Derrière chaque transaction bancaire se cache un enjeu de souveraineté. Maîtriser ses infrastructures de paiement, c’est garantir la sécurité des flux économiques, favoriser l’innovation locale et l’inclusion, et préserver l’autonomie numérique des États. Un enjeu de taille dans un contexte géopolitique complexe et imprévisible.
Une contribution par Philippe Delanoue, PDG de Giesecke+Devrient France
Les paiements souverains : efficacité, inclusion, sécurité
Alors que les grandes plateformes internationales façonnent l’expérience utilisateur, plusieurs pays ont fait le choix de réinventer les paiements depuis chez eux. L’Inde, pionnière avec son interface de paiement unifiée (UPI), en est l’illustration la plus emblématique. Développé avec le soutien de la Banque centrale, ce système permet des transferts de banque à banque, simplement via un QR code. Il est à la fois accessible, rapide à déployer, et massivement adopté.
Même logique au Brésil, où l’écosystème fragmenté a laissé place à PIX, la solution de paiement instantané lancée par la Banque centrale en 2020. En mars 2025, plus de 6,25 milliards de paiements avaient été réalisés via PIX, en hausse de 30 % sur un an.
Ces nouveaux écosystèmes de paiement ont été conçus lorsque les déploiements existants ne parvenaient pas à s’adapter efficacement aux usages numériques et aux nouveaux cas d’usage. Développer une technologie de paiement souveraine a donc permis à un public plus large, commerçants comme consommateurs, d’accéder à des paiements numériques plus inclusifs.
Au-delà du paiement, l’expérience utilisateur
Les paiements ne sont plus qu’un simple acte de transfert d’argent. Ils ouvrent la porte à des expériences plus complètes : programmes de fidélité, offres personnalisées, recommandations contextuelles. Encore faut-il que les acteurs locaux puissent accéder et gouverner les données sous-jacentes. L’établissement d’une autorité et d’un contrôle sur les systèmes de paiement sous-jacents et autres écosystèmes de paiement permettra aux institutions financières de faciliter cette expérience enrichie pour les consommateurs. La clé sera d’équilibrer l’utilisation des données pour améliorer à la fois l’expérience utilisateur, la prévention de la fraude et l’offre de ces services additionnels.
Un défi que souhaite relever la STET, le plus grand système de paiement de détail européen en volume et en valeur. Elle a récemment annoncé l’introduction d’un système de paiement Click to Pay en France à partir de 2026. Conçu par des acteurs européens, ce système permet d’avoir accès instantanément à ses cartes de paiement sur tous les appareils, sans avoir besoin de saisir à nouveau les informations de paiement. Une simplification des achats en ligne pour des parcours sécurisés et fluides. L’opportunité également de maximiser le taux de conversion du panier pour les e-commerçants, tout en offrant une alternative robuste et efficace aux solutions de paiement d’e-commerce non européennes, renforçant ainsi la souveraineté dans les paiements numériques.
La gestion des rails apporte indépendance et résilience
Les systèmes de paiement sont aujourd’hui soumis à une pression et une concurrence croissantes, parallèlement à la multiplication des obligations en matière de commerce électronique et d’inclusion des paiements. Les commerçants peinent à intégrer une variété croissante de moyens de paiement, car cela nécessite des investissements. Parallèlement, les banques doivent rester visibles et pertinentes à l’ère des portefeuilles électroniques et des plateformes numériques, et les consommateurs doivent identifier les entreprises qui distribuent leurs données et leur argent.
Dans ce contexte, la souveraineté des paiements repose également sur la résilience grâce à une gestion rigoureuse des rails qui reste souvent concentrée entre les mains de quelques géants mondiaux. Reprendre la main sur ces rails permet aux institutions financières de créer de la valeur autour de leurs offres, d’opérer efficacement, de se protéger des risques géopolitiques, tout en respectant la vie privée des utilisateurs et les préférences locales.
Alors que les tensions géopolitiques s’invitent dans le numérique, conserver la maîtrise de ses infrastructures critiques est une nécessité. Cela implique une gestion étroite des rails de paiement, la possibilité d’interopérer localement sans dépendance, et une vision stratégique alignée avec les objectifs et les intérêts nationaux. C’est dans cette souveraineté assumée que réside la véritable capacité d’innovation – durable, locale, et au service de tous.
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