Un article écrit par Sylvie de Gil, journaliste et consultante LinkedIn
Alors que Hermès, Gucci ou Ferrari symbolisent encore le luxe matériel, une nouvelle hiérarchie s’impose : les grands patrimoines orientent leurs dépenses vers la santé, la prévention et l’allongement de la vie. L’article explorera :
- Le marché mondial de la longévité et ses acteurs phares.
- Les cliniques exclusives, les technologies de pointe et les start-ups biotech financées par les ultrariches.
- Les implications sociales et stratégiques d’un luxe désormais centré sur la vitalité.
La longévité est un luxe discret, presque secret, qui se mesure à la vitalité et à l’énergie plutôt qu’à des objets.
Dans un monde où les ultrariches possèdent déjà tout ce que l’argent peut acheter, un nouveau paradigme émerge : le marché de la longévité. Prolonger la vie en bonne santé, ou « healthspan », est devenu la quête ultime de l’élite, l’obsession, le « Graal » convoité de la « jeunesse éternelle », ce désir intemporel de transcender les limites de la condition humaine. Alors que les sacs de créateurs et les jets privés étaient autrefois des symboles de statut, investir dans la santé, la biotechnologie et la nutrition personnalisée est aujourd’hui le véritable marqueur des milliardaires, redéfinissant ainsi la notion de luxe de notre siècle, soit passer du visible à l’invisible. Le luxe n’est donc plus uniquement une question de visibilité ou d’ostentation. Pourquoi ? Parce que le temps, et plus précisément le temps vécu en pleine forme, est la seule réalité que l’argent ne pouvait pas garantir… jusqu’à maintenant.
« Healthspan » désigne la période de vie passée en bonne santé, sans incapacité ni maladie grave, par opposition à la durée de vie totale « Lifespan ».
L’objectif des recherches sur la longévité est non seulement de prolonger la vie, mais aussi d’allonger la période pendant laquelle on vit en bonne santé, en réduisant au maximum les années de vie marquées par des maladies liées à l’âge. L’objectif est donc d’augmenter le « healthspan » et, idéalement, de le rapprocher le plus possible du « lifespan ».
Le marché mondial de la longévité et ses acteurs phares.
La longévité n’est plus une promesse en l’air, c’est un marché mondial en pleine expansion. Le business de la longévité est devenu une industrie florissante estimée à plusieurs milliards de dollars, englobant la biotechnologie, la e-santé, les compléments alimentaires, mais aussi des séjours de « régénération ». Des publications récentes, comme celles de Challenges ou de L’Express, soulignent que ce marché attire non seulement des clients ultrariches, mais aussi des investisseurs majeurs.
Selon les experts, ce secteur devrait atteindre plusieurs trillions de dollars d’ici 2030, sous l’effet de la transition démographique et de l’innovation scientifique. Il est prévu pour 2050 qu’il bénéficie à près de 2 milliards d’individus. Cette croissance démographique sans précédent alimente une demande inédite en produits et services visant à préserver la santé, à prolonger l’autonomie et à optimiser la vitalité.
C’est pourquoi, même si le “luxe visible” reste un symbole de statut, les milliardaires orientent désormais leurs capitaux vers ce qui ne s’achète pas facilement, “le luxe invisible”, soit du temps de vie supplémentaire et en meilleure santé. Le luxe ultime n’est plus seulement d’acheter un objet rare, mais d’investir dans le droit à une vitalité prolongée, faire perdurer son influence, son pouvoir et sa capacité à forger le monde. Pour les ultrariches, la longévité n’est pas seulement une question de santé, mais aussi un moyen de maintenir le contrôle sur leur empire, qu’il soit financier, technologique ou culturel. C’est aussi un luxe expérientiel et personnel, qui ne se partage ni ne s’exhibe, mais qui offre quelque chose d’inestimable : davantage de temps pour vivre, créer et profiter des fruits de ses succès.
Les acteurs phares : plusieurs géants et start-up façonnent cette économie
Des personnalités emblématiques de la Silicon Valley, comme Jeff Bezos, Peter Thiel ou encore Sam Altman (patron d’OpenAI et investisseur chez Retro Biosciences), ont investi des sommes colossales dans la biotechnologie, notamment dans des start-up et des programmes de recherche consacrés à la lutte contre le vieillissement. Un exemple est Calico (soutenue par Google), qui travaille sur des thérapies innovantes, telles que des pilules anti-âge ou des traitements à base de cellules souches.
Les acteurs phares :
- Calico Labs, fondé par Alphabet (la maison mère de Google), se concentre sur la recherche fondamentale sur le vieillissement et le développement de thérapies.
- La SENS Research Foundation est une organisation à but non lucratif qui promeut la recherche sur le vieillissement et le développement de thérapies réparatrices. “We Are Building a Future Free of Age-Related Disease.”
- Insilico Medicine utilise l’intelligence artificielle pour développer de nouvelles thérapies anti-âge.
- Life Biosciences se concentre sur la compréhension des mécanismes du vieillissement afin de développer des interventions thérapeutiques.
Les universités comme les instituts de recherche jouent aussi un rôle majeur dans la recherche fondamentale sur le vieillissement et la formation des futurs spécialistes de ce domaine.
- L’université de Geneve
- Albert Einstein College of Medicine (New York, NY)
- Université de Toulouse III Paul Sabatier
- Inserm
Les “longevity clinics”
Des cliniques de longévité de luxe, souvent comparées à des hôtels cinq étoiles, proposent des traitements anti-âge sur mesure, des diagnostics génétiques approfondis et des thérapies expérimentales. Des établissements comme les « longevity clinics » aux États-Unis ou en Europe offrent des programmes sur mesure à une clientèle prête à débourser des fortunes pour optimiser chaque aspect de sa santé.
Un exemple est Fountain Life, cofondée par Tony Robbins, life and business strategist américain connu mondialement, et dont le slogan est : « Vivez sans limites. » Cette clinique, selon sa propre définition, est l’expérience de longévité la plus avancée au monde, exclusivement alimentée par l’IA.
Nutrition et biohacking : les ultrariches adoptent des régimes alimentaires stricts et des pratiques de « biohacking » pour repousser les limites de leur corps. Des personnalités comme *Bryan Johnson, un millionnaire américain, investissent ainsi des millions par an dans des protocoles extrêmes (alimentation ultracontrôlée, monitoring constant via des dispositifs, des thérapies comme la cryothérapie). Ces pratiques, bien que parfois controversées, inspirent même des adeptes en France, comme le montrent des enquêtes récentes du Figaro.
Ils investissent également dans des technologies pour optimiser la qualité de leur sommeil (matelas high-tech, chambres à oxygène) et dans des environnements de vie conçus pour minimiser le stress et favoriser la régénération, comme des retraites de « régénération » luxueuses, des complexes résidentiels haut de gamme proposant des services médicaux de pointe, des programmes de prévention et de bien-être intégrés. Des “spas médicaux” où la médecine esthétique et régénérative est reine.
(*) S’il n’est pas le premier à s’intéresser à la médecine de la longévité, Bryan Johnson en est devenu le visage le plus médiatisé. Cet entrepreneur de la tech, âgé de 47 ans, donc aujourd’hui senior, consacre chaque année plusieurs millions de dollars à un protocole strict combinant bilans biologiques, nutrition, compléments, suivi médical quotidien et routines millimétrées. Son objectif : ralentir le vieillissement de ses organes et prolonger sa vitalité au-delà des standards actuels.
À travers lui, on entend la promesse des cliniques de luxe : vivre mieux, plus longtemps. Fait important, là où la majorité des individus découvrent la longévité en devenant seniors, Bryan Johnson choisit d’investir dès sa quarantaine. Un choix qui illustre bien la mutation du luxe : le capital santé devient un actif que l’on gère comme un patrimoine (Documentaire).
Les implications sociales et stratégiques d’un luxe désormais centré sur la vitalité.
