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Louis Létinier, médecin pharmacologue et cofondateur de Synapse Medicine : « Il faut dès maintenant prioriser les médicaments à relocaliser sur nos territoires. »

Louis Létinier, cofondateur de Synapse MedicineLouis Létinier, cofondateur de Synapse Medicine

En 2017, Louis Létinier décide de fonder avec Clément Goehrs et Bruno Thiao-Layel la start-up Synapse Medicine afin de permettre aux patients d’être acteur dans le bon usage du médicament. Pour Forbes France, il revient sur des pistes stratégiques à envisager pour assurer une meilleure résilience de notre industrie du médicament. Dernièrement, l’entreprise a lancé l’application mobile Goodmed, une sorte de « Yuka du médicament ».

 

Comment est née Synapse Medicine ?

Louis Létinier : Clément et moi sommes tous les deux des médecins de santé publique issus de Bordeaux. En tant que spécialistes en pharmacologie médicale, nous avons constaté le besoin d’un outil qui aide davantage le public à sécuriser leur prise de médicaments. Nous avions à l’origine lancé ce projet dans le cadre d’un hackaton qui nous remontait les attentes de terrain du personnel médical mais nous avons très rapidement compris que les patients en avaient aussi besoin.

Synapse Medicine s’est déjà développée dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, et un autre bureau à New York est prévu d’être ouvert cet été. Malheureusement, les enjeux de santé publique aux Etats-Unis sont assez urgents, notamment sur le mésusage de médicaments à base d’opiacés.

Notre dernière levée de fonds – de 25 millions d’euros – remonte à février dernier. Les fonds nous permettront surtout de recruter des data scientists et des développeurs notamment sur Bordeaux. Nous avons besoin de mettre à jour en permanence nos algorithmes de traitement automatisé du langage qui permettent de rendre lisible le texte présent sur les notices de médicaments.

Pourquoi l’automédication sans accompagnement peut-elle s’avérer dangereuse ?

Le mauvais usage du médicament représente chaque année 130 000 hospitalisations évitables et plus de 30 000 décès. 8 français sur 10 ont recours à l’automédication et c’est un grand enjeu de santé publique, ne serait-ce parce que l’accès élargi à de plus en plus de médicaments résulte en une hausse de la consommation globale. Le problème n’est pas forcément le médicament mais peut être la posologie ou l’association de plusieurs médicaments.

D’après un récent sondage mené par Opinion Way et Synapse Medicine, 8 Français sur 10 consultent les consignes d’utilisation des médicaments avant de les prendre, et 6 sur 10 trouvent les notices difficiles à lire et ne comprennent pas les informations qu’elles contiennent. Résultat, par exemple : 4% des femmes enceintes prennent de l’’ibuprofène aujourd’hui alors que cela est dangereux pour la santé du fœtus.

 


L’Europe occupe une place dominante dans le commerce des produits pharmaceutiques : elle est à l’origine de 75% des exportations au niveau mondial. Mais le revers de la médaille c’est qu’elle reste très dépendante de l’Asie en amont de la chaîne de production, où la concentration des fournisseurs peut fragiliser la sécurité des approvisionnements


 

Vous avez lancé tout récemment l’assistant médical « Galien »…

Oui, notre assistant développé en partenariat avec le Ministère de la Santé est désormais disponible sur santé.fr. Le but de ce chatbot est de permettre de répondre à des questions simples comme : est-ce que je peux prendre du doliprane si je suis enceinte ? Galien s’occupe ensuite d’apporter une réponse précise avec la posologie adaptée.

Nous avons également lancé une application mobile, baptisée Goodmed, pour scanner le QR code d’une boite de médicament et vérifier facilement s’ils peuvent prendre un médicament ou non en fonction de leur profil santé.

Les partenariats public-privé sont-ils indispensables dans votre secteur ? Doivent-ils être davantage régulés ?

