logo_blanc
Rechercher

Emma, Illustratrice, Féministe Depuis Six Ans

Ses bandes dessinées sur la charge mentale, l’attente ou l’épisiotomie, ont été partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux. L’illustratrice Emma nous raconte son parcours d’ingénieure, de mère et d’illustratrice. Et sa naissance féministe.

« Je suis féministe depuis cinq… six ans. » Emma est devenue féministe à 30 ans. Comme on devient ingénieure, mère ou illustratrice. Une naissance féministe et politique vécue comme une révélation. « Avant, j’étais une citoyenne docile qui pensait qu’en suivant les règles tout se passerait bien. » Et puis Emma a connu le harcèlement, de rue et au boulot, et la maternité. Emma, c’est l’illustratrice qui a (re)popularisé le concept né dans les années 1980 de « charge mentale », ce poids logistique qui pèse sur les épaules des femmes. Sa bande dessinée « Fallait demander » a été lue et partagée des milliers de fois. Elle a suscité réactions, articles, émissions et dossiers. La charge mentale, c’est ce poids qui pèse sur les épaules des femmes : penser à la liste de courses, aux vaccins, ramasser, ranger, laver. Tout faire, tout organiser, et se retrouver face à un conjoint qui répond « fallait demander ». « Je suis un peu horrifiée », avance Emma dans un petit sourire désabusé, « le sujet a été retourné avec des articles sur : les femmes sont-elles control freak ? ou les conseils aux femmes pour sortir de la charge mentale. Mais je n’ai rien vu à destination des hommes. »

Procès en hystérie

Emma, c’est un petit bout de femme à la voix posée et au doux sourire encadré de fossettes. Une jeune femme, dans un milieu masculin. Originaire de Champagne-Ardenne, Emman monte à Paris en 2005 pour exercer son métier d’ingénieure informaticienne. « Les premières années, j’avais l’impression que c’était plus facile d’être une femme. » Dès que la jeune employée demande un conseil, un coup de main, les hommes sont là pour l’aider. Le basculement advient avec les années et la montée en grade. Désormais sur un poste de management, elle ne se fait pas entendre. « À partir du moment où je suis sortie de ce rôle de femme à secourir, les hommes ont voulu instaurer des jeux de pouvoir. Et je suis nulle à ça. » Humiliations, procès en hystérie, critiques et moqueries pleuvent. Un jour, enceinte jusqu’aux yeux, l’ingénieure se voit demander par un collègue d’attendre debout, la fin de sa chanson, pour pouvoir lui parler. S’en est trop. Un congé maternité et un burn out lui font changer de perspective. Et d’entreprise.    

Ce sont des amis féministes – des hommes – qui lui ouvrent les yeux. « Un jour ils m’ont dit : « ce n’est pas parce que tu n’es pas compétente que les hommes se comportent ainsi, mais parce que tu es une femme. » Révélation. Ils lui offrent des ouvrages féministes, elle commence à parler aux autres salariées de son entreprise, puis en dehors de son secteur. « J’ai alors compris que le problème de la domination n’était pas seulement imposé par l’homme, mais aussi par les femmes aisées sur les femmes pauvres, par les femmes blanches sur les autres… »

Vie de magazine

« Plus je lisais, plus je rencontrais de femmes, plus je me disais que je découvrais tout cela trop tard », se désole Emma. « On nous impose une vie de magazine : avoir la carrière, le couple, l’appartement bien décoré. C’est une course sans fin ! On peut aller comme ça jusqu’à la retraite, sans se poser plus de questions. Ça peut être rassurant de vivre dans la matrice, moi je n’ai pas eu le choix, j’en suis sortie [elle est désormais dans une entreprise bienveillante, au 4/5ème, ndlr]. » Révoltée par cette prise de conscience tardive, l’ingénieure commence à engager systématiquement la conversation sur le sort des femmes. « Les gens ne me supportaient plus ! », s’amuse-t-elle aujourd’hui.

Emma par Camille Ferré

Sur des tracts, Emma présente le féminisme tel qu’elle aurait aimé qu’on lui explique à 15 ans. Elle distribue les feuilles volantes le matin, devant une bouche de métro. En parallèle, elle partage sur Facebook des articles, des textes et un jour, un dessin. « J’ai toujours dessiné, comme ça, pour le plaisir. Mais un jour, j’ai vécu une situation de harcèlement de rue. J’ai eu besoin de raconter. » Trois-quatre images griffonnées et largement partagées. Emma comprend le potentiel viral d’un dessin, média à la fois plus rapide à lire qu’un texte, et plus chargé émotionnellement.

Début 2016, avec la loi travail, elle constate que « les gens sont en train de se politiser ». « J’ai été scandalisé par la phrase de Manuel Valls qui déclarait que si on était contre cette loi, c’est parce qu’on ne la comprenait pas. C’était d’un tel mépris ! J’ai ressenti le besoin de dessiner pour me moquer, expulser ma colère. » Elle crée une page Facebook sur laquelle elle diffuse désormais ses dessins. Le récit sous format bande dessinée vient avec l’histoire d’un jeune peintre en bâtiment égyptien blessé dans l’assaut de Saint Denis. Une seule image ne pouvait suffire à raconter son histoire.

« T’as qu’à changer de conjoint »

En un an, sa page Facebook atteint 40 000 like (200 000 aujourd’hui), ses dessins sont ramassés dans un ouvrage Un autre regard (Ed Massot, 2017) publié en mai dernier, au moment où elle diffuse son post sur la charge mentale. Si beaucoup de femmes se sont retrouvées dans ces planches aux traits naïfs, mais à la thématique puissante, certaines personnes, hommes ou femmes, ont eu des réactions négatives, voire virulentes. « T’as qu’à changer de conjoint », est probablement la remarque qu’entend le plus souvent Emma. « Mon conjoint est hyper fier de moi, il est lui aussi féministe. Mais il y a un certain conditionnement : par exemple je prends très mal les remarques sur ma manière de tenir l’appart ou d’élever notre fils, lui s’en moque. » Selon elle, changer de conjoint n’est pas toujours possible pour les femmes qui subissent un déclassement social terrible au moment d’une séparation. Et puis, rencontrer un problème d’équilibre ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’amour.     

Sa dernière bande dessinée parle de l’attente, de cette deuxième journée vécue le soir par les mères pendant que le conjoint reste plus tard au travail ou sort avec des collègues ou des amis. « Au début de ma carrière je bossais beaucoup et je méprisais un peu les mères qui se mettaient au 4/5ème ou quand un collègue refusait de sortir parce que sa femme lui interdisait. » En ayant à son tour un enfant, Emma change de schéma de pensée. « C’est marrant de constater que les femmes restent au 4/5ème même quand leurs enfants sont plus grands. Ca signifie qu’il se passe un truc. » Un truc qu’elle va raconter dans sa prochaine BD : Le travail, pourquoi ?

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC