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Passions de milliardaires | L’art aux enchères, prestige et influence

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Le Mois des vendanges de René Margritte pendant les préparatifs des ventes d’art en direct à la maison de vente aux enchères Christie’s, le 16 mars 2021 à Londres, en Angleterre

Dans l’entre-soi des grandes fortunes, l’art est bien plus qu’un investissement : il signe l’appartenance à une caste. Enchérir sur un tableau rare, ce n’est pas simplement acheter, c’est affirmer son rang. « Les enchères incarnent un signe extérieur de réussite sociale. C’est un club fermé, au même titre qu’un chalet à Megève », observe Dimitri Joannidès, historien de l’art, journaliste à La Gazette Drouot et expert chez FauveParis.

Un extrait du dossier “Passions de milliardaires” issu du numéro 30 – printemps 2025, de Forbes France

 

Les enchères sont un monde codifié chez les personnes fortunées, où chaque acquisition est une carte de visite et où l’on joue une partie d’échecs à coups de millions. Certaines grandes fortunes méditerranéennes cultivent cet usage avec un soin particulier. « Par l’entremise de conseillers ou d’hommes de paille, elles se positionnent sur le marché de l’art tout en restant discrètes, un jeu d’ombres où réputation et prestige se construisent en coulisses » précise Dimitri Joannidès. Autrefois, les grands collectionneurs meublaient leurs hôtels particuliers de pièces Louis XV. Aujourd’hui, les tendances ont évolué. « Les intérieurs se diversifient. On mélange les influences, du design contemporain aux pièces du XXe siècle, et l’Art déco suscite un regain d’intérêt », observe notre expert. L’impressionnisme demeure une valeur refuge, tandis que l’attrait pour le mobilier ancien cède du terrain face à des styles plus éclectiques et modernes.

L’attrait des enchères réside aussi dans leur immédiateté. « Un autodidacte milliardaire préfère souvent ce canal, qui lui évite les multiples commissions des marchands. Là où un antiquaire achète pour 1 000, restaure et revend 20 000, l’enchère fixe un prix direct », analyse Dimitri Joannidès. La distinction entre héritiers avisés et nouveaux riches se joue aussi dans ce rapport au marché, oscillant entre prudence patrimoniale et flamboyance impulsive.

 

Comme une addiction…

Mais l’achat d’art ne se résume pas à une quête statutaire. Pour beaucoup, la collection devient une véritable obsession. « Une fois qu’on met le doigt dans l’engrenage, difficile de s’arrêter. Certains enchaînent les foires, scrutent chaque catalogue de ventes, traquent la pièce rare », témoigne l’historien rattaché à la maison Fauve Paris. La collection suit souvent un processus évolutif. « Aux États-Unis, une maxime veut que toute réussite s’accompagne d’un psy, d’un avocat et d’un décorateur. D’abord utilitaire, l’acquisition d’art devient peu à peu plus réfléchie, un miroir des goûts qui s’affinent avec le temps. Madonna en est une parfaite illustration : d’abord séduite par les œuvres de Basquiat, qui fut son amoureux pendant quelques mois, elle a ensuite enrichi sa collection avec des toiles de Tamara de Lempicka. » Des célébrités et des fortunes récentes qui se laissent souvent guider par leur décorateur avant de développer une approche plus personnelle. D’autres, à l’inverse, collectionnent de manière compulsive, accumulant des œuvres entreposées dans des réserves qu’ils ne visitent presque jamais.

 

Outil de soft power

Au-delà du prestige et de la passion, l’art se révèle un puissant outil d’influence. Nombreux sont ceux qui, après avoir constitué une collection, cherchent à structurer leur patrimoine en créant des musées privés ou des fondations.

« On commence par acheter pour soi, puis vient le temps de la transmission, de l’inscription dans l’histoire. Un musée privé permet d’ancrer son nom, d’asseoir une puissance, voire d’exercer un soft power », souligne Dimitri Joannidès.

L’art joue un rôle clé dans la diplomatie et le commerce. L’exemple de François Pinault est éloquent. En 2013, la famille Pinault restitue à la Chine deux bronzes pillés du Palais d’Été en 1860, offerts à Xi Jinping lors d’un dîner d’État. Mis en vente en 2009 par Pierre Bergé, ils avaient suscité une vive controverse, Pékin dénonçant un « vol de patrimoine ». Ce geste stratégique renforce les liens avec Pékin. Parallèlement, l’art devient une valeur refuge : un magnat chinois a acquis un Modigliani pour 170 M€, le déposant en Suisse comme réserve de change. Entre prestige et placement, cet enjeu ne cesse de croître.

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Ainsi, si l’art est d’abord une affaire de passion, il devient rapidement un levier de prestige et d’influence pour les grandes fortunes. Chaque acquisition dépasse le simple goût personnel pour s’inscrire dans une stratégie plus vaste, où se mêlent statut social, ambition politique et impératifs financiers.

 


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