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FORTISSIMO | Entretien avec Benoit d’Hau, fondateur du label IndéSENS-Calliope

Sa passion pour les instruments à vent est héréditaire. Son père, son oncle étaient de grands interprètes en instrument à vent, et son premier contact avec la trompette a été un coup de foudre. Créateur du label IndeSens, il consacre une grande partie de son catalogue aux instruments à vent, un des fleurons de la musique et de la facture française ! Toujours curieux, il développe son label à l’étranger et aux nouvelles technologies. Entretien réalisé par Florence Petros

 

 

Comment votre passion pour les instruments à vent est-elle née ?

Benoit d’Hau : Aussi loin que je me souvienne, je me trouvais assis sur une chaise à côté de mon père, au milieu de l’orchestre, entouré d’instruments à vent, mon père était bassoniste à l’Orchestre de Paris. Il était également membre du prestigieux octuor à vent Maurice Bourgue (qui vient tout juste de nous quitter), et j’entendais mon père travailler son instrument tous les jours à la maison. Au-delà de cette immersion, c’est le premier contact physique avec une trompette accrochée au mur chez mon oncle qui a profondément marqué ma vie. Il l’a décrochée, je l’ai soufflé et j’ai immédiatement produit des sons harmoniques que j’ai trouvés magiques. A la fin de mes études musicales, vers 1992, j’ai eu la chance de rencontrer et de côtoyer les immenses trompettistes Maurice André, Wynton Marsalis et Eric Aubier, que j’admirais et écoutais en boucle.

Ils ont la capacité de chanter, à l’image de la voix humaine. La clarinette peut être douce et lyrique, le basson sérieux et mélodique (comme dans « Pierre et le loup » ou au début du « Sacre du printemps »), la flûte onirique comme dans « Daphnis et Chloé« , le cor est majestueux (dans la « Symphonie alpestre »)… Ils peuvent ainsi transmettre toute la gamme des émotions. Dans les concertos, un instrument à vent soliste permet de mettre en avant à la fois la virtuosité de l’instrumentiste et la richesse expressive de l’instrument.

 

Comment caractériseriez-vous la place musicale spécifique et distinctive des instruments à vent dans une œuvre musicale ?

Benoit d’Hau : Les instruments à vent, en raison de leur vaste gamme de timbres et de techniques de jeu, occupent des rôles variés et spécifiques dans la musique classique, et évidement dans les grandes formations de jazz, du type Ellington.

Ils influencent considérablement une œuvre par leur couleur, ce que l’on appelle le « timbre ». Par exemple, le son mélancolique d’un hautbois ou d’un cor anglais peut évoquer la nostalgie (symphonie du nouveau monde de Dvorak), tandis que la brillance de la trompette peut apporter un éclat triomphal, ou être la « lumière » de l’orchestre comme dans les grandes pages de Gustav Mahler ou Richard Strauss. Daniel Barenboïm a dit un jour que chaque instrument est intrinsèquement une couleur et que le seul qui soit neutre est le piano, qui, selon lui incarnerait la couleur blanche. C’est certainement pour cela qu’il accompagne merveilleusement tous les instruments (outre ses possibilités harmoniques).

Les vents jouent toujours un rôle crucial dans la création d’harmonies, en soutenant les accords, en enrichissant la texture ou en jouant des contre-mélodies. C’est frappant chez Dutilleux notamment, le mélange subtil des timbres des instruments à vents génère souvent l’émergence de nouvelles couleurs, à la manière des grands chefs étoilés qui créent des saveurs nouvelles et singulières, en mêlant divers produits et épices, ou des peintres qui mixent les couleurs primaires.

 


IndéSENS est perçu, au Japon en premier lieu, mais aussi en France, comme « le » label de l’excellence de la musique française avec les vents


 

En tant qu’instruments monodiques, ne pouvant jouer qu’une seule note à la fois, c’est tout naturellement que les vents sont utilisés par les compositeurs pour introduire ou jouer des thèmes principaux, à l’inverse des claviers et des cordes. Le fameux Boléro de Ravel, dans lequel tous les vents se succèdent, est certainement l’exemple le plus évident. Ils ont la capacité de chanter comme la voix humaine. La clarinette peut être douce et lyrique, le basson, sérieux tantôt ou mélodique, (Pierre et le loup ou le début du Sacre du printemps), la flûte onirique dans Daphnis et Chloé, le cor, quant à lui est spatial et majestueux (Symphonie alpestre)… ils transmettent ainsi toute la gamme des émotions.

