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Banque mondiale : « Nous voulons toujours réduire la pauvreté mais sur une planète viable ! »

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La Banque mondiale est une gigantesque institution méconnue qui brasse des milliards de dollars pour venir en aide aux pays pauvres. Depuis quelques années, elle a érigé le changement climatique en priorité ultime. Nous avons rencontré à Marrakech, en marge des Assemblées annuelles de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) qui ont eu lieu à la mi-octobre, son DG senior. Axel van Trotsenburg, économiste autrichien et francophone, est en charge des politiques de développement.

Propos recueillis par Yves Derai. Un article issu du numéro 25 – hiver 2023, de Forbes France

 

L’Assemblée annuelle de la Banque mondiale a eu lieu en octobre dernier à Marrakech, pour la première fois en Afrique depuis un demi-siècle. C’est un événement historique ?

AXEL VAN TROTSENBURG : Je rappellerais tout d’abord qu’elle a lieu à Washington deux ans de suite et la troisième année dans un autre endroit. De nombreux pays sont intéressés par cet événement dont le Maroc qui devait l’accueillir en 2021, mais cela n’a pas pu se faire à cause de l’épidémie de Covid-19. Cette année 2023 coïncide, en effet, avec le 50e anniversaire de notre dernière Assemblée annuelle en Afrique, un continent très important pour nous puisqu’il correspond à près de 50 % de notre engagement total. En 2000, il ne représentait que 15 %, la progression est énorme ! En valeur absolue, nous sommes passés de 3 milliards de dollars par an à 34 milliards.

 

Il s’agit de subventions ou de prêts ?

A.V.T. : Les deux. À l’origine, il y avait la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD) créée en 1944 à Bretton Woods. Nous offrons des crédits sur 40 ans avec 0 % d’intérêt. Il existe aussi un fonds qui se reconstitue tous les trois ans, l’Association internationale de développement (IDA) créée en 1960. Lors de la 20e reconstitution de l’IDA en 2021, nous avons levé 93 milliards de dollars pour les pays pauvres grâce à nos bailleurs et aux remboursements des prêts antérieurs. Sur les trois dernières années, 70 milliards de dollars sont allés vers l’Afrique. La Banque mondiale est une institution qui s’inscrit dans le long terme.

 

En dehors de l’Afrique, quelles sont les zones géographiques les plus importantes pour la BM ?

A.V.T. : Au départ, l’IDA a été fondée pour aider les pays d’Asie, notamment l’Inde, le Pakistan, la Chine, le Bengladesh et le Vietnam. Nous considérons avoir réussi quand ces pays n’ont plus besoin de nos aides. Aujourd’hui, une partie des ressources IDA continue de soutenir des pays d’Asie mais aussi Haïti, le Yémen, et différents pays vulnérables au changement climatique comme des îles du Pacifique et des Caraïbes.

 

Pour revenir à l’Afrique, quelles sont ses perspectives économiques ?

A.V.T. : Elle sont plutôt bonnes. Un pays comme l’Égypte ne fait plus appel à l’IDA. Le Kenya, le Nigéria, l’Afrique du Sud ou le Maroc n’utilisent plus que la BIRD. Mais plusieurs pays africains sont aussi très sensibles aux effets du changement climatique qui suscitent de nouveaux défis et de nouveaux besoins.

 

Quand l’un de ces pays doit affronter soudainement une catastrophe naturelle, comme le Maroc qui vient de subir un violent séisme, quelle est votre capacité d’intervention ?

A.V.T. : Qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de pandémies ou de conflits, nous proposons différentes facilités de financement aux pays affectés qui nous amènent à restructurer notre portefeuille pour libérer des ressources. Certains crédits sont prévus à cet effet et, lorsqu’il y a urgence, nous sommes capables de réagir très rapidement. Nous intervenons à court terme puis dans le long terme, quand vient le temps de la reconstruction. J’ai coutume de dire que la Banque mondiale est encore là quand les caméras sont parties.

 

Vous pouvez nous donner un exemple ?

A.V.T. : Bien sûr ! Lors de la pandémie de Covid-19, nous avons assuré le financement des vaccins dans certains pays. Puis nous avons consolidé les systèmes de santé là où ils étaient défaillants afin que ces pays soient mieux préparés en cas de nouvelles pandémies. Nous avons parfois une action préventive.

 

Comment exercez-vous votre devoir de vigilance sur les dépenses concernant les fonds que vous attribuez ?

A.V.T. : Nous avons une obligation fiduciaire vis- à-vis de nos États membres, dont les contributions sont approuvées par voie parlementaire. La BM possède un puissant système de contrôle de l’argent qu’elle distribue. En cas de défaillance, nous avons les moyens d’investiguer.

 

Et en cas de soupçons de corruption ?

A.V.T. : Nous commandons des investigations indépendantes afin d’assurer la qualité de l’enquête. Lorsque nous identifions les corrupteurs, ils sont placés sur une liste noire et doivent procéder au remboursement des sommes détournées. Certaines entreprises très connues ont été visées par nos investigations dans le passé. Pour éviter ce genre de tracas, il faut que, lorsque nous apportons du financement pour des infrastructures, par exemple, les auditions d’entreprises dans le cadre d’attribution de marchés soient très claires.

 

Quels objectifs prioritaires la BM poursuit-elle aujourd’hui ?

A.V.T. : Toujours répondre aux besoins des pays pauvres à court terme et à plus long terme, réduire la pauvreté. Ce qui implique de lutter contre les effets du changement climatique. Cette nouvelle donne nous a conduits à réformer l’institution afin d’être plus efficaces dans ce domaine précis. Désormais, la vision de la BM se résume ainsi : réduire la pauvreté sur une planète viable.

 

Pour cela, vous collaborez avec les ONG ?

A.V.T. : Nous finançons les projets via les gouvernements. Et nous travaillons avec le secteur privé via un organisme dédié. Pour certains projets, nous pouvons intervenir en coordination avec les ONG, surtout dans les domaines social et agricole. Et durant les Assemblées annuelles, nous écoutons les critiques des ONG qui sont souvent pertinentes, ainsi que celles des communautés.

 

Qu’entendez-vous par « communautés » ?

A.V.T. : Par exemple, lorsqu’on s’occupe des zones rurales au Sahel, on travaille plus spécifiquement sur les femmes et les filles qui forment les populations les plus affectées par tous les aspects du développement.

 

Vous avancez le changement climatique comme une priorité de la BM. Comment cela s’inscrit-il dans les faits ?

A.V.T. : Nous avons doublé notre engagement financier depuis 2019, passé de 14 milliards de dollars à 29 milliards en juin 2023. Si on ajoute l’apport du secteur privé, on arrive à un chiffre de 38 milliards. C’est plus que tous les financements additionnés des membres du G7 aux pays en voie de développement. Et nous allons poursuivre car les besoins sont de plus en plus importants. Cela va des actions d’humidification des zones frappées par la sécheresse à la promotion des énergies renouvelables dans les pays en développement. Il faut accompagner les pays qui veulent sortir du charbon, surtout en Asie. Voilà notre grand défi.

 

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