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En Arabie saoudite, un projet touristique à 800 milliards de dollars

arabie saouditePhoto prise le 25 avril 2019 montrant l’entrée de la ville de Qiddiya, au sud de la capitale Riyadh. | Source : Getty Images

L’Arabie saoudite est en pleine expansion : le royaume du Moyen-Orient crée des îles privées, des hôtels de luxe, des parcs à thème, des ports de croisière et même une station de ski en plein désert. Une question demeure : qui pour venir profiter de ces installations ?

Article de Suzanne Rowan Kelleher pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Quelle que soit l’idée que vous vous faites de l’Arabie saoudite en tant que destination de voyage, le pays est sur le point de subir une profonde transformation. Imaginez Sindalah, par exemple, une île privée sept étoiles comprenant trois complexes hôteliers de luxe, 38 restaurants haut de gamme et plusieurs marinas pour superyachts. Ou encore Qiddiya, une ville futuriste de 600 000 habitants en plein désert dédiée aux sports électroniques et aux jeux. Que dire de Trojena, une station de ski de l’ère spatiale construite au-dessus du désert ? Ou encore The Red Sea, un vaste paysage aquatique composé de 50 resorts de luxe et de 8 000 chambres d’hôtel réparties sur 22 îles dans un archipel de type Maldives, entièrement alimenté par l’énergie éolienne et solaire ? Le projet The Rig, un parc d’attractions et d’aventures de cinq milliards de dollars construit sur une plateforme pétrolière offshore, est également en préparation. En outre, l’Arabie saoudite se positionne comme une destination de croisière majeure, Cruise Saudi ayant récemment acheté un navire de 300 millions de dollars. Dans tout le royaume, de nouvelles routes, de nouveaux aéroports, des terrains de golf et des terminaux de croisière sortent du sable. La carte du pays est littéralement redessinée en temps réel.

 

Aspiration autrefois saugrenue

Et puis il y a tous les nouveaux hôtels, avec leurs milliers de chambres fraîchement construites. Les entreprises hôtelières les plus emblématiques du monde (Ritz-Carlton, Four Seasons, St. Regis, Fairmont, Marriott, Hilton, Hyatt et InterContinental) se bousculent pour s’engouffrer dans une filière de construction qui tourne à plein régime comme nulle part ailleurs dans le monde. L’un ou l’autre de ces projets pourrait momentanément troubler l’attention fugace de l’industrie du voyage. Cependant, dans l’ensemble, ce qui se passe en Arabie saoudite ne peut tout simplement pas être ignoré.

En effet, il est souvent difficile de visualiser l’immensité de la transformation physique de l’Arabie saoudite. Certains des projets en cours les plus remarquables, dont Sindalah, l’île privée sept étoiles, et Trojena, l’improbable station de ski dans le désert, s’inscrivent dans le cadre du projet NEOM, une région construite de toutes pièces dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite pour 500 millions de dollars, où le Royaume crée de nouvelles villes, des stations balnéaires et d’autres infrastructures. D’une superficie de 26 418 km2 et délimitée par la mer Rouge au sud et le golfe d’Aqaba à l’ouest, cette région est à peu près de la taille de l’Albanie.

Financé principalement par le Fonds d’investissement public (PIF) du Royaume, doté de 700 milliards de dollars, le projet NEOM est né de Vision 2030, le grand plan de l’Arabie saoudite pour se défaire de sa dépendance historique au pétrole et diversifier son économie. L’un des piliers de ce plan consiste à réinventer le pays en tant que géant mondial du tourisme. Lorsqu’ils ont été annoncés pour la première fois en 2016, les objectifs du Royaume en matière de tourisme semblaient fantaisistes : attirer 100 millions de visiteurs chaque année et faire passer la part du tourisme dans l’économie d’environ 3 % à 10 %. Et tout cela en seulement 14 ans.

Cette aspiration semblait d’autant plus saugrenue qu’en 2016, l’Arabie saoudite n’avait pas encore ouvert ses portes aux voyageurs de loisirs internationaux. À l’époque, les voyages dans le Royaume étaient presque entièrement réservés à trois types de personnes : les travailleurs expatriés, les détenteurs de visas d’affaires et les pèlerins religieux visitant les villes saintes de La Mecque et de Médine.

Puis, en 2019, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle fournirait des visas électroniques et des visas à l’arrivée aux visiteurs de 49 pays. Parmi les autres changements annoncés à l’époque : les femmes en voyage dans le pays seraient exemptées du port de l’abaya dans les lieux publics et seraient autorisées à voyager sans compagnon masculin. Les touristes seraient toujours tenus de s’habiller convenablement et la Mecque resterait interdite aux non-musulmans.

