La rentrée est à peine entamée que le luxe se réinvente. Chez Kering, les secousses continuent. Gucci, maison emblématique et poumon financier du groupe, a une fois de plus changé de capitaine. Francesca Bellettini a été nommée Présidente et CEO de Gucci le 17 septembre 2025, une décision lourde de sens après une période de turbulences révélatrices de l’état de la maison florentine et de celui du groupe qui la possède.
Cette nomination met fin au passage éclair de Stefano Cantino, resté moins d’un an à la tête de Gucci. Elle s’inscrit dans une réorganisation plus large impulsée par Luca de Meo, nouveau patron de Kering, qui a décidé de simplifier la gouvernance en supprimant les fonctions de Deputy CEOs. Le signal est clair : il s’agit de reprendre le contrôle d’un groupe en perte de vitesse et d’une maison fragilisée.
Une dirigeante à l’expérience éprouvée
Gucci a vu ses ventes plonger d’environ 25 % au deuxième trimestre 2025, pour atteindre 1,46 milliard d’euros. Le chiffre d’affaires global de Kering a reculé d’environ 15-16 % sur le semestre, et le bénéfice net a été réduit de près de moitié. La pression est donc immense pour restaurer la croissance et rassurer les investisseurs.
Dans ce contexte, le nom de Francesca Bellettini apparaît comme celui d’une valeur refuge. Italienne, diplômée de la Bocconi, elle a débuté en finance avant de rejoindre la mode. Elle entre chez Kering au début des années 2000, d’abord chez Gucci, puis chez Bottega Veneta, avant de diriger Saint Laurent.
Chez Saint Laurent, Francesca Bellettini s’est illustrée en redressant la maison, en clarifiant son identité et en renforçant sa cohérence. Entre 2013 et 2023, la marque a triplé ses revenus. Elle a accompagné deux créateurs diamétralement opposés, Hedi Slimane puis Anthony Vaccarello, sans jamais étouffer leur vision. Une stratégie discrète mais efficace, qui a permis à Saint Laurent de devenir l’une des locomotives de Kering.
Un management fondé sur la clarté et la cohérence
Chez elle, pas de slogans, pas de déclarations tapageuses. Plutôt une ligne claire : définir ce qu’est une maison, puis tout faire converger vers cette définition. Dans un podcast de Business of Fashion, elle rappelait :
« Quand vous clarifiez le positionnement d’une marque, tout s’aligne naturellement ». Et d’ajouter : « C’est le profit qui rend une entreprise durable ».
Ces phrases traduisent une vision fondée sur la cohérence et le long terme. Et ce style de management est tout sauf secondaire. Gucci a traversé ces derniers mois ce qu’on pourrait appeler une crise de direction au sens littéral : identité floue, successions rapides de directeurs artistiques, absence de constance. Après l’ère Alessandro Michele, la nomination de Sabato De Sarno puis son départ, l’arrivée de Demna Gvasalia a surpris et divisé. Sa créativité est évidente, mais elle doit désormais s’inscrire dans une stratégie cohérente. C’est là qu’intervient Francesca Bellettini.
La stratégie de Luca de Meo pour Kering
Depuis deux ans, les annonces se succèdent chez Kering à un rythme inhabituel. Marco Bizzarri, PDG emblématique de Gucci pendant l’âge d’or, est parti en 2023. Le duo de Deputy CEOs mis en place pour piloter la transition n’a pas tenu. Cantino a quitté son poste sans avoir eu le temps de poser une vision stable. Dans ce tumulte, Luca de Meo cherche à remettre de l’ordre : un organigramme simplifié, des décisions plus rapides, et des dirigeants alignés sur les résultats.
Mais la tâche est immense. Gucci reste la première marque du groupe, celle que les marchés scrutent avec le plus d’attention. Les ventes reculent, les marges se contractent, la désirabilité perd en intensité. Le luxe, lui, a changé de tempo : la Chine consomme moins, l’Europe reste dépendante d’un tourisme fragile, les États-Unis oscillent. LVMH et Hermès tiennent leur ligne, Chanel trace la sienne. Gucci, lui, cherche encore son chemin.
Ce n’est pas la première fois que Bellettini arrive dans une maison en questionnement. Mais Gucci est d’une autre dimension : tentaculaire, historique, mondialement exposée. Là où Saint Laurent était un terrain de reconstruction, Gucci est un colosse à réaligner sans le briser. Il faudra aller vite sans précipiter, réinventer sans renier.
Loin d’être une dirigeante qui cherche la lumière, Francesca Bellettini n’est pas là pour faire le show, mais pour tenir le cap. Et c’est peut-être exactement ce dont Gucci a besoin aujourd’hui. Sa nomination est un signal fort. Le luxe traverse un moment de bascule, et Kering joue ici une carte maîtresse. Reste à savoir si, au-delà du geste stratégique, l’exécution suivra.
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