Contre toute attente, la joueuse phare du tennis français depuis dix ans a annoncé sa retraite sportive juste avant le début du tournoi de Roland-Garros, fin mai. À l’occasion de sa nomination au palmarès des femmes Forbes 2025, celle qui a atteint la 4e place mondiale en 2017 a accepté de se confier sur sa reconversion. Sur laquelle elle a déjà quelques idées, largement inspirées par sa carrière sportive.
Un article issu du numéro 31 – été 2025, de Forbes France
Dans quel état d’esprit êtes-vous au moment de dire stop au tennis de haut niveau, à 31 ans ?
CAROLINE GARCIA : J’ai commencé jeune, à l’âge de 11 ans. J’ai donc donné plus de vingt ans de ma vie au tennis. Je sais que les hommes vont maintenant au-delà de 35 ans mais pour une femme, le paramètre familial a d’autres implications que pour un homme. Certaines ont fait une pause maternité puis sont revenues mais c’est assez rare. On ne sait jamais comment notre corps va réagir.
Il y a une vingtaine d’années, certaines filles arrivaient au plus haut niveau dès 15 ans. Cela explique qu’elles se retiraient avant 30 ans.
C.G. : Oui. Et aujourd’hui encore, les filles démarrent sur le circuit plus tôt que les garçons. Moi, j’ai eu de surcroît des années compliquées émotionnellement. L’an dernier, quand j’ai fait mon break en septembre, c’est parce que j’étais physiquement et mentalement épuisée. J’avais besoin de me retirer. Sans être sûre de revenir d’ailleurs. J’avais l’impression de détester le tennis alors que ça n’est pas le sport que je haïssais mais tout le stress qui m’envahissait.
C’est ce qu’on appelle la pression que vous n’avez pas supportée ?
C.G. : Oui, c’est ça. Ma propre pression par rapport à mes objectifs et celle de mon entourage qui voulait m’imposer sa vision de ce que doit être une joueuse de haut niveau.
Comment se matérialise cette vision ? Vous pouvez nous en dire plus ?
C.G. : Par exemple, il ne fallait pas que j’aie des amis(es) sur le circuit. Je devais être exclusivement focalisée tennis. Depuis mes 11 ans, j’ai suivi des cours par correspondance, je n’ai pas eu d’enfance, avec des copines, etc. Ces relations sociales qui t’aident à découvrir ton identité. Cet isolement m’a usée. Sur le plan sportif, ça n’était jamais assez. Peu importe le tournoi que je gagnais, il fallait toujours faire mieux, en gagner un plus grand. Quand j’ai gagné le Masters, j’ai compris que les titres n’allaient pas remplir le vide que je ressentais. Ça a été une révélation difficile.
Pourquoi ?
C.G. : Pendant longtemps, j’ai pensé que je n’étais bonne qu’à jouer au tennis. Mon obsession était de gagner un grand chelem mais c’était une obsession malsaine. Quand je suis devenue 4e mondiale, je n’avais le droit de perdre que contre trois joueuses ! Je n’avais pas le droit à l’erreur. Cette exigence permanente m’a affectée. Du coup, sur le court, je vivais des hauts et des bas sans cesse.
Qu’est-ce que vous auriez aimé faire autrement au cours de votre carrière ?
C.G. : J’aurais dû être plus ouverte à la vie. Quand je voulais dîner avec des amis la veille d’un match, il fallait le faire. Manger une pizza n’allait pas me faire perdre ou gagner le lendemain. J’aurais pu avoir des amis sur le circuit. Je n’aurais pas dû être aussi extrême dans mon approche de la compétition. Un mauvais entraînement fait partie des aléas, ce n’est pas un drame. Quand j’ai perdu au 2e tour à Roland-Garros, j’ai été au fond du trou pendant trois jours. Mais ça n’a servi à rien. Une carrière se conduit sur le long terme. Et quand j’avais un bon résultat, j’aurais dû prendre plus de temps pour le célébrer avec mes proches, récupérer, digérer, au lieu de me tourner tout de suite vers la compétition suivante. La roue de hamster, ça épuise à la longue.
Vous avez envie de transmettre votre expérience aux jeunes générations ?
C.G. : Oui, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé un podcast tennis. J’échange avec d’autres joueuses et joueurs qui partagent leur expérience, leurs analyses. Chacun a un chemin différent. Certains sont restés à l’école jusqu’au bac et ont néanmoins très bien réussi en tennis.