 

Un investissement considérable pour développer le tourisme

Depuis que l’Arabie saoudite s’est ouverte au marché international du voyage, la rapidité et l’absence de dépenses de sa transformation ont étonné même les analystes touristiques les plus chevronnés. « Nous assistons à des plans extrêmement ambitieux et à un développement considérable », déclare Caroline Bremner, responsable de la recherche sur les voyages et le tourisme chez Euromonitor International. « Des milliards, voire des milliers de milliards de dollars sont investis dans les infrastructures et la diversification de l’économie. Le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) estime que le Royaume a déjà dépensé 800 milliards de dollars, sans compter les investissements étrangers massifs qui affluent. »

La pandémie a bien sûr retardé certains projets, mais plutôt que de revoir leurs attentes à la baisse, les Saoudiens ont revu leur objectif à la hausse : 150 millions de visiteurs par an d’ici 2030. C’est là que la sémantique entre en jeu. Dans le langage touristique, un « visiteur » est défini comme une personne qui visite un site dans le pays, ce qui est très différent de ce qu’Euromonitor considère comme une « arrivée », c’est-à-dire une personne qui passe une nuit sur place. L’Arabie saoudite a enregistré plus de 24 millions d’arrivées étrangères en 2023 et en accueillera près de 37 millions en 2030, selon les projections d’Euromonitor. « Si chacun de ces 37 millions de touristes d’un jour visite trois sites, vous avez pratiquement atteint les 100 millions de visites », explique Caroline Bremner. « Si l’on ajoute à cela les visiteurs nationaux, les objectifs que le pays s’est fixés sont tout à fait réalisables. »

Une mesure plus significative du succès est le montant que les étrangers sont censés dépenser pendant leur séjour en Arabie saoudite. Euromonitor prévoit que les touristes internationaux dépenseront 38 milliards de dollars en 2030. Cependant, l’impact économique total pour l’Arabie saoudite sera bien plus important si l’on ajoute les dépenses des voyageurs nationaux et l’effet d’entraînement avec la création d’un million de nouveaux emplois dans le secteur du tourisme. Le WTTC prévoit que, d’ici 2032, le secteur du tourisme en Arabie saoudite pourrait contribuer au PIB à hauteur de 169 milliards de dollars, soit 17,1 % de l’ensemble de l’économie saoudienne.

« N’oubliez pas qu’ils construisent cette destination à partir de rien, essentiellement pour le marché international, et qu’ils font appel à ce qu’il y a de mieux en termes de qualité des personnes avec lesquelles ils travaillent », déclare Caroline Bremner. « Je vois qu’ils ont pensé à tous les aspects du tourisme, du personnel au produit, en passant par la marque, le service, la connectivité et la durabilité. On a vraiment l’impression qu’ils construisent quelque chose pour le siècle à venir. »

 

S’adapter à la demande

Préparer l’avenir, c’est aussi reconnaître le changement radical de ce que voudront les prochaines générations de voyageurs mondiaux. Environ 90 % des jeunes voyageurs chinois et 70 % des voyageurs de la génération Z au Royaume-Uni, en Australie et en Inde déclarent vouloir découvrir de nouvelles destinations, selon les données de Skift Research. En ce sens, le fait d’être le nouveau venu dans le secteur du tourisme est un énorme avantage.

« Les nouvelles générations disposent de beaucoup plus d’informations grâce aux réseaux sociaux », a déclaré Billy Canellas, responsable de la gestion des actifs pour NEOM, aux participants à la conférence du Skift Global Forum East en décembre. « Les jeunes voyageurs sont très bien informés sur les effets du surtourisme dans les destinations traditionnelles », a-t-il ajouté, notant « une nette tendance vers les destinations écologiques et durables » et un désir d’en savoir plus sur la « culture et les traditions de diversité » d’une destination.

« Le marché du luxe est de plus en plus diversifié et de plus en plus jeune, et il se déplace vers les marchés émergents », explique Caroline Bremner, qui note que les Émirats arabes unis, l’Inde et la Chine sont tous très attrayants pour ce groupe démographique. « Nous avons ce voyageur de luxe au visage frais, et il ne s’agit pas de l’ancienne génération traditionnelle de voyageurs avec beaucoup d’argent. Il s’agit du voyageur de luxe du Nouveau Monde, très numérique, très soucieux de l’environnement et pour qui l’impact social est important. »

« Ne vous y trompez pas », déclare Geoff Freeman, PDG de la U.S. Travel Association, « l’Arabie saoudite identifie les voyageurs les plus importants, ceux qui sont prêts à dépenser beaucoup d’argent pour vivre des expériences, et se demande comment aller les chercher ».

