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PGE : Les entreprises vont-elles réussir à rembourser les sommes empruntées ?

Lancé en mai 2020, le Prêt Garanti par l’État (PGE) a mis en œuvre un dispositif exceptionnel de garanties permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros. Si la mesure a permis de soulager temporairement la trésorerie des TPE et PME, reste à savoir si elles seront en capacité de rembourser les emprunts souscrits. C’est la question que Forbes a posé à Aurélien Loric, associé au sein du département Corporate / M&A au sein du cabinet Eversheds Sutherland.

 

Combien d’entreprises ont contracté un PGE ?

Aurélien Loric : Environ 800.000 PGE ont été souscrits, par un peu plus de 680.000 entreprises au total[1](les emprunteurs pouvant souscrire plusieurs PGE, dans la limite du plafond applicable). A date, les PGE représentent un montant total d’environ 140 milliards d’euros, garantis jusqu’à 90% par l’Etat. La majorité de ces prêts (110 milliards d’euros) ont été contractés dans les premiers mois de la pandémie, entre fin mars et fin juin 2020[2].

Quels sont les principaux secteurs concernés ?

Aurélien Loric : Les entreprises les plus concernées par les PGE sont les TPE et PME : elles représentent respectivement environ 81% et 14% des entreprises ayant bénéficié de ce dispositif. A l’opposé, les grandes entreprises et les ETI représentent moins de 1.500 bénéficiaires d’un PGE, mais un quart en volume (33,5 milliards) des encours versés. Le secteur du tourisme, le plus touché par la crise sanitaire du Covid 19, puis le BTP et l’automobile, affectés notamment par la guerre en Ukraine, représentent à eux seuls 49,4% des bénéficiaires de PGE[3]. L’automobile, l’industrie manufacturière et les activités financières et d’assurance[4]sont les secteurs qui au total représentent la plus grande part des encours.

A-t-on des chiffres officiels sur la négociation des modalités de remboursement par les entreprises (ou défaillances liées aux PGE) qui témoignent des difficultés conjoncturelles ?

Aurélien Loric : La Banque de France indiquait fin 2021 que seulement 3.944 entreprises bénéficiaires[5] de PGE auraient fait l’objet d’une procédure collective. Plusieurs éléments sont toutefois à prendre en compte pour la lecture de ces chiffres. Les dossiers d’ETI et grandes entreprises sur lesquels nous intervenons représentent une faible part des bénéficiaires de PGE, mais concentrent une part importante des encours. Or, ces acteurs restructurent en priorité leur endettement dans le cadre de procédures préventives, par nature confidentielles et donc hors des statistiques. De plus, si nous n’éprouvons pas encore la vague de restructurations de PGE que certains redoutaient pour la rentrée 2022, les praticiens des restructurations amiables constatent une nette montée du niveau des eaux. A cet égard l’incapacité de paiement n’est pas le seul cas dans lequel un PGE est restructuré. Certaines entreprises se trouvent déjà ou se trouveront dans l’incapacité de réaliser des investissements, ou de lever de nouveaux financements (c’est le debt overhang) : dans ces cas, qui seront plus nombreux mais difficiles à quantifier, une restructuration amiable s’imposera pour préserver la compétitivité et, à terme, la viabilité de l’entreprise. Et ce d’autant plus que les effets de la crise ukrainienne se feront sentir sur les niveaux de trésorerie des entreprises[6].

Aurélien Loric, associé au sein du département Corporate / M&A au sein du cabinet Eversheds Sutherland

Quels sont les facteurs de fragilisation ?

Aurélien Loric : Par nature, le remboursement d’un PGE représente un premier défi : son montant pouvant couvrir jusqu’à 25% du chiffre d’affaires pré-covid (voire plus dans certains cas), un remboursement sur 5 années implique pour l’emprunteur de dégager, chaque année, un excédent de trésorerie supplémentaire de 5% du chiffre d’affaires annuel sur cette période, ce qui est considérable. Si certains secteurs, comme celui du tourisme, ont bénéficié d’un rebond inattendu dans l’après-Covid en France, les nouvelles difficultés conjoncturelles (crise de l’énergie ou de l’approvisionnement, coût des matières premières, tensions sur le marché du travail) risquent de pénaliser la trésorerie des entreprises[7] au moment des premières échéances des PGE. S’y ajoutent les échéances fiscales et sociales repoussées pendant la période du Covid qui impactent aujourd’hui la trésorerie des entreprises, et surtout l’envolée des taux d’intérêts, qui met à risque de nombreux refinancements dans les prochains mois. On constate également que beaucoup d’entreprises sortent de la crise surendettées. Plus de 85% semblent avoir utilisé les PGE seulement pour pallier un manque de trésorerie[8] : lorsqu’il s’agira de financer de nouveaux investissements, ces dettes « historiques » peuvent s’avérer problématiques.

Quelles solutions s’offrent aux entreprises ?

Outre la médiation du crédit et l’étalement facilité jusqu’à 10 ans pour les PGE de moins de 50K€, les procédures préventives « traditionnelles » (mandat ad hoc et conciliation) continuent de démontrer leur grande efficacité, notamment s’il faut également restructurer d’autres dettes (dettes obligataires, dettes fiscales ou sociales), ou pour des montants importants. Au fil des dossiers, on a pu constater l’adaptation du régime des PGE aux contraintes pratiques de ces renégociations, en lien avec les praticiens : désormais, par exemple les PGE peuvent voir leur durée étendue au-delà de six ans, sans déchéance de la garantie de l’Etat, ou être abandonnés ou convertis lorsque nécessaire et cohérent avec la nature de l’entreprise et le traitement des autres dettes. Un exemple topique est la restructuration de Pierre & Vacances, où nous avons conseillé les investisseurs et certains des principaux créanciers, dans le cadre de laquelle diverses opérations de conversion en capital ont été réalisées, notamment concernant le PGE de 240 millions d’euros. La France bénéficie d’un écosystème efficient de praticiens des restructurations amiables : plus le débiteur le saisit en amont, plus la palette de solutions est large.

[1] Banque de France, communiqué au 30 juin 2022

[2] Banque de France, communiqué au 30 juin 2022

[3] Rapport public de la cour des comptes, juillet 2022

[4] Banque de France, communiqué au 30 juin 2022

[5] Sur 650.000 bénéficiaires de prêts garantis par l’Etat, moins de 4.000 ont fait défaut | Les Echos (données de la Banque de France auxquelles ont eu accès les Echos, 15 octobre 2021).

[6] Communiqué de presse – Banque de France, 12 juillet 2022 (document n°2, p3)

[7] Communiqué de presse – Banque de France, 12 juillet 2022 (document n°2, p3)

[8] Analyse des prêts garantis par l’Etat – Trésor

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