Vous pensez depuis quelque temps déjà à votre reconversion. Pourquoi si tôt ?
C.G. : Je pense que cette envie de partager m’a inspirée. Cette plateforme qui m’avait manqué comme joueuse, j’ai eu envie de la créer. C’est si important de pouvoir aborder certains sujets sans se sentir jugée… Je voulais montrer l’envers du décor du tennis, d’où la création de mon podcast.
C’est la première pierre de l’édifice de votre reconversion ?
C.G. : Oui, tout à fait. Voir que c’est bien reçu de la part des autres joueurs et joueuses et du public m’a confortée dans l’idée que l’on a comblé un manque. Si ce programme aide des jeunes qui commencent à s’investir dans le tennis, leurs familles, leurs enseignants, c’est formidable.
Et professionnellement, ce podcast d’interviews tennis vous amène vers quoi ? Les médias ? Le coaching ? Une académie ?
C.G. : Pour moi, c’est d’abord un challenge. Poser des questions aux autres au lieu d’y répondre, c’est très nouveau pour moi. J’ai toujours été timide et ce podcast m’a permis de prendre confiance, de progresser. Ça fait partie d’un chemin de reconversion dont je ne connais pas encore tous les méandres. Au début, on ne savait pas comment ça allait marcher, donc on ne se projetait pas sur le long terme.
Finalement, le succès est au rendez-vous…
C.G. : Oui. On en a diffusé 28 et 30 sont enregistrées. On fait un demi-million de vues par mois environ, c’est le podcast tennis le plus suivi en France et dans le monde, on arrive juste derrière celui d’Andy Roddick qui ne fait pas du tout la même chose. Le coaching ? Je ne me vois pas le pratiquer à temps plein. En revanche, j’aimerais bien devenir un jour capitaine de l’équipe de France pour la coupe Billie Jean King. Mais pas demain.
Votre podcast pourrait-il aborder d’autres sujets que le tennis ?
C.G. : C’est un objectif. Mais il faut pour ça que j’ai un maximum de crédibilité dans le tennis. Ensuite, j’irais bien découvrir d’autres univers. Rester dans le sport dans un premier temps puis, pourquoi pas, aller encore plus loin. Vers le business, par exemple. Le monde de l’entreprise a beaucoup de points communs avec celui du sport de haut niveau. Ça m’intéresse.
Vous arrivez à monétiser le podcast ?
C.G. : Oui, nous avons des sponsors. On a fait notre premier épisode live à Miami et on a l’intention de développer cela. Les invités apprécient, les partenaires aussi.
Quand vous aurez arrêté complètement le tennis, comment allez-vous occuper votre temps ?
C.G. : D’abord, je pourrais m’investir plus encore dans le podcast. Actuellement, ce n’est pas évident de faire coïncider mon agenda et ceux des invités. Il est probable aussi que l’on fasse un livre grâce à ces interviews.
Et consultante TV ou radio ? De nombreux anciens champions se consacrent à cela.
C.G. : Oui, j’y pense. Pour être franche, on me l’a déjà proposé mais je n’étais pas disponible. Vous avez gagné beaucoup d’argent dans le tennis.
Vous vous occupez personnellement de vos investissements ?
C.G. : Pendant ma carrière, je n’ai jamais reçu d’éducation financière. On ne m’a pas donné de conseils, j’ai tout appris sur le tas. Mon fiancé a de bonnes notions, il m’a fait des recommandations. Depuis, j’ai creusé le sujet. J’ai envie de m’impliquer dans la gestion de ce patrimoine.
Vous pourriez un jour investir dans une entreprise ?
C.G. : Dans le futur, oui. Mais pour l’instant, je vais rester prudente car j’ai tout à apprendre. Mais je suis sûre qu’un jour, il se passera quelque chose car j’aime construire, créer.
Lancer votre marque de vêtements ?
C.G. : Non, ça ne m’attire pas. Je ne veux pas tirer dans tous les sens et tout faire moyen. Ma première entreprise, c’est le podcast et je veux le réussir complètement avant de partir sur autre chose.
Quels sont vos derniers objectifs en tennis ?
C.G. : Profiter à fond de ces derniers moments, ne plus être affectée émotionnellement par mes résultats, prendre du plaisir sur le court et moins souffrir. Je veux désormais que le tennis tienne sa juste place dans ma vie. Maintenant, si je parviens à faire un quart de finale en grand chelem tout en passant de bonnes nuits, je prends !
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