Une tribune écrite par Arthur Chabrol, Associé chez Oliver Wyman
Une culture financière en hausse mais insuffisante
Historiquement, notre pays n’est pas féru des sujets financiers. Du moins pourrait-on dire que les questions relatives à la gestion de l’argent n’ont jamais eu la place qu’elles méritent dans l’éducation des Français. Cette culture tend heureusement à changer, les jeunes générations montrent une curiosité certaine pour ces sujets, au-delà des comportements traditionnels d’épargne via des placements sûrs comme l’assurance-vie ou les livrets. En étant mieux renseignés par le biais académique, sur les réseaux sociaux (influenceurs financiers) ou par l’intermédiation commerciale, les jeunes investisseurs ont un goût du risque plus prononcé et se tournent vers d’autres types de placements, à l’image des ETF ou des cryptomonnaies. Plus rapides, plus accessibles, moins chers et surtout intégrés au sein d’une expérience utilisateur digitale, fluide et quasi autonome.
Voilà ce qui est offert par les nouvelles plateformes de l’épargne : la promesse d’un placement simple à l’exécution et au rendement plus immédiats. Mais la facilité du parcours utilisateur et le fléchage informationnel – à défaut d’avoir un vrai conseil – garantissent-ils pour autant la sécurité de ces jeunes investisseurs ? Non, car dans bien des domaines, et à plus forte raison pour l’épargne, l’expertise s’acquiert avec beaucoup de pratique. Or l’accessibilité des plateformes (mise à disposition de plus de 25 000 fonds d’investissement gérés par près de 2500 sociétés de gestion) permet autant aux profils experts que novices d’investir rapidement. Donnant parfois l’impression d’appréhender l’épargne comme un pari sportif. « Investissez malin, pronostiquez mieux » peut-on déjà lire sur certains sites anglo-saxons… C’est évidemment un risque car la probabilité de choisir un mauvais produit est alors très élevée. Il est ainsi impératif de protéger au mieux les épargnants.
Mieux réguler les plateformes en ligne
Il ne s’agit pas de diaboliser ces nouveaux acteurs qui, à bien des égards, sont autant des plateformes d’investissements que des endroits ludiques où l’on se forme. Ce dernier aspect n’est clairement pas assez développé et coercitif. Mieux protéger les épargnants signifie donc, dans un premier temps, appliquer les mêmes contraintes règlementaires pour tout le monde : contrôle anti-blanchement, harmonisation de la surveillance en Europe. La supervision et la régulation européennes doivent s’y adapter plus rapidement et mettre plus de pression sur ces nouveaux acteurs.
Le devoir de conseil est l’autre défi majeur de ces plateformes. Il est impératif de s’assurer du bon niveau de connaissance de l’utilisateur et de ses préférences. Autrement dit, si le degré de connaissance n’est pas aligné avec les orientations de placement envisagées, la plateforme devrait proposer une formation adaptée et certifiante. Ce conseil doit également se poursuivre et être amélioré une fois sur la plateforme : au moment du choix du produit et lors du suivi du placement. Si le risque zéro n’existe pas, renforcer le parcours de la sorte ne pourra que responsabiliser davantage l’utilisateur avant d’engager ses fonds.
Un risque à l’échelle mondiale
Une question demeure : avec l’augmentation substantielle des placements rapides via ces plateformes, n’est-on pas en droit de craindre une hausse des comportements moutonniers amenant à des mouvements brutaux sur le marché ? L’exemple des ETF européens peut nous donner un embryon de réponse rassurant : si ceux-ci ont augmenté de près de 70% entre 2019 et 2024, avec des encours passant de 1901 à 3237 milliards d’euros, il s’agit surtout d’un bond en termes de flux. Les placements sûrs et conseillés restent largement majoritaires.
À première vue, l’Europe semble être protégée mais rien n’est garanti pour autant. En témoigne le cas américain sur les « même stocks » : l’augmentation des volumes investis sur les plateformes a pu fortement déstabiliser le marché. Des comportements erratiques souvent déclenchés par un déficit de connaissances adéquates. Dans tous les cas, plus les volumes seront importants, plus l’épargne non ou mal conseillée sera dangereuse. Si rien n’est fait en Europe et au-delà, il y a fort à parier qu’elle sera le vecteur de la prochaine crise financière. Et pour éviter ce scénario, l’anticipation n’est pas une option.
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