L’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement de la population mondiale alimentent la demande de solutions permettant de vieillir en bonne santé. L’accent est de plus en plus mis sur la prévention des maladies liées à l’âge plutôt que sur leur traitement, ce qui stimule le développement de solutions de santé préventives et personnalisées. Cela entraîne aussi l’émergence de nouveaux métiers, comme celui de coach personnel ou d’expert en optimisation de la santé. Toutefois, de nombreux défis restent à relever, notamment de possibles inégalités face à l’accès aux technologies de pointe.
Les défis du marché
Coût élevé des recherches et des traitements : Les technologies de pointe liées à la longévité sont souvent onéreuses, ce qui peut limiter leur accessibilité.
Questions éthiques et sociétales : L’allongement de la durée de vie soulève des questions éthiques importantes concernant l’accès aux traitements, l’impact sur les systèmes de santé et de retraite, et les inégalités potentielles.
Réglementation : Le cadre réglementaire pour les nouvelles technologies de la longévité est encore en développement et peut varier d’un pays à l’autre.
Validation scientifique : Certaines approches de la longévité manquent encore de validation scientifique rigoureuse et peuvent s’avérer inefficaces, voire dangereuses.
L’avenir du luxe : Investir dans du temps de vie supplémentaire, c’est le nec plus ultra : on ne s’offre pas un objet de démonstration sociale, mais un supplément de vie. Ce luxe “invisible” redéfinit les aspirations et les modes de consommation des élites. Et si le nouveau paradigme du luxe allait encore plus loin et poursuivait le vieux rêve de l’humanité, la quête de l’immortalité ou la quête de la “jeunesse éternelle” en un désir de transcender les limites de la condition humaine.
La situation en France : entre recherche et prévention, le luxe est encore embryonnaire
En France, la longévité n’a pas encore pris la forme de cliniques ultra luxueuses, comme celles que l’on trouve en Suisse ou en Californie. Le paysage est dominé par des initiatives médicales et scientifiques axées sur la prévention et la recherche plutôt que sur le service premium. L’Institut Prévention Santé Longévité du Dr Christophe de Jaeger, à Paris, propose notamment des bilans personnalisés sur la sénescence et la préservation de la vitalité. À Lille, le Réseau Longévité de l’Institut Pasteur propose un parcours de prévention multidisciplinaire pour dépister précocement la fragilité liée à l’âge. L’initiative IHU HealthAge ambitionne d’ouvrir une véritable « clinique universitaire de la longévité », combinant des check-up avancés et de la recherche translationnelle.
Ces structures positionnent la France sur la scène internationale, mais elles sont éloignées du modèle « Hermès de la santé » qui attire la clientèle internationale. Ici, la longévité est encore envisagée dans une logique médicale et académique, plutôt que dans une logique de luxe et d’exclusivité. Une économie à deux vitesses se dessine donc : d’un côté, la recherche et la prévention accessibles au plus grand nombre ; de l’autre, à l’étranger, des cliniques exclusives qui ne proposent pas une expérience ponctuelle, mais un abonnement à la vitalité, à raison de plusieurs dizaines, voire des centaines de milliers de dollars par an. ( Il reste à espérer pendant plusieurs décennies aussi bien pour la clinique que pour le patient. )
Les élites investissent des sommes considérables dans une démarche visant à convertir le temps en capital maîtrisé. Cependant, il convient de souligner que la longévité, à l’instar de tout actif rare, ne se valorise que si elle s’accompagne de vitalité et de sens. Il ne s’agit pas de gagner des années, mais de savoir comment les investir pour atteindre un bien-être personnel.
Sources :
World Economic Forum (pôle Longevity Economy)
Les 5 géants : L’acronyme GAFAM représente les cinq plus grandes entreprises technologiques américaines :
- G: oogle (Alphabet)
- A: pple
- F: acebook (Meta)
- A: mazon
- M: icrosof
Les biotechnologies de rupture :
- Altos Labs (financé par Jeff Bezos)
- Genentech
Les compléments alimentaires et la nutrition : Nestlé Health Science, Thorne, Solgar, Elysium Health.
Les investisseurs : Juvenescence (Jim Mellon), Longevity Vision Fund (Serguei Brin), LongeVC.
Les institutions : – Longevity Institute
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