Banques, ONG, États : qui financera vraiment le futur des pays en développement ?
Une contribution de Jean- Michel Huet, associé du cabinet BearingPoint
Et si les pays en développement pouvaient être les gagnants des turbulences de ce début 2025 ? Peu évoquées dans les discussions récentes, ces économies pourraient tirer leur épingle du jeu si leurs dirigeants se donnent les moyens d’agir. La réunion des ministres de l’Économie du G20 qui s’est tenue fin février à Johannesburg a aussi marqué le sommet du FiCS (Finance in Common), qui réunit les quelque 500 banques de développement dans le monde, notamment pour présenter une étude rappelant le rôle de ces acteurs méconnus. Contrairement aux idées encore récemment véhiculées, l’aide au développement est majoritairement faite de prêts, la partie « dons » (subventions et prêts bonifiés) restant très minoritaire.
Les décisions de fin janvier de la nouvelle administration américaine a permis de mettre en lumière les spécificités de la répartition des rôles entre les américains et les européens. Pour faire simple, les américains s’occupent (ou s’occupaient) de l’aide humanitaire avec notamment l’USAID (40 milliards de dollars l’an dernier dont 13 milliards pour l’Ukraine, le reste pour essentiellement des pays africains) tandis que les européens (et les banques multilatérales) de l’aide au développement.
Le bouleversement actuel n’est pas qu’américain. Même si le choc autour de l’USAID est sans précédent, l’aide au développement est aussi en baisse en France (de 6 milliards à 4milliards d’euros) tout comme en Allemagne, initialement sous l’effet des questions de bonnes gestions des finances publiques et avant même tout impact sur la hausse des budgets de la défense.
Ces annonces sont peut-être l’occasion d’une refonte du rôle des acteurs sur ces sujets, mais aussi de la place des pays en développement. D’une part, il s’agit peut-être pour ces pays de prendre plus leur destin en main sur la partie développement. Plusieurs d’entre eux en faisaient la demande, c’est l’occasion. Les banques de développement africaines sont en plein essor (avec le soutien technique d’acteurs tel l’AFD comme c’est le cas en Côte d’Ivoire cette année) et c’est une occasion de renforcer cette dynamique.
C’est aussi l’occasion de renforcer le soutien aux organismes de financement privé des entreprises locales, probablement en jouant plus sur des garanties bancaires coté des institutions internationales. Du fait de la faible épargne des ménages dans de nombreux pays en développement (souvent autour de 15 % de taux de bancarisation), les PME y demeurent faiblement soutenues : l’économie de ces pays est en moyenne quatre fois moins financée que celle du reste du monde !
La conjoncture actuelle pourrait donc favoriser un aggiornamento des financements avec, d’une part, les institutions européennes et multilatérales plus en soutien au financement de l’économie (via les banques de développement africaines) et des entreprises ; une vraie structuration de financement africain ; une aide humanitaire (qui demeure nécessaire notamment sur les questions alimentaires et de santé) également refondue avec moins de poids des États-Unis et plus des associations / ONG par exemple, qui devraient faire plus d’effort pour collecter des fonds du public et non dépendre de structures telles l’USAID.
Ce changement est cependant conditionné à des évolutions tant du côté des institutions internationales que des pays en développement eux-mêmes. Pour les institutions internationales, une orientation plus « pro-business » fait sens avec notamment le paiement direct des entreprises sans passer par des unités de gestions locales dont l’inefficacité est souvent couplée avec de la corruption. La Banque Mondiale va dans ce sens en modifiant ces principes et favorisant ce paiement direct. D’autres moyens de financement des entreprises locales peuvent aussi être proposé avec des mécanismes de garantie, d’assurance ou des outils pour gérer les fluctuations monétaires. Du côté des pays concernés, c’est le moment pour les dirigeants de prendre leur destin économique en main, mais ceci nécessite à la fois de renforcer les conditions de marché favorables (environnement des affaires, justice indépendante, stabilité fiscale, etc.) et la coopération entre pays pour lever des fonds.
Tous ces changements ne sont pas faciles, car ils bousculent des manières de diriger qui datent de plusieurs décennies. Mais dans le chaos actuel, ils peuvent être un moyen de refonder l’approche du financement. Le concept d’aide publique au développement est devenu désuet, voire caduque, pour beaucoup d’acteurs en 2025. Il est temps de responsabiliser les parties prenantes sur les moyens d’obtenir de vrais financements, et de distinguer clairement ce qui relève de l’humanitaire (urgence, alimentation, santé, collecte de fonds par les ONG), du financement des entreprises (qui devront créer les emplois des 1,4 milliard d’actifs dans 20 ans sur plus de 2 milliards d’habitants dans ces pays), et du soutien aux États, à concentrer sur les fonctions essentielles plutôt que sur le renforcement d’administrations locales inefficaces. Le renforcement des États doit par exemple les aider à disposer de meilleurs outils pour lever correctement des impôts, et éviter que les recettes ne disparaissent dans certaines poches.
L’occasion est donc réelle de changer la donne !
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