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BCE : l’outil anti-fragmentation est-il le bon remède ?

La fragmentation financière fait partie de l’ADN de la zone euro

La fragmentation financière se définit par les écarts de rendement des titres de dette ayant des caractéristiques similaires. C’est le fléau de la zone euro depuis sa création. Du point de vue théorique, des actifs échangeables et parfaitement substituables doivent afficher le même prix (loi « du prix unique »). Dans la pratique, l’hypothèse de substituabilité n’est pas satisfaite car la zone euro reste particulièrement hétérogène sur le front des fondamentaux économiques.

L’épisode le plus marquant de l’histoire de la fragmentation est probablement celui de 2011. Au plus fort de la crise, le gouvernement italien devait ainsi rémunérer les investisseurs un peu plus de 7,2 % alors que le gouvernement allemand ne payait que 1,7 % de rendement aux détenteurs de sa dette. Ces différences de rendement étaient justifiées par les fondamentaux, mais aussi par le risque politique et bien sûr le contexte environnant de crise financière. En rendant sa politique monétaire très accommodante, l’action de la BCE, a permis de résoudre cet épisode de tension.

2022 : le spectre de la fragmentation est ravivé

Depuis le début de l’année 2022, les taux obligataires ont beaucoup progressé pour l’ensemble des pays développés et a fortiori au sein de la zone euro également. Cette hausse s’explique essentiellement par le contexte inflationniste. Le risque inflationniste a provoqué une vague de resserrement des politiques monétaires de la majorité des pays développés.

En zone euro, la normalisation des taux d’intérêt ainsi que l’arrêt du programme d’achat d’actifs (« QE ») accroissent de facto le risque de défaut de paiement des États les plus fragiles : ces derniers devront renouveler leur stock de dette à des taux plus élevés et rembourser des titres qui étaient, jusqu’alors, à coût nul car rachetés par la BCE (celle-ci reversant ses profits aux États).

Rappelons que la BCE avait mis en place son QE dans le but de combattre le risque de déflation et de renforcer la transmission de sa politique monétaire. Ainsi, si le risque de déflation semble être évacué à court terme, la transmission de la politique monétaire doit encore être préservée pour garantir son efficacité. En parallèle, cela ne doit ni empêcher l’objectif d’inflation de la BCE, ni créer une situation d’aléas moral qui dissuaderait les gouvernements de pratiquer des efforts budgétaires. C’est le grand défi des gouverneurs de la BCE ; leur réponse est « l’Instrument de Protection de la Transmission » (« IPT »).

Aux grands maux, les grands remèdes

Chaque nouvelle crise donne naissance à un nouvel outil. Après le SMP (2010), l’OMT (2012), l’APP (2014) et le PEPP (2020) ; un nouveau sigle voit le jour : l’IPT (2022). L’IPT est très ambitieux. Il se propose de corriger la « détérioration des conditions de financement non justifiée par les fondamentaux propres à ces pays » (communiqué du 21 juillet de la BCE). Le mode opératoire est très similaire à un programme d’achat d’actifs classique à trois critères près : pas d’annonce de montant ex ante, des critères d’éligibilité plus contraignants et pas d’influence sur la politique monétaire.

Le premier point est une nécessité absolue afin de convaincre les investisseurs de son efficacité : tel qu’énoncé, il est virtuellement illimité.

Le second exige que le pays soit en ligne avec le cadre budgétaire européen. Aussi, le conseil des gouverneurs de la BCE s’appuiera sur les analyses du FMI et de la commission, mais in fine la décision leur appartient.

Enfin, le dernier critère est une condition absolument nécessaire au bon fonctionnement de l’outil pour assurer l’efficacité de la politique monétaire. La question est maintenant de voir si tout cela est vraiment réaliste.

Et si le remède n’était pas réaliste ?

L’IPT est très similaire au SMP. Compte tenu de l’incapacité du SMP à durablement réduire les écarts de taux, cette ressemblance est déjà une critique forte. Le diable se situe dans des détails qui ne sont pas encore disponibles, mais nous pouvons essayer d’anticiper et nous voyons déjà deux critiques notables.

 

D’abord, pour respecter la neutralité monétaire de l’outil, les achats doivent être stérilisés (i.e. ne doivent pas augmenter la taille du bilan) : soit la BCE vend d’autres actifs, soit elle crée un actif de dette qu’elle vend, soit elle offre la possibilité de placer les liquidités injectées sur des dépôts à terme. La première option a des limites physiques : quantité des titres à vendre (pays, maturité). La seconde option mettrait à mal sa crédibilité et aurait un coût politique important. La dernière option est celle utilisée pour le SMP.

Ensuite, la frontière entre ce qui est justifié par les fondamentaux et ce qui est une spéculation du marché n’est pas nette. Les banquiers centraux considèrent souvent que ce qui est fondamental est expliqué par les agences de notations. Ainsi, toute évolution résiduelle ne provenant pas de la notation est considérée comme indésirable. Le problème est que les agences considèrent de plus en plus des mesures politiques, de sentiment ou de sondages dans leur notation. Par exemple, depuis la démission de M. Draghi en Italie, plusieurs agences de notation ont dégradé les perspectives de la note italienne. Ainsi, la distinction entre les fondamentaux et le risque politique est impossible. Et dans ce cas, la BCE ouvre une boîte de Pandore qui pourrait faire vaciller son statut apolitique.

L’IPT est présenté comme un outil dissuasif qui ne devrait, idéalement, jamais être utilisé. C’est la recette utilisée pour l’OMT avec un certain succès. Cependant, si les investisseurs décident de tester cet outil, il serait souhaitable que ce dernier soit tout de même utilisable.

Tribune rédigée par Hervé Amourda, économiste chez PRO BTP FINANCE et membre du comité startégique chez BSI Economics.

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