Palme d’or en 2021 pour Titane, Julia Ducournau revient à Cannes en compétition officielle avec Alpha, un film plus intime, hanté par les fantômes des années sida, mais toujours habité par ses obsessions de la transformation du corps. Un film qui nous laisse néanmoins sur notre faim.
Certains films laissent un goût d’inachevé, mais s’imposent à notre mémoire avec insistance. Alpha appartient à cette catégorie. Julia Ducournau y poursuit son exploration du corps : adolescent, médical, mourant… On y retrouve pourtant ce qui fait la singularité de son regard, à savoir une image dense, sensuelle, organique, et cette manière très picturale de figer les corps dans une sacralité étrange. Certaines scènes comme les mourants qui se changent en statues de marbre nous évoquent la Pietà de Michel-Ange, tandis que l’ombre de Nan Goldin plane sur cette façon de capter la chair malade, abîmée, mais toujours aimante. Chaque séquence semble pensée comme un tableau vivant, où la composition, la lumière et les postures traduisent une vision profondément sensorielle du cinéma, et où l’émotion passe autant par la chair que par le récit, en embrassant la monstruosité comme langage de liberté.
Porté par une bande-son marquante (l’ouverture sur Portishead), le film s’ancre dans les années 1980-1990, époque où le sida constituait autant une maladie qu’une menace identitaire. Fille de médecins, Ducournau y convoque une peur diffuse, avec une épidémie fictive, miroir à peine voilé du VIH.
Si la mise en scène est souvent saisissante, elle flirte parfois avec le maniérisme. À force d’accumuler les effets – flash-back parallèles, personnages évanescents – le récit perd en cohérence. Mais il reste les fulgurances. Le personnage d’Amin, oncle d’Alpha, est incarné par un Tahar Rahim méconnaissable : amaigri de vingt kilos, le corps noueux, veiné, tendu, il livre une performance physique et émotionnelle bouleversante, digne d’une récompense. Il est à la fois témoin et victime de l’époque, vivant et mourant, suspendu dans un entre-deux.
Au fond, Alpha ressemble à l’impression qu’il laisse : floue, ambivalente. On y trouve matière à admiration et à frustration. Ce n’est peut-être pas le meilleur film de la réalisatrice, mais il recèle de grandes idées et confirme que son cinéma n’est jamais tiède. Et l’on attend déjà le prochain.
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