Les vents se distinguent également par leur pouvoir de séduction et leur proximité avec le public. C’est pourquoi de grands maîtres ont durablement marqué les générations, peut-être même au-delà des cordes, selon moi : Louis Armstrong, Chet Baker, Maurice André, Jean-Pierre Rampal, ou Wynton Marsalis et Emmanuel Pahud aujourd’hui.

 

 

C’est donc cette passion qui vous a amené à créer le label indéSENS avec cette ligne de la redécouverte de la musique pour instruments à vent, en particulier dans la musique française ?

Benoit d’Hau : Il y avait un vide laissé par l’ensemble des firmes de disques concernant le répertoire pour les vents. Pourtant, à chaque fois que l’on assiste à des concerts (quintettes de cuivres, octuors ou quintettes à vents, des concertos pour flute, clarinette, trompette…) le public est largement enthousiaste, et sollicite de nombreux bis. Par ailleurs, on a paradoxalement coutume d’entendre dire partout dans le milieu classique français (agents, médias, direction de festivals) qu’il n’y a pas de répertoire pour les vents, sauf exceptions. C’est une idée fausse, que j’ai combattu avec succès. Chez indéSENS nous avons publié environ 150 albums mettant en lumière leur répertoire. L’école française est la plus belle au monde, et réputée comme telle jusqu’au Japon, en Corée à Taïwan. Les conservatoires français sont d’ailleurs remplis de jeunes étudiants asiatiques. Un peu d’Histoire : la tradition française des vents provient de la seconde moitié du 19e siècle. Les fabricants de clarinette, trompette, cornet, trombone, hautbois, et saxophone étaient tous français. Naturellement ceux qui les mettaient au point avec les facteurs instrumentaux étaient les virtuoses français. De ce fait nos compositeurs leur ont dédié de nombreuses partitions. Ainsi est née notre tradition, notre excellence, notre phrasé élégant, virtuose, inspiré, et par conséquent notre répertoire, de Saint-Saëns, Ravel, Poulenc jusqu’à nos jours. Il est à souligner que 90% des clarinettes, saxophones, hautbois, trombones joués dans le monde proviennent des fabricants français. Ces entreprises sont Marigaux, Selmer, Courtois et Buffet-Crampon. Ce n’est plus le cas des trompettes, des cors, des bassons et des flûtes qui sont essentiellement japonais, allemands et américains, pour des raisons essentiellement liées aux nécessités du métier d’orchestre.

IndéSENS est perçu, au Japon en premier lieu, mais aussi en France, comme « le » label de l’excellence de la musique française avec les vents.

 


Les IA génératives de contenus vont bouleverser le monde actuel de manière durable. Chez indéSENS Calliope nous travaillons déjà tous les jours avec GPT4 depuis quelques mois


 

Après avoir créé le label IndéSENS, vous avez repris le très beau label Calliope. Les deux n’ont cessé de se développer à l’international et de remporter des succès auprès des critiques par leurs choix éditoriaux. Votre stratégie est-elle celle de spécificités bien affirmées ? Comment coordonnez-vous ces deux entités. Quelle spécificité à chacune ?

Benoit d’Hau : En phase 1, environ dix ans, nous avons exploité les deux marques en segmentant les répertoires en fonction de leurs ADN respectifs. Calliope ayant l’image très classique d’une marque née dans les années 70, spécialisée essentiellement dans le répertoire pour claviers (piano, orgue). Comme souvent, cela tient à la personnalité de son créateur Jacques Le Calvé, ingénieur de formation et passionné de piano. L’ADN d’indéSENS étant la musique des 20e et 21e siècles essentiellement pour vents. En phase 2, depuis cette année 2023, nous avons fusionné les deux entités afin de tirer le meilleur parti du capital notoriété de l’une, puis du dynamise et la modernité de l’autre. Les deux marques partageant les mêmes valeurs, le passage de témoin et la transmission patrimoniale sont réalisés avec fluidité.

