Forbes France : Pourquoi le marché de l’or est aussi haut ?
Jean-François Faure : Depuis toujours, l’or est une réponse à l’instabilité. Cela s’est renforcé depuis les années 1970, quand il a été déconnecté du dollar. Depuis, il fonctionne comme un “anti-dollar” : quand le dollar monte, l’or baisse, et inversement.
Dans les années 1980-2000, tout tournait autour de la tech : l’or n’avait aucun intérêt. Puis arrivent la crise des dotcoms et le 11 septembre : le monde devient instable, et l’or retrouve son rôle protecteur. Quand la peur retombe, le cours reflue – jusqu’en 2018.
Depuis, la succession de crises (Covid, inflation, Ukraine, tensions au Proche-Orient, Chine-États-Unis) relance la hausse. Avant, on avait une crise tous les dix ans. Aujourd’hui, c’est presque une tous les quinze jours. L’or suit le rythme. Les files d’attente devant les boutiques d’or, en France comme ailleurs, traduisent une chose : la peur du lendemain.
Comment se caractérise-t-il concrètement ?
J-F.F: En Chine, les épargnants aisés arbitrent désormais entre le luxe et l’or – et choisissent l’or. Ce glissement se fait au détriment des ventes de produits de luxe, surtout en Asie. L’or est perçu comme plus durable, transmissible et liquide.
Le phénomène, déjà ancien en Inde, s’accélère aussi en Chine. Il s’ajoute aux achats massifs des banques centrales, qui cherchent à se dédollariser. Pour elles, l’or est la seule alternative crédible : c’est le cas de la Chine, de la Russie, mais aussi de la Turquie ou de la Pologne. Le monde devient peu à peu bipolaire : le dollar d’un côté, l’or de l’autre.
En France, les échanges restent dynamiques, avec toujours plus d’achats que de ventes, même si le marché est moins tendu qu’à l’époque du Covid. Certains revendent pour transmettre, d’autres renforcent leurs positions.
Le cours, lui, semble un peu au-dessus de sa réalité économique. Une correction de 15 à 20 % serait saine, mais la tendance de fond reste haussière, portée par la dépréciation des monnaies. Et, clin d’œil du moment : le Bitcoin joue parfois le rôle de “stablecoin” de l’or. Les investisseurs jonglent entre les deux selon les cycles – un jeu fascinant entre deux refuges modernes.
En quoi l’or physique se distingue-t-il des autres formes d’investissement – actions, immobilier, crypto – dans ce contexte d’incertitude politique et géopolitique ?
J-F.F: L’or se distingue des autres actifs comme votre assurance automobile se distingue de votre voiture. Vous avez une maison ? Très bien. Mais avez-vous une assurance incendie ? Oui, forcément. Vous ne vous posez pas la question, parce que si elle brûle, vous êtes content d’être couvert.
L’or, c’est pareil. Quand vos actions chutent de 30 % – comme en 2008 ou pendant le Covid – vous êtes heureux d’avoir de l’or pour compenser et équilibrer vos pertes. Les gains de l’un contrebalancent les pertes de l’autre. L’or protège aussi bien pendant les périodes inflationnistes que déflationnistes. C’est une monnaie stable, même si cela peut paraître paradoxal à court terme. Sur le long terme, sa valeur change peu lorsqu’on la compare à d’autres biens réels.
Le prix de l’or reflète simplement l’équilibre entre le coût d’extraction et le pouvoir d’achat du travail humain. C’est une équation économique et humaine. Sauf qu’en ce moment, on est dans une période de déconnexion : les gens achètent de l’or non plus pour sa valeur intrinsèque, mais parce qu’ils voient d’autres en acheter. C’est le fameux FOMO, la “peur de rater le train”. C’est émotionnel, dopaminé, presque irrationnel.
Mais l’or a toujours eu une dimension irrationnelle : fantasme, désir, symbole de pouvoir. C’est sans doute l’actif qui a provoqué le plus de morts dans l’histoire : des conquistadors espagnols aux Romains en passant par les rois européens. Les guerres pour l’or ont façonné l’histoire. Aujourd’hui, on ne se tue plus pour lui, mais il conserve cette charge émotionnelle.
Depuis toujours, l’or a-t-il servi de valeur refuge dans les périodes d’incertitude ?
J-F. F : Depuis toujours, l’or est une réponse à l’instabilité. Cela s’est renforcé depuis les années 1970, quand il a été déconnecté du dollar. Depuis, il fonctionne comme un “anti-dollar” : quand le dollar monte, l’or baisse, et inversement.
Dans les années 1980-2000, tout tournait autour de la tech : l’or n’avait aucun intérêt. Puis arrivent la crise des dotcoms et le 11 septembre : le monde devient instable, et l’or retrouve son rôle protecteur. Quand la peur retombe, le cours reflue – jusqu’en 2018.
Depuis, la succession de crises (Covid, inflation, Ukraine, tensions au Proche-Orient, Chine–États-Unis) relance la hausse. Avant, on avait une crise tous les dix ans. Aujourd’hui, c’est presque une tous les quinze jours. L’or suit le rythme. Les files d’attente devant les boutiques d’or, en France comme ailleurs, traduisent une chose : la peur du lendemain.
Les Français épargnent plus que jamais. Cela joue-t-il sur l’attrait pour l’or ?
J-F.R : Les Français disent qu’ils n’ont pas les moyens, mais ils n’ont jamais autant épargné. Ils consomment moins, car ils redoutent une nouvelle taxe, une crise sociale, ou un climat de tension générale. L’or s’inscrit dans cette logique de précaution.
Ce n’est pas encore la surchauffe, mais cela peut venir vite : lors de la dissolution de 2024, le marché s’est emballé en 24 heures. On le voit avec la prime sur les pièces d’or – notamment le Napoléon. Quand elle dépasse 10 à 15 %, cela veut dire que les acheteurs se ruent dessus, et que les vendeurs disparaissent. Aujourd’hui, cette tension est mondiale, pas uniquement française.
Les détenteurs d’or sont-ils réellement protégés ?
J-F.R : Oui, mais à condition de comprendre la fiscalité et le stockage. Il n’y a pas de taxe à l’achat, mais à la revente : soit un forfait, soit une taxe sur la plus-value (36,2 %, dégressive de 5 % par an jusqu’à 0 % après 22 ans). Cela encourage une détention longue, comme un actif patrimonial, pas spéculatif.
En revanche, je déconseille de garder de l’or chez soi ou à la banque. En cas de crise, les banques ferment – on l’a vu pendant le Covid, et les coffres deviennent inaccessibles. Quant aux cambriolages, ils restent un risque majeur. C’est pourquoi nous stockons aujourd’hui près d’un milliard d’euros d’or physique pour nos clients, sous forme de lingots et de pièces, au Port franc de Genève, un lieu à la fois ultra-sécurisé et facilement accessible.
L’or peut-il redevenir un pilier de l’épargne des Français ?
J-F.R : Je ne crois pas. L’immobilier et l’assurance-vie restent ancrés dans la culture française. L’or est un outil de protection, pas de rendement. Pour un jeune épargnant, je recommande d’en détenir 20 % s’il n’a que des euros, afin de diversifier son risque.
Pour un patrimoine déjà équilibré (immobilier, actions, liquidités), 5 % suffisent. L’idée, c’est que tout ne s’effondre pas en même temps. Enfin, inutile de “timer” le marché : il faut acheter régulièrement, un peu chaque mois, comme on le fait en crypto avec le DCA. C’est un placement de discipline, pas d’émotion.

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