Elles sont diplômées, compétentes, parfois visionnaires. Pourtant, en 2025, les femmes demeurent une infime minorité à la tête des entreprises. Alors que les politiques de parité ont fait progresser leur présence dans les conseils d’administration, l’accès aux plus hautes fonctions exécutives reste un territoire encore largement masculin. Pourquoi ce retard persiste-t-il ? Et que dit-il de notre rapport au pouvoir, à la légitimité et au genre ?
Un article écrit par Eve Sabbah, à retrouver dans le numéro 31 du magazine Forbes
En 2025, à peine 5 à 6 % des CEO dans le monde sont des femmes. Aux États-Unis, le très médiatisé classement Fortune 500 n’en compte que 52, soit 10,4 % du total. Certaines régions du monde se démarquent néanmoins : la Thaïlande et la Chine comptent respectivement 30 % et 19 % de femmes CEO, un pourcentage bien supérieur à la moyenne mondiale.
Et la France ? Elle affiche un bilan contrasté. Selon l’Insee, 25 % des dirigeants d’entreprises en France sont des femmes, mais ce chiffre englobe toutes les structures, y compris les micro-entreprises et les auto-entrepreneurs. Dans les grandes entreprises, cette proportion chute à 17 %. Autrement dit, plus l’entreprise prend de l’ampleur, plus les femmes s’effacent du sommet de la hiérarchie. Pourtant, notre pays peut se targuer d’avoir mis en place des mécanismes efficaces pour féminiser les instances de gouvernance. Grâce à la loi Copé-Zimmermann, puis à la loi Rixain, les conseils d’administration comptent aujourd’hui 45 % de femmes. En revanche, ces mesures n’ont pas encore produit d’effet majeur sur les postes exécutifs, qui ne sont pas concernés par les quotas.
Autocensure persistante
À l’échelle européenne, la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne, mais reste derrière les pays nordiques comme la Norvège ou la Suède, où les femmes CEO représentent environ 30 % des dirigeants selon Eurostat (2023). Ces inégalités s’expliquent par plusieurs freins bien connus. Il y a encore peu de modèles féminins visibles, le fameux « plafond de verre » freine les ambitions. À cela s’ajoute une autocensure persistante : selon le LinkedIn Economic Graph (The State of Women in Leadership), moins de 31 % des postes de direction dans le monde sont occupés par des femmes, en partie parce qu’elles postulent moins à ces fonctions ou se mettent moins en avant.
Les réseaux d’influence, lieux de décision, cercles de dirigeants, restent eux aussi très masculins et peu inclusifs. Ce manque de relais complique l’accès aux opportunités stratégiques. Par ailleurs, les secteurs dans lesquels les femmes dirigent sont très ciblés : la santé, l’éducation ou les services, où elles peuvent représenter jusqu’à 35 à 45 % des CEO. À l’inverse, dans la tech, l’industrie ou l’énergie, leur présence chute sous les 10 %. Elles accèdent plus facilement à des postes de direction dans des PME, des entreprises familiales ou en lançant leur propre activité. En dehors des parcours classiques, elles créent leur propre place.

Performantes, mais plus exposées à la défiance ?
Si les femmes sont encore trop peu nombreuses à diriger les entreprises, ce n’est en rien un signe d’infériorité qualitative ou d’incompétence. Plusieurs études récentes montrent au contraire que les dirigeantes sont tout aussi performantes que leurs homologues masculins. Selon une étude de Harvard Business Review, publiée en 2020, les femmes leaders ont été évaluées comme plus efficaces que les hommes dans 84 % des compétences mesurées : capacité à prendre des initiatives, intégrité, résilience, développement des talents… Ce constat s’est renforcé durant la crise du Covid-19. Et si les exemples de pays dirigés par des femmes ont souvent été mis en avant, on retrouve également cette tendance dans les entreprises : selon le Women Business Collaborative (2023), les entreprises du classement Fortune 500 dirigées par des femmes ont généré un rendement moyen supérieur à celui des autres sociétés de l’indice.
Ce lien entre efficacité et leadership féminin est cependant à nuancer : il ne s’agit pas d’une vérité universelle, mais cela indique que les femmes, une fois en position de pouvoir, se montrent au moins aussi stratégiques, adaptables et humaines que les hommes. Pourtant, ce style de management reste encore marginalisé ou associé à des « soft skills » jugées secondaires.
