femme CEO dépasse souvent ce qu’on attend d’un homme. Il y a un niveau d’exemplarité implicite, parfois pesant, auquel je choisis de répondre sans renoncer à ma sincérité.
Eve Sabbah : Et votre façon de manager ?
S.B. : Je crois au management par la confiance. Je donne beaucoup d’autonomie à mes équipes. Je crois aussi au collectif, à l’idée que l’intelligence se construit ensemble. Et je reste très à l’écoute, c’est essentiel pour avancer dans un monde qui bouge vite.
Vous êtes aujourd’hui l’une des rares femmes à diriger une maison de joaillerie de cette envergure. Voyez-vous cela comme un accomplissement féminin ?
S.B. : Pour être honnête, je ne voyais pas ça comme un exploit. Pour moi, c’était simplement le résultat logique d’un parcours professionnel, celui de quelqu’un qui travaille, qui avance, qui prend des responsabilités. À l’époque, je ne voulais pas entrer dans des considérations sur la différence entre les hommes et les femmes, ce n’était pas un sujet qui m’intéressait. Mais plus j’avançais, plus je réalisais que ça l’était pour d’autres, surtout pour les jeunes femmes. Elles me posaient des questions, cherchaient des repères. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait en parler, qu’il fallait prendre la parole sur ce sujet. Parce qu’en réalité, ça compte.
Depuis votre arrivée à la tête de Pomellato il y a dix ans, comment avez-vous transformé la maison tout en respectant son héritage milanais ?
S.B. : Quand je suis arrivée, mon premier objectif a été de respecter profondément l’ADN de la maison : son ancrage milanais, sa culture du design, son artisanat joaillier. Pomellato est une maison italienne très féminine, mais aussi libre dans sa manière de penser la joaillerie. Cette liberté m’a donné la possibilité de diriger autrement, en sortant des codes traditionnels du luxe : on ose plus, on parle vrai, on construit une forme d’excellence qui est moins figée, plus instinctive. Je n’ai pas cherché à tout bouleverser, mais à renforcer ce qui faisait déjà sa force : la couleur, l’audace, la sensualité. J’ai aussi voulu apporter une voix plus moderne et inclusive. Nous avons ainsi élargi nos engagements, notamment autour de la place des femmes, de la durabilité et de la valorisation du savoir-faire local. L’idée était de rester fidèle à l’esprit Pomellato tout en le projetant dans les enjeux contemporains.
Comment dirige-t-on une maison comme celle-là à l’international ?
S.B. : Cela exige beaucoup d’agilité. Il faut rester fidèle à notre ADN milanais dans nos designs, notre liberté et notre expressivité, tout en veillant à ce que cette identité parle à des clients très différents, partout dans le monde. On n’impose pas une vision depuis Milan ou Paris. On échange avec les marchés, on apprend, on adapte. Mon rôle est de maintenir une cohérence globale tout en laissant une vraie souplesse locale.
Vous avez fait le choix de l’or éthique bien avant que ce soit une norme. Pourquoi cet engagement ?
S.B. : Nous faisons partie du groupe Kering, qui est pionnier sur ces sujets. Il y a une forte responsabilité dans notre secteur, notamment à cause de l’impact environnemental des industries minières. Nous avons donc fait de l’éthique un pilier fondamental de notre stratégie. L’intégralité de nos bijoux est fabriquée avec de l’or et des diamants éthiques, dans des conditions de travail respectueuses. Cela nous connecte à quelque chose de plus grand que nous et donne du sens à ce que nous produisons. On ne peut pas prétendre aimer la beauté si on ne respecte pas la planète. Ce sont des choix qui, aujourd’hui, deviennent des marqueurs de différenciation. Mais ils sont d’abord nés d’une conviction : nous devons réduire notre empreinte, agir concrètement. Le luxe ne peut plus être déconnecté du monde. Nos clientes veulent de la beauté, mais aussi des valeurs. C’est cette double exigence qui guide toutes nos décisions.
Pouvez-vous nous parler de l’initiative Pomellato for Women ?
S.B. : Pomellato for Women est un projet qu’on a lancé parce qu’on avait envie de donner la parole à des femmes, de mettre en lumière des trajectoires, des histoires, des discours qui comptent. On sentait qu’il manquait un espace pour parler franchement des femmes, de leurs parcours, de leurs combats. À l’époque, dans le luxe, personne ne prenait vraiment la parole sur ces sujets. On a voulu créer quelque chose d’utile, de sincère. En 2025, on a porté une campagne forte avec Jane Fonda, America Ferrera, Laura Harrier : des voix puissantes. Et derrière ça, il y a des actions concrètes : on soutient le CADMI à Milan, qui aide les femmes victimes de violences, et FreeFrom à Los Angeles, qui les accompagne vers plus d’autonomie. L’idée, c’est d’agir, pas juste de parler.
Avez-vous le sentiment que l’on attend autre chose d’une femme CEO ?
S.B. : Oui, bien sûr. On projette beaucoup sur une femme dirigeante : on veut qu’elle soit performante, mais aussi bienveillante, forte, mais sans arrogance. Ce sont des attentes parfois contradictoires. Il faut apprendre à naviguer là-dedans, sans se perdre.
Justement, quels stéréotypes ou clichés vous agacent le plus dans votre position ?
S.B. : Celui de la femme parfaite : celle qui se lève à 6 h, fait du yoga, élève ses enfants, dirige une entreprise, reste impeccable et rayonnante. C’est une pression énorme, irréaliste. Ce double standard ne concerne jamais les hommes. Un homme a un costume et deux chemises, cela suffit, alors qu’une femme doit gérer ses valises, ses tenues, son image, sa charge mentale… Et quand une femme s’affirme, on la juge « hystérique ». Il faut qu’on en finisse avec cette condescendance maquillée en galanterie.
Quel regard portez-vous sur l’avenir du leadership féminin ?
S.B. : Je suis optimiste. Il y a une nouvelle génération qui arrive, avec d’autres attentes, d’autres codes. Mais il faut rester vigilants : le luxe évolue, la société change vite, et nous devons toujours adapter notre manière de diriger, sans trahir nos convictions. J’espère qu’un jour, on ne posera plus la question « comment être une femme CEO », mais simplement « comment être un bon leader ».
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