Amélie de Bourbon Parme conseille les entreprises et écrit des romans. Avec autant de talent ! Dans son dernier livre, L’Ambition – Les trafiquant d’éternité (Gallimard), elle se penche sur ce thème ambivalent en décryptant quelques grandes figures de la Renaissance. Passionnant.
Dans votre nouveau roman, L’Ambition, celle- ci est incarnée par les Médicis et les Borgia. L’ambition s’accompagne-t-elle forcément d’intrigues, voire de cruauté ?
AMÉLIE DE BOURBON PARME : Dans mon roman, l’ambition est d’abord incarnée par le héros, Alessandro Farnese, moins connu que Laurent de Médicis et César Borgia, mais dont il est l’un des plus proches amis. Il partage avec eux ce désir irrépressible de donner un grand établissement à sa famille. Jeune aristocrate provincial, Alessandro est issu d’une lignée de condottiere qui va réussir à s’imposer au sein de l’Église jusqu’à devenir le plus puissant cardinal du Sacré Collège avant d’être sacré pape, alors que la papauté traverse la plus grande crise de son histoire : la Réforme protestante. Il deviendra l’un des papes les plus importants de l’histoire de l’Église.
À la différence de nombre de ses contemporains qui ont réussi à s’imposer brillamment mais brièvement comme César Borgia, Alessandro Farnese a su bâtir une œuvre durable au service de ses propres intérêts mais aussi de ceux l’Église. Il a usé de son intelligence, de sa diplomatie, de ses convictions pour devenir incontournable, mais il n’a jamais agi avec cruauté. Plutôt que d’intrigues, je dirais qu’il a fait preuve d’habileté en tirant parti des atouts de sa famille et notamment de la beauté de sa sœur. Donc non, l’ambition ne s’accompagne pas forcément d’intrigues ou de cruauté.
L’ambition est-elle, pour vous, une valeur positive ou une maladie qui oppose les êtres ?
A.D.B.P. : L’ambition est positive ! C’est LA grande force de l’Histoire. En donnant ce titre à ce livre consacré à la jeunesse d’Alessandro Farnese, je veux montrer que l’ambition est une force qui permet de s’affirmer avec audace, d’assumer ses désirs, et qu’elle ne doit pas être réduite à une volonté de poursuivre ses propres intérêts, c’est- à-dire à de l’opportunisme. Il faut à mon sens « réhabiliter » l’ambition qui est souvent connotée d’une ombre négative.
Est-ce une caractéristique plus masculine que féminine ? Pourquoi ?
A.D.B.P. : Je ne crois pas du tout que l’ambition soit une caractéristique féminine ou masculine. Elle est de tous les genres. En revanche, elle est plus une caractéristique de jeunesse ou d’âge adulte que de fin de vie. En effet, par ambition, on pense surtout au désir de réussite sociale ou de dépassement de soi-même d’une façon ou d’une autre.
Les Français sont-ils moins ambitieux que les autres, les Américains, par exemple ?
A.D.B.P. : Il est toujours gênant de coller des étiquettes mais je pense en effet que les Français sont marqués par une certaine culpabilité originelle. Du coup, le désir de réussite n’est pas valorisé comme il le devrait. Il suffit de voir à quel point les héros de notre littérature donnent une mauvaise image de l’ambition : Rastignac, Lucien de Rubempré, dans Illusions perdues, qui a fait l’objet d’un film magnifique, Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir, sont tous des hommes qui sacrifient l’amour ou en usent pour assouvir leurs désirs d’ascension sociale. Ils apparaissent comme des calculateurs, des arrivistes qui se brûlent les ailes ou perdent leur âme dans cette quête de reconnaissance. Ces figures ont marqué nos imaginaires collectifs. Stendhal en a été l’un des inventeurs aux côtés de Balzac. Mais la Renaissance italienne est justement une époque où l’ambition est littéralement « sanctifiée » par le talent, comme l’a fait Machiavel dans Le Prince. Elle est une période de l’histoire où l’homme moderne et donc l’ambition émergent et vont façonner notre civilisation occidentale.
Faut-il être ambitieux pour réussir sa vie ou avoir une Rolex à 50 ans ?
A.D.B.P. : Toute forme de réussite nécessite de l’ambition. Même si tout le monde n’a pas la même conception de cette réussite ! La réussite professionnelle nécessite de l’ambition, bien sûr. Mais l’on peut aussi avoir une conception plus métaphysique de la réussite : un désir de s’élever intellectuellement et spirituellement, de dépasser ses limites ou de transcender une certaine forme d’assignation sociale liée au contexte de sa naissance, de son éducation. On parle aujourd’hui de transfuge de classe. Oui, il faut de l’ambition pour opérer ce transfert ! Et ce n’est pas un crime. Car cette notion de transfuge de classe induit une idée mortifère de trahison, on retrouve cette notion de culpabilité qui entache l’idée de réussite dans notre société.
Vous connaissez bien le monde de l’entreprise pour avoir conseillé de nombreux patrons. Faut-il forcément avoir de l’ambition pour devenir entrepreneur ?
A.D.B.P. : Oui, il faut de l’ambition pour devenir entrepreneur. Mais l’ambition doit avoir une dimension collective. Avoir de l’ambition, lorsqu’on est entrepreneur, c’est avoir une vision pour soi et pour les autres.
Quelle est votre ambition ?
A.D.B.P. : Mon ambition est de donner envie à ceux qui ne sont pas des passionnés d’histoire de la connaitre et leur faire comprendre que ces figures historiques ne sont pas loin ni différentes de nous : ce sont des êtres qui nous ressemblent et qui nous donnent des clés sur nos existences. Car comme le disait Victor Hugo, « l’avenir est une porte et le passé en est la clé ».
Cet article a été écrit par : Yves Derai
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