Je comprends la logique de vouloir imposer des normes pour assurer une bonne santé publique. Il est nécessaire d’encadrer les pratiques sans pour autant freiner les acteurs européens dans la compétition économique et technologique mondiale.

Les acteurs publics ont l’inconvénient de la lourdeur administrative et de la lenteur des processus. Les start-up comme nous sont plus agiles et avons des expertises toutes différentes. Il faut renforcer la coopération entre le privé et le public car chacun s’enrichira au contact de l’autre. La France prend de plus en plus conscience de la nécessité de ces solutions externes pour améliorer ses programmes de santé publique, notamment via des appels à manifestation d’intérêt.

La Commission européenne a lancé un appel le 25 octobre 2021 pour mettre en place une version test d’Espace Européen des Données de Santé. C’est un vrai sujet pour tous les créateurs de dispositifs numériques à vocation médicale. Et dans le même temps, il faut que les gouvernements français et européens se demandent s’il est normal que certains acteurs de l’information médicale ont des niveaux de contrainte supérieurs à ceux d’autres pays. Je pense notamment au cadre des Etats-Unis sur les données médicales qui s’avère plus flexible.

Vous avez également annoncé collaborer avec l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) dans le cadre de la pharmacovigilance renforcée autour des vaccins contre la COVID-19. Qu’en est-il maintenant ?

Le dispositif est en place depuis le début des campagnes de vaccination. Notre “Medication Shield” permet une meilleure surveillance des vaccins contre le Sars-CoV-2 par les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). L’intelligence artificielle est chargée de qualifier les déclarations d’effets indésirables liés aux vaccins et autres médicaments. Elle aide directement les experts pharmacologues qui ont accès à la plateforme dans leur travail.

Dans le cadre d’une conférence sur l’autonomie stratégique organisée par le Medef et l’Essec le 5 avril, David Simonnet, président-directeur général de l’entreprise pharmaceutique Axyntis déplorait que 80% des médicaments distribués dans nos officines européennes soient d’origine asiatique… Que pouvons-nous faire pour limiter la dépendance vis-à-vis des fournisseurs chinois ou indiens de principes actifs médicamenteux ?

Je suis assez d’accord avec lui sur le fait que nous avons perdu notre souveraineté en délocalisant ces années précédentes car cela coûtait moins cher. Le secteur a longtemps été oublié et il est possible dès aujourd’hui de rapatrier certains médicaments. Il y a un travail d’expert à faire – indépendant de tout lobby – pour prioriser les médicaments à relocaliser sur nos territoires.

La logique de santé publique doit primer et le premier critère serait de choisir les médicaments qui sont remboursés car cela traduit leur importance d’un point de vue médical. La deuxième chose à faire serait de balayer l’ensemble des grands types de maladie pour ne pas avoir une centaine de médicaments qui se chevauchent. Je dirais qu’il y a un enjeu prioritaire de santé publique sur les antibiotiques et autres traitements de maladies infectieuses, de cancers ou encore de diabète.

Concernant le principe actif, c’est une substance chimique intégrée dans un médicament pour ses effets thérapeutiques qui nécessite un isolement chimique. Puis il faut stabiliser ce principe actif à l’aide d’excipients ce qui est une autre étape de production importante. Nos médicaments coûteraient bien moins cher si nous pouvions centraliser notre chaîne du médicament de A à Z.

Nous ne serons pas souverains à 100% mais il est tout de même réaliste d’avoir une logique européenne d’autonomie stratégique sur les médicaments. L’Europe occupe une place dominante dans le commerce des produits pharmaceutiques : elle est à l’origine de 75% des exportations au niveau mondial. Mais le revers de la médaille c’est qu’elle reste très dépendante de l’Asie en amont de la chaîne de production, où la concentration des fournisseurs peut fragiliser la sécurité des approvisionnements.

Nous pouvons espérer des avancées si une volonté politique émerge en la matière. Si nous avons été en retard sur les vaccins ARN, c’est justement parce que nous n’avons pas assez encouragé les partenariats public-privé dans l’innovation en santé.

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