Les arbitrages entre risque et rendement orientent les flux financiers vers les marchés émergents et les économies en développement. Côté risque, les évaluations restent souvent conservatrices : elles s’appuient davantage sur la solidité financière perçue du pays dans son ensemble que sur le risque réel lié à un projet ou un actif spécifique. Parfois même, ces analyses reposent sur des critères aussi approximatifs que la proximité géographique, plutôt que sur une évaluation fine des risques propres à chaque situation.
Un exemple frappant de décalage entre perception et réalité s’est produit lors du coup d’État de 2023 au Gabon. Cet événement a provoqué un mouvement de retrait des investisseurs bien au-delà des frontières gabonaises, touchant l’ensemble des obligations africaines. Résultat : les coûts d’emprunt ont bondi, y compris pour des pays restés politiquement stables comme le Kenya.
Pourtant, les données historiques montrent que les marchés émergents font souvent preuve d’une résilience supérieure à celle des économies avancées en période de crise. Lors de la crise financière mondiale de 2008, par exemple, les entreprises des marchés émergents ont affiché des taux de défaut nettement inférieurs à ceux observés dans les pays développés.
En matière de recouvrement également, les performances des marchés émergents et des économies en développement sont solides : les taux moyens atteignent 72 %, soit bien au-dessus des moyennes mondiales sur des actifs comparables (59 % pour les obligations mondiales selon Moody’s, 38 % pour les obligations des marchés émergents selon J.P. Morgan).
Une étude de Moody’s va même plus loin : elle révèle que les défauts de paiement sur les prêts à l’infrastructure en Afrique sont deux fois moins fréquents qu’en Europe de l’Ouest, et inférieurs de plus d’un tiers à ceux enregistrés en Amérique du Nord. Autant d’éléments qui soulignent un écart persistant entre le risque perçu de l’investissement en Afrique et les performances observées sur le terrain.
Tous ces éléments suggèrent que les risques liés à l’investissement dans les marchés émergents sont peut-être largement surestimés. Ce fossé entre perception et réalité pousse souvent les investisseurs à passer à côté d’opportunités pourtant viables. Cela dit, certains obstacles structurels demeurent. Les risques de change ou la complexité de certains projets peuvent toutefois être atténués grâce à des outils bien connus comme les couvertures de change, les rehaussements de crédit ou les garanties sur mesure.
Un autre frein réside dans la taille des projets. En 2021-2022, les projets dans les économies émergentes et en développement étaient, en moyenne, trois fois plus petits que ceux des pays à revenu élevé. Plutôt que de chercher à financer chaque projet individuellement, il serait plus judicieux de regrouper les initiatives pour constituer un pipeline structuré d’opportunités bancables, plus attractif pour les investisseurs.
Enfin, mobiliser des capitaux à grande échelle dans ces régions suppose un meilleur alignement entre les objectifs des différentes parties prenantes et des écosystèmes plus cohérents. Cela implique une coopération renforcée entre banques multilatérales de développement, institutions financières de développement, banques commerciales, investisseurs institutionnels, assureurs, agences de notation et fournisseurs de garanties.
Partant de ces constats, notre rapport intitulé « Beyond the Myths: From Perceptions to Practice in Scaling Blended Finance to EMDEs » (Au-delà des mythes : de la perception à la pratique dans le développement du financement mixte dans les économies émergentes et en développement) identifie cinq priorités d’action. Parmi elles : renforcer les infrastructures et la transparence des marchés, développer les capacités et les partenariats locaux, combler les déficits d’information, rétablir la confiance des investisseurs, harmoniser les cadres politiques et les mandats d’investissement, ainsi que promouvoir la normalisation et les mécanismes de certification.
Ensemble, ces leviers peuvent contribuer à déconstruire des idées reçues persistantes, lever les freins à la participation du secteur privé, réduire les coûts d’entrée et prouver que la finance mixte peut être à la fois efficace et rentable. En somme, ils ouvrent la voie à la mobilisation de capitaux privés à grande échelle – essentiels pour soutenir les pays les plus vulnérables face au changement climatique, souvent aussi ceux disposant des ressources les plus limitées pour y faire face.
Une contribution de Nina Seega pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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