La suppression des zones à faibles émissions risque d’affaiblir l’écosystème français de la mobilité durable, alors que la concurrence mondiale s’intensifie.
Une contribution de Zdravka Bondidier, experte automobile et mobilité durable
À la fin du mois de mai, l’Assemblée nationale a voté la suppression des zones à faibles émissions (ZFE) dans la majorité des agglomérations françaises. Ces zones, initialement mises en place pour limiter l’accès des véhicules les plus polluants aux centres urbains, représentaient un levier important des politiques publiques visant à améliorer la qualité de l’air et accélérer la décarbonation du transport routier.
Mais les ZFE ont aussi cristallisé un sentiment d’injustice sociale. Elles ont surtout été perçues comme pénalisantes pour les ménages modestes et les petites entreprises, propriétaires de véhicules anciens diesel, indispensables à leur activité (artisans, livreurs, PME du secteur de bâtiments, etc).
Portée par des amendements transpartisans dans un contexte de rejet croissant, cette décision allège certes la pression à court terme sur les usagers concernés. Mais elle pourrait avoir des effets néfastes à moyen et long terme, en ralentissant l’innovation dans le secteur de la mobilité durable.
Moins d’incitations, moins d’innovation
La suppression des ZFE risque de freiner davantage l’adoption de solutions alternatives : véhicules électriques, hydrogène, rétrofit thermique-électrique, micromobilité, en particulier dans le segment stratégique des utilitaires. Ce n’est pas anodin : bien qu’ils représentent moins de 16 % du parc de véhicules en France, les utilitaires (légers, poids lourds et bus) sont responsables de près de 45 % des émissions de NOx issues du transport routier. En France, près de 48 % du parc d’utilitaires légers a plus de 10 ans. Leur renouvellement constitue à la fois un défi économique pour les entreprises, mais aussi une opportunité pour les acteurs de l’innovation. Ce marché potentiel de plus de 3 millions de véhicules à renouveler dans les années à venir pourrait se contracter sans cadre incitatif clair.
Les ZFE avaient favorisé l’émergence d’un tissu dynamique de startups développant des solutions adaptées : gestion de flottes électriques, vélos cargos, hubs logistiques, bornes intelligentes, ou encore conversion de véhicules thermiques. Leur disparition soudaine risque de provoquer un ralentissement de la demande et des investissements pour ces technologies pourtant critiques. Or, l’innovation dans les transports repose sur des cycles relativement longs et nécessite un environnement réglementaire stable. Ce genre de revirement envoie un mauvais signal à l’écosystème entrepreneurial, mais aussi aux industriels qui hésiteront à s’engager.
Le boom de l’e-commerce et des livraisons de petits colis a généré une explosion de la logistique urbaine ces dernières années. Pour réduire son impact environnemental, de nombreuses entreprises ont investi dans des flottes propres et des centres de microdistribution. Les ZFE ont joué un rôle structurant, en fixant des règles d’accès aux centres-villes et en accélérant la modernisation des flottes. Leur retrait pourrait casser cet élan, alors même que la logistique du dernier kilomètre reste l’un des émetteurs importants de pollution urbaine.
Un signal brouillé
Ce n’est pas que la disparition des ZFE qui porteront un coup aux innovations liées à la mobilité durable. La future norme européenne Euro 7, combinée aux ZFEs et aux aides financières à l’achat des véhicules moins polluants, devaient créer un cadre incitatif fort pour les particuliers et les entreprises à renouveler leurs anciens véhicules. Mais voilà que la norme Euro 7, prévue à partir de 2026, est allégée de son contenu le plus contraignant en termes d’émissions de NOx. Les aides à l’achat des voitures moins polluantes ont été progressivement réduites, passant de 7 000 € à 4 000 € et devenant plus restrictives pour les professionnels. Alors l’attractivité des solutions propres est encore un peu plus affaiblie.
Sur le fond du salon VivaTech l’année dernière, la Région Île-de-France a annoncé un fonds de 65 millions d’euros, confié à Innovacom, pour soutenir l’industrialisation verte et accompagner les jeunes entreprises industrielles de la transition. Si cette initiative va dans le bon sens, elle ne saurait compenser l’incertitude réglementaire. Car les investisseurs ont besoin de visibilité à moyen terme et la volatilité des décisions politiques dissuadent les prises de risque.
Alors que la France ambitionne de devenir un leader de la décarbonation et de l’innovation industrielle « Made in France », ce recul réglementaire envoie un signal brouillé, voire contradictoire, sur ses priorités stratégiques. Cette décision affaiblira l’écosystème local d’innovation, qui s’était structuré autour de ces zones, pénalisera les jeunes pousses les plus dynamiques, et finalement menacera la création d’emplois verts. Mais malheureusement ceci ne sera pas visible à très court terme et puisque statistiquement de toute façon plus de 90% des startups font faillite, l’innovation reste le moindre des soucis pour certains de nos politiciens.
Changer sans reculer
Plutôt que de démonter les instruments de transformation, les pouvoirs publics devraient renforcer leur lisibilité et leur cohérence. C’est à cette condition que la transition vers une mobilité durable sera porteuse de valeur économique, sociale et environnementale. Pendant que la France et plus largement l’Europe débat encore des modalités pour accompagner la transition vers une mobilité durable, plusieurs pays asiatiques, à l’image de la Chine ou de la Corée du Sud, ont déjà structuré leurs filières industrielles en aidant le développement des technologies innovatives et avancent à un rythme soutenu dans ce domaine stratégique.
Sources :
Air pollutant emissions data viewer (Gothenburg Protocol, Air Convention) 1990-2023
Prime à la conversion des véhicules et Bonus écologique
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