Étoilé à 30 ans, Mory Sacko étend désormais sa créativité au-delà des fourneaux. Avec Squarespace, il a repensé l’identité digitale de ses restaurants et conçu un template destinés à d’autres acteurs de la restauration. Une collaboration inscrite dans le programme Collection, qui a déjà réuni Jeff Koons et Björk, et dont il est le premier représentant français. Nous l’avons rencontré : chef-entrepreneur exigeant, mais aussi d’une grande simplicité, il conjugue transmission, liberté et créativité.
Forbes France : Vous avez collaboré avec Squarespace pour refondre l’identité digitale de vos restaurants. De cette expérience est née l’idée de concevoir un template pour d’autres restaurateurs.
Mory Sacko : Oui, et même au-delà de la cuisine. C’est une prolongation de mes inspirations : France, Afrique, Japon, mais aussi des références culturelles – couleurs, poèmes, petits haïkus dans les textes. L’idée est d’aller plus loin dans mon univers et dans celui de Mosuke.
Comment avez-vous concilié vos inspirations et les besoins d’autres restaurateurs ?
M. S. : Squarespace m’a surtout aidé à libérer ma créativité sur deux sites : Mosuke, mon restaurant gastronomique, et un site “vitrine” qui regroupe l’ensemble de nos établissements et activités. Nous sommes partis sans frein, en explorant toutes les idées et tous les éléments possibles. Ensuite, nous avons retenu les plus fortes pour bâtir un outil à la fois pratique et facilement appropriable par d’autres restaurateurs : un site qui s’actualise en direct, un design fluide, un choix de couleurs pertinent… L’approche était simple : partir de “qu’est-ce que tu aimes, Mory ?” puis rationaliser.
Ce projet montre une créativité qui dépasse la cuisine. Jusqu’où pouvez-vous aller ?
M. S. : J’en ai été le premier surpris. Créer un template pour les autres est plus difficile que de le faire pour soi. Je pensais que ce serait beaucoup plus dur. Finalement, mon univers créatif dépasse largement la cuisine et je n’ai aucune difficulté à trouver l’inspiration sur d’autres supports. C’est presque une gymnastique.
Vous semblez vous interroger souvent sur la manière dont naît la créativité ?
M. S. : Oui, je suis passionné par ça. Je demande souvent aux créateurs comment ils font : routine, mécanique, étincelle… Il y a de tout. Pour moi, la créativité est surtout un état d’esprit. La curiosité accumule des connaissances qui semblent inutiles sur le moment, mais qui peuvent ressurgir plus tard.
Vous êtes le premier artiste français à rejoindre Collection, aux côtés de Björk et Jeff Koons. Comment le vivez-vous ?
M. S. : C’est flatteur. La proposition a la force d’être unique, pas seulement à l’échelle nationale : ce qu’elle raconte, ses inspirations et la manière de les faire cohabiter lui donnent une portée internationale. J’ai trouvé génial qu’on me fasse confiance pour penser un template et travailler sur un site alors que je ne sais pas coder : on s’est mis derrière moi et on m’a dit “dis-nous ce que tu veux”.
Au-delà de la créativité, vous êtes un véritable chef d’entreprise. Était-ce anticipé ou imposé par le succès ?
M. S. : Cela s’est imposé parce que j’aime faire les choses comme je veux. L’entrepreneuriat est le meilleur moyen d’en faire un métier. Le sens des affaires se développe, et je suis bien entouré. Ce qui m’a conduit à devenir chef d’entreprise, c’est la liberté : aller dans la direction que je souhaite. Si ça se passe bien et qu’on valorise, tout le monde est gagnant.
La porosité entre art et gastronomie est centrale chez vous. Comment se nourrissent-ils ?
M. S. : Mon premier métier, c’est restaurateur : ouvrir et gérer des restaurants. On doit penser la cuisine, mais aussi les assiettes, les couverts, les tables, la déco, le vin, l’ambiance. On écrit un scénario d’accueil : ce que le client voit, entend, ressent. Le site internet en fait partie : c’est souvent le premier contact. Le parcours commence dès la réservation en ligne. Le site dit autant de nous que la salle.
Chez vous, un plat naît-il de l’intuition, du récit ou du produit ?
M. S. : Le produit me dicte beaucoup. En saison, je prends une tomate : qu’ai-je envie d’en faire ? Comment la rendre “Mosuke” ? Parfois, c’est un souvenir d’enfance – la tomate au frigo, un peu de sucre, du piment… Parfois, c’est un goût précis : le brûlé d’une compotée. Il faut qu’un déclic se produise – émotion, intérêt – et on bâtit autour. Tantôt une histoire personnelle, tantôt une simple envie.
Aviez-vous, enfant, les dispositions qui laissaient présager une telle carrière ?
M. S. : Timide, rêveur, la tête dans les nuages. Je ne me voyais pas du tout chef. J’aimais manger, pas cuisiner. C’est venu plus tard.
Quelle est votre madeleine de Proust culinaire ?
M. S. : L’odeur du riz qui cuit. Ma mère en faisait souvent : trempage, vapeur, cuisson. Quand il passait à la vapeur, l’odeur emplissait la maison. C’est l’odeur de “chez moi”.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune créatif (chef, designer, entrepreneur) qui veut bâtir un univers à son image ?
M. S. : Construire ses bases. On peut être jeune et expérimenté, mais il faut prendre le temps d’acquérir l’expertise avant de raconter son histoire. Sinon, revenir en arrière est difficile. Comme un musicien qui apprend son solfège avant les stades. Soyez patients, travaillez vos bases ; quand vous avez les outils, vous pouvez vous raconter sans frustration.
Vous dirigez deux établissements, Mosuke (gastronomique) et Mosugo (street food). Comment vous répartissez-vous ?
M. S. : Je suis prioritairement présent à Mosuke, à chaque service : c’est une cuisine très personnelle qui exige beaucoup au quotidien. Mosugo est plus simple, mais tout aussi important : j’ai deux cuisines, celle du ventre et la cérébrale. À Mosuke, je pousse l’histoire et la technique. D’autres jours, j’ai juste faim : je veux un plat réconfortant – c’est l’esprit de MoSugo. Je crée toutes les recettes de MoSugo avec les mêmes fournisseurs que le gastro ; des chefs sont sur place. À Mosuke, je suis là tous les jours, pleinement dans la création et la gestion.

On peut dire que vous vivez à 110 % ?
M. S. : Oui, à 110 %. Parfois, les journées sont un peu courtes.
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