 

Vous avez lancé une collection « Paris 1900 » qui est déjà très bien accueillie par la presse. Pouvez-vous nous en dire plus sur son ambition ?

Benoit d’Hau : Cette collection en cours de développement est un coup de projecteur sur la genèse de cette spécificité qu’est la tradition française des vents. C’est en quelque sorte la bande-son de l’époque des grandes inventions françaises de la fin de 19e siècle dans les secteurs artistiques, architecturaux (Eiffel), industriels, et scientifiques ; les grandes expositions universelles de Paris, au nombre de sept entre 1844 et 1890 ! Il s’agit de LA période de rayonnement international de notre nation.

 

Vous êtes également le 1er label de musique classique à avoir lancé les NFT. Pouvez-vous déjà nous en faire un retour ?

Benoit d’Hau : Il est trop tôt actuellement pour faire un retour précis sur le lancement des NFT (token non fongible) dans la musique classique ou la musique en général. C’est une technologie nouvelle que 99,9% de la population ne connait pas bien encore. Notre position est celle d’une entreprise qui teste et lance de nouveaux modèles économiques, pour faire face à la fin des supports physiques (CD, DVD) et aux très faibles revenus du streaming, les plateformes ne reversant presque rien aux labels. Nous sommes actuellement en phase d’évangélisation du marché avec les NFT. Personne ne peut dire si ce sera un relai de croissance, ni même si cela se passera.

 

Nous sommes dans un monde où la vérité du jour n’est pas celle du lendemain. De même, il y a six mois, personne ne connaissait les applications de l’intelligence artificielle dans la production de contenus éditoriaux, visuels et bientôt musicaux. Savez-vous que l’intelligence artificielle sera, dans un futur probablement proche, capable de composer la 10e symphonie de Beethoven, la 11e de Mahler, un 15e opéra de Richard Strauss etc ! Un de nos artistes, compositeur et éminent pianiste de jazz, travaille actuellement avec les développeurs d’une IA pour y intégrer les improvisations et les styles des grands jazzmen. Les IA génératives de contenus vont bouleverser le monde actuel de manière durable. Chez indéSENS Calliope nous travaillons déjà tous les jours avec GPT4 depuis quelques mois, et je viens de mettre mon équipe rapprochée en formation sur l’ensemble de solutions Open AI et Midjourney.

 

Quelles sont vos prochaines sorties discographiques ?

Benoit d’Hau : Nous publions mensuellement trois nouveautés discographiques. Elles nous valent d’être en studio chaque semaine…

Parmi les tous prochains albums, le volume « piano » de la collection Paris 1900, sous les doigts de Laurent Wagschal, et les Suites de Bach interprétées de manière nouvelle et singulière par l’altiste Pierre-Henri Xuereb. Et pour 2024 j’annonce déjà quatre moments forts :

  • Une version remarquable du fameux Octuor de Franz Schubert par les solistes de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, avec qui nous avons entamé une étroite collaboration depuis 2013.
  • L’intégrale de la musique de chambre du génie Henri Dutilleux qui nous a quitté il y a dix ans.
  • La musique de Ravel et Fauré avec le jazzman Hervé Sellin dans la collection « Jazz Impressions» débutée avec la musique de Debussy puis de Michel Legrand.
  • L’intégrale de la musique de chambre, et celle pour piano solo de Gabriel Fauré, par Laurent Wagschal (6 disques).

 

Nous donnons également l’opportunité aux jeunes musiciens d’enregistrer leur album. Citons Adi Neuhaus, héritier d’une lignée d’immenses pianistes et prochainement le jeune Titien Collard, dont l’éclosion devrait être impressionnante.

 

J’ai la conviction que notre marque fusionnée « indéSENS Calliope » a réussi l’intégration de la tradition discographique française héritée de Calliope et sa mutation vers le monde actuel avec indéSENS records, se préparant ainsi de remporter les défis numériques de demain. Pour que vive la Musique !

 

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