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Témoignage | Rencontre avec Zelda la Grange, la « petite-fille blanche » de Nelson Mandela

Mandela

Rares sont ceux qui ont la chance, comme Zelda la Grange, de commencer leur carrière avec l’une des personnalités les plus marquantes du XXe siècle, le prix Nobel de la paix 1993 Nelson Mandela. Près de trois décennies plus tard, « la petite-fille blanche de Mandela« , comme ce dernier l’appelait, continue de s’impliquer dans la perpétuation de son héritage. A l’occasion du dixième anniversaire de la mort du grand leader anti-apartheid, nous nous sommes entretenus depuis l’Afrique du Sud avec sa secrétaire particulière durant 19 ans. Retour pour Forbes France dans l’intimité du Père de la Nation sud-africaine.

 

Quel est l’héritage de Mandela aujourd’hui ?

Zelda la Grange : La réponse est très simple : la paix pour notre pays. En 1990, l’Afrique du Sud était au bord de la guerre civile et Mandela a reconcilié notre pays. Le 11 février 1990, le pays tout entier a retenu son souffle au moment où Mandela devait prononcer un discours décisif à sa sortie de prison. Un seul mot aurait pu mettre le feu au pays. Mais la première phrase fut un soulagement : « Je vous salue au nom de la paix, de la démocratie et de la liberté pour tous. » Après 27 ans, 6 mois et 6 jours de prison, sa mission était toujours de pardonner et d’unifier le pays. Et c’est ce qu’il a fait.
Aujourd’hui, la Fondation Nelson Mandela travaille sans relâche pour garder son esprit vivant en se concentrant sur des questions telles que l’éducation, la santé et la justice sociale. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir été à ses côtés pendant près de deux décennies et de pouvoir partager mes expériences et mes connaissances avec d’autres personnes dans le monde.

Nous continuons aujourd’hui à faire face à de nombreux défis en Afrique du Sud, tels qu’une grave insécurité, un chômage aigu et une misère non résolue, le tout aggravé par la récente augmentation de la corruption. D’une certaine manière, le pays n’a pas complètement répondu à la vision de Mandela d’une « nation arc-en-ciel » unie et égale. La marche de l’Afrique du Sud vers la liberté a été longue, mais le chemin vers l’égalité semble encore plus long.

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Le prix Nobel de la paix 1993 et Zelda la Grange © Alet van Huyssteen

 

Comment Mandela est-il perçu par les jeunes générations sud-africaines?

Zelda la Grange : Je pense que Madiba, le nom tribal sous lequel beaucoup connaissent Mandela, continue d’être un modèle pour tous. Il est le héros de notre pays, un symbole du changement et ne sera jamais oublié. La récente agitation politique avec des responsables issus du même parti politique, le Congrès national africain (ANC), a néanmoins terni la confiance des jeunes dans le monde politique. Nombreux sont ceux qui pensent que les progrès réalisés depuis la fin de l’apartheid n’ont pas tenu leurs promesses et qu’il faut faire davantage pour remédier aux inégalités et aux injustices sociales profondément ancrées qui continuent de miner l’Afrique du Sud.
La jeunesse sud-africaine est préoccupée par d’autres sujets comme le taux de chômage, l’un des plus élevés au monde avec 33%. Aujourd’hui, la figure de Mandela suscite plus de fascination à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières.

 

Nelson Mandela était la figure de proue de la lutte anti-apartheid. Pouvez-vous nous donner plus de détails et expliquer avec vos propres mots l’Apartheid ?

Zelda la Grange : L’apartheid signifie séparation en afrikaans et a duré de 1948 à 1990. Les blancs et les gens de couleur ne pouvaient pas vivre dans la même zone et ne bénificiaient pas des mêmes droits. Par exemple, vous aviez des sirènes la nuit pour vider le centre des villes des personnes de couleur dans certains Etats. Dans l’État libre (ancien Etat Libre d’Orange), les Indiens n’étaient pas autorisés à rester plus de 24 heures et il leur était interdit de s’installer et de faire commerce. Sous ce régime, Nelson Mandela a été emprisonné pendant 27 ans pour avoir lutté pour l’égalité des droits. Mais il n’était pas le seul combattant de la liberté : l’archevêque Desmond Tutu (co-lauréat du prix Nobel de la paix), Oliver Tambo (président en exil de l’ANC pendant l’apartheid) ou Helen Suzman (militante blanche qui a contribué à la libération des prisonniers politiques) et beaucoup d’autres personnes en Afrique du Sud et à travers le monde ont contribué à la fin de ce regime. Mais Mandela restera le visage de la lutte contre l’apartheid.

 

Comment se porte l’Afrique du Sud aujourd’hui ?

Zelda la Grange : L’Afrique du Sud vit des moments difficiles. L’état de catastrophe nationale vient d’être déclaré par le président Cyril Ramaphosa en février dernier après la pire série de coupures de courant jamais enregistrée. Plus inquiétant encore est la démoralisation et le manque de leadership dans notre pays, un problème qui touche tous les pays de la même manière. Je ne pense pas qu’il existe un autre leader comme Mandela aujourd’hui dans le monde : il était la bonne personne au moment où on en avait le plus besoin.

 


En 1999, après sa retraite, Madiba m’a choisie pour être son bras droit. Un matin de 2006, je me souviens qu’il m’a dit avec agacement qu’il avait fait un cauchemar dans lequel j’acceptais un autre emploi et le quittais, mais cela ne s’est jamais produit


 

Quels étaient les aspects les plus distinctifs de la personnalité de Mandela ?

Zelda la Grange : Évidemment, c’était un homme aux valeurs exceptionnelles, avec une tolérance extrême, une compassion bien ancrée et un profond respect pour tous. Cependant, il était incroyablement têtu. Il était impossible de le faire changer d’avis et si un plan ne se déroulait pas comme prévu, il exprimait son mécontentement par des réserves. Jamais d’explosion de colère ou d’accès de fureur – il restait calme et sans émotion. Un silence que vous vouliez éviter à tout prix.
Son sens illimité du pardon est évidemment inoubliable. Mandela avait coutume de dire que « la rancune, c’est comme boire du poison et s’attendre à ce qu’il tue vos ennemis« . Avocat de profession, il était également très éloquent et avait un sens de l’humour fin qu’il utilisait dans les situations tendues. Il aimait rire avec les autres, rire de lui-même et, surtout, il savait comment faire rire les gens. Sa personnalité est très bien incarnée dans le film Invictus…

 

Vous avez coaché Morgan Freeman pendant le tournage du film Invictus. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?

Zelda la Grange : Oui, j’ai été très présente dans le tournage du film de Clint Eastwood. Le film est basé sur les événements survenus en Afrique du Sud avant et pendant la Coupe du monde de rugby de 1995, remportée par l’équipe sud-africaine, les Springboks. Ce fut une expérience merveilleuse de l’aider à préparer le personnage. Il en est venu à imiter ses gestes, ses manières et sa façon de parler avec une ressemblance remarquable.

 

Comment votre relation avec Mandela a-t-elle évolué au fil des ans ?

Zelda la Grange : J’ai rencontré Nelson Mandela lorsque j’ai commencé à travailler en 1994 comme secrétaire au bureau présidentiel et j’étais la plus jeune de l’équipe. Je venais d’une famille afrikaner calviniste, qui a vu l’arrivée de Mandela au gouvernement avec beaucoup de réticence et de crainte. Pendant l’apartheid, on nous a fait un lavage de cerveau pour nous faire croire que c’était une personne pleine de haine et qui voulait se venger. Ce n’était que propagande et préjugés.
En 1997, j’ai été promue secrétaire adjointe personnel et en 1999, après sa retraite, Madiba m’a choisie pour être son bras droit. Un matin de 2006, je me souviens qu’il m’a dit avec agacement qu’il avait fait un cauchemar dans lequel j’acceptais un autre emploi et le quittais, mais cela ne s’est jamais produit. J’étais immensément fière de servir le premier président noir du pays, surtout en tant qu’Afrikaner blanche. Ce qui a commencé comme une relation de travail entre un employeur et un employé a fini par devenir une relation de type familial comme s’il était un grand-père et moi sa petite-fille. Une amitié qui a profondément changé ma vie.

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Le livre de Zelda la Grange: Bonjour Monsieur Mandela © Zelda la Grange

Pour conclure, avez-vous une relation particulière avec la France ?

Zelda La Grange : Commençons par la Grange, mon nom de famille. J’ai en effet des origines françaises. Mes ancêtres étaient des protestants français qui ont fui la révocation de l' »Edit de Nantes » en 1685 par Louis XIV. J’ai également eu la chance d’accompagner le Président Mandela en France et de séjourner à Rambouillet en 1996 pour favoriser les investissements en Afrique du Sud. J’aime profondément la France et sa culture.

 

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