 

Une vision pour l’avenir, mais qui comporte des risques

Bien entendu, la grande vision saoudienne peut déraper de bien des façons. Tout d’abord, il existe d’énormes risques financiers inhérents au fait de s’attaquer à tant de projets gigantesques en même temps, même pour un pays dont les poches sont pleines à craquer. « Les Saoudiens ont une dette publique de 82 % par rapport aux recettes de l’État », explique Caroline Bremner, qui note que la dette publique officielle en pourcentage du PIB s’élevait à 23,8 % en 2023. Cependant, tout est relatif. Le ratio dette/PIB du Royaume a presque doublé par rapport à ce qu’il était il y a dix ans, mais il reste assez faible par rapport à d’autres pays. Par exemple, la dette publique de la Suisse s’élève à 41 % du PIB. La dette des gouvernements américain et canadien s’élève respectivement à 133 % et 106 % du PIB. La dette du Royaume-Uni s’élève à 98 % du PIB.

La plus grande inquiétude de Caroline Bremner est la surcapacité hôtelière, qui finirait par faire baisser les prix. « Ce positionnement de luxe va subir une légère érosion, parce que [les Saoudiens] agissent si rapidement. Avec un tel niveau d’offre, il est assez difficile de trouver un équilibre », explique-t-elle, ajoutant que le dernier modèle de prévision d’Euromonitor prévoit que les dépenses du voyageur moyen auront déjà chuté d’ici 2030. « Trop de chambres d’hôtel qui ne sont pas occupées feront baisser les prix, c’est donc un risque. »

En outre, l’Arabie saoudite souffre d’un problème persistant de relations publiques auprès de nombreux voyageurs potentiels, notamment occidentaux. Le Royaume possède encore des lois strictes sur la consommation d’alcool et des restrictions sévères pour les femmes, sans parler des accusations de violations des droits humains et d’attaques contre les journalistes. En 2021, les États-Unis ont officiellement accusé le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman pour le meurtre en 2018 du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi.

 

De nombreux investissements à l’échelle internationale

Cependant, les préoccupations sur les droits humains n’ont pas empêché les multinationales d’investir dans la grande vision du Royaume. « Pour certains acteurs, il s’agira d’une question très importante, peut-être une barrière complète à l’entrée », déclare Caroline Bremner. « Toutefois, nous constatons que la majorité des marques d’hôtels de luxe ont déjà quitté la Chine et les Émirats arabes unis pour s’installer en Arabie saoudite. »

Après tout, le marché international du voyage n’aime rien de plus qu’une nouvelle destination brillante dans un marché émergent et, en ce moment, le Moyen-Orient a le vent en poupe. « Le Moyen-Orient se trouve dans une situation idéale, comme la Turquie, à cinq heures de vol de l’Asie et de l’Europe occidentale. »

Même avec le début de la guerre entre Israël et le Hamas en octobre dernier, le Moyen-Orient était la région touristique qui connaissait la plus forte croissance en 2023, avec des arrivées internationales de 23 % supérieures aux niveaux d’avant la pandémie, selon le Tourism Recovery Tracker de l’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies. Ce chiffre est supérieur de 35 % à la moyenne mondiale, alors que le reste du monde accuse toujours un déficit de 12 points par rapport au volume de visiteurs de 2019.

Alors qu’un peu plus de trois millions de touristes américains ont visité la région en 2023, ce qui représente 12,6 % du total des touristes américains à l’étranger, il s’agit d’une augmentation massive de 39 % par rapport à 2019. Et bien que la part des touristes américains au Moyen-Orient soit inférieure à celle de l’Europe (40 %) et de l’Asie (15,7 %) l’année dernière, c’est la seule de ces trois régions qui ait progressé depuis la pandémie.

Cependant, Geoff Freeman ne s’inquiète pas de la capacité de l’Arabie saoudite à attirer un grand nombre de touristes américains. « Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils essaient d’attirer des Européens, des Moyen-Orientaux très dépensiers et des Asiatiques qui, autrement, seraient venus dépenser leur argent aux États-Unis », explique-t-il.

Après tout, selon Geoff Freeman, le tourisme international est un sport de plus en plus compétitif où les gains d’un pays font les pertes d’un autre : « Ce qui nous fait réfléchir, c’est que d’autres pays se rendent compte que le voyage est une compétition mondiale pour savoir qui peut attirer le client. »

 


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