Les femmes à la tête d’entreprises développent souvent une posture managériale plus horizontale, fondée sur l’écoute, la création de lien et la conscience des enjeux collectifs. Philippine Vidal, coach de dirigeantes depuis plus de dix ans, observe dans ses accompagnements que « les femmes ont tendance à s’effacer davantage dans les discussions stratégiques, à ne pas oser frapper aux portes si on ne les a pas invitées ». Pour autant, elles sont souvent poussées à « adopter tout de suite une posture de leader puissante aux épaules solides », ce qui peut créer une forme de dissonance entre leurs aspirations profondes et les attentes du poste.
Manager autrement
Elle observe que celles-ci expriment souvent une volonté de « manager autrement ». « Les femmes dirigeantes que j’accompagne aimeraient justement ne pas être obligées de se renforcer, ou d’avoir à adopter une posture managériale différente de leur posture naturelle », confie-t-elle. Cette quête d’authenticité est cependant rendue difficile par des parcours où, pour parvenir au sommet, les femmes ont dû intégrer des codes managériaux considérés comme masculins. Dans ses accompagnements, Philippine Vidal travaille avec ses clientes à « sculpter les leaders qu’elles veulent être ». Elle identifie avec elles les priorités, les blocages, puis coconstruit un plan d’action et une organisation réaliste. La spécialiste insiste aussi sur l’importance de maintenir un équilibre personnel pour tenir dans la durée : « Il est essentiel que la dirigeante soit dans les meilleures conditions pour affronter les pics de stress liés à son poste. »
Car les défis ne sont pas uniquement stratégiques, ils sont aussi structurels : « Les femmes ont le sentiment de devoir prouver sans cesse leur légitimité. La peur de ne pas être à la hauteur est très forte, elles chercheront donc à justifier leur position bien plus que leurs homologues masculins. »
Un phénomène cristallise cette contradiction, celui du glass cliff (falaise de verre). Théorisé par les chercheurs Michelle Ryan et Alex Haslam, il désigne le fait que les femmes sont plus souvent nommées à des postes de direction lorsque la situation est déjà dégradée, en contexte de crise ou de redressement. Elles sont alors souvent considérées comme les salvatrices nécessaires, appelées à la rescousse quand l’entreprise est en déclin, ce qui les expose davantage à l’échec ou à la critique. « Nombre de mes clientes arrivent en poste avec une pression immense, confirme Philippine Vidal. On attend d’elles qu’elles réparent, qu’elles rattrapent. Et dans le même temps, on leur impose des attentes contradictoires : être bienveillantes mais fermes, performantes mais discrètes, féminines mais autoritaires. »
Cette exigence de perfection est souvent couplée à un sentiment de solitude ou d’imposture. D’après elle, « les femmes que j’accompagne se demandent souvent comment être crédibles, comment s’imposer dans un comité de direction ». Des freins qui n’ont rien à voir avec leurs compétences, mais bien avec les représentations qu’on projette sur elles.
Vers une nouvelle vision du pouvoir
Malgré les obstacles, la nouvelle génération de femmes CEO assume aujourd’hui une forme novatrice de leadership. Plus horizontale, plus collective, plus connectée aux enjeux sociaux et humains. Le pouvoir ne se définit plus seulement par l’autorité ou la prise de risque individuelle, mais par la capacité à fédérer, à inspirer, à incarner une vision. De nombreux signaux montrent que les lignes bougent : multiplication des réseaux de dirigeantes, visibilité croissante dans les médias, nouveaux modèles de mentoring et de formation… Les projections sont d’ailleurs encourageantes. Selon Deloitte, la part de femmes dans les comités exécutifs en France pourrait passer de 21 % à 28 % d’ici 2030. De son côté, LinkedIn prévoit que les femmes pourraient représenter 20 % des CEO à l’horizon 2030. Des chiffres encore modestes, mais qui marquent une tendance réelle vers un rééquilibrage progressif.
Mais le changement ne pourra être durable que si les femmes ne sont plus contraintes d’adopter une posture « masculine » pour réussir. Philippine Vidal insiste : « Beaucoup de dirigeantes que j’accompagne veulent manager autrement. Elles ont dû se construire dans un monde qui ne les attendait pas, mais elles souhaitent aujourd’hui faire émerger un leadership qui leur ressemble. »
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