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Jean-Pierre Champion, DG de Krys Group : « Nous avons relocalisé en France la production annuelle de 400 000 verres »

Jean-Pierre Champion, DG de Krys GroupJean-Pierre Champion, DG de Krys Group

Après une quinzaine d’années dans les services financiers notamment chez General Electric ou encore 5 ans dans les télécoms en commençant par SFR, Jean-Pierre Champion s’est lancé dans le retail, notamment à la Fnac avant de rejoindre Krys Group en 2012. Pour Forbes France, il nous en dit plus sur la stratégie de l’opticien visant à relocaliser partiellement sa production de verres dans l’Hexagone, tout en s’assurant que les besoins en main d’œuvre suivent la cadence.

 

Vous venez tout juste de dévoiler une nouvelle identité visuelle avec un nouveau logo… Que symbolise cette nouvelle étape ?

Jean-Pierre Champion : L’ancien logo a été conçu à une époque où Krys était uniquement investi sur le marché de l’optique. Mais depuis nous sommes aussi devenus un groupe d’audition, donc il a fallu imaginer une nouvelle identité pour illustrer la synergie entre ces deux activités. Au-delà de la forme plus moderne du logo, nous avons conservé notre bleu en le revitalisant.

 

En quoi consiste votre projet KAP 2023 et où en êtes-vous aujourd’hui ?

J.-P. C. : Nous souhaitons relocaliser en France la production annuelle de 400 000 verres et c’est tout l’enjeu de ce projet KAP 2023. Nous avons investi 16 millions d’euros dans l’expansion de notre capacité de production et la modernisation de notre usine en France. Cela nous a permis de porter notre production annuelle à 1,8 million de verres contre 1,4 avant le projet. Ce plan soutenu par la région Ile-de-France et l’État dans le cadre de France Relance à hauteur de 800 000 euros peut paraître “anecdotique” à l’échelle des acteurs mondiaux, mais c’est assez décisif pour une entreprise comme la nôtre.

En parallèle, ces fonds vont aussi permettre d’investir dans de nouvelles machines comme les Syrus, qui servent à appliquer automatiquement les différents types de traitement sur les verres (anti-reflet, anti-salissures…). L’objectif étant de faire du sur-mesure en usine pour que nos magasins n’aient plus à tailler le verre eux-mêmes, de façon artisanale. Nous assumons totalement le fait de ne pas produire tous les verres que nous vendons. Une activité de production relocalisée en France sera forcément plus coûteuse qu’en Chine, c’est pourquoi notre stratégie s’intéresse uniquement aux verres à forte valeur ajoutée dans un premier temps.

 

Le gouvernement a justement consacré son plan France 2030 à l’accélération de la relocalisation de notre industrie… Le made in France peut-il être assez compétitif ?

Je dirais que sur le papier ce projet est nécessaire et ambitieux à l’échelle du pays ; encore faut-il avoir un modèle économique viable à l’échelle de l’entreprise. Le fait est qu’il serait suicidaire de relocaliser l’ensemble de l’industrie du verre en France. Cela suppose en effet d’aller chercher la compétitivité “hors coût” et donc de privilégier certaines catégories de verres, ceux à forte valeur ajoutée. Pour Krys Group, une relocalisation à hauteur de 40 voire 50% est tout à fait envisageable, étant donné que nos gains de productivité augmentent chaque année de 5% par rapport à nos concurrents asiatiques, notamment grâce à nos investissements en termes d’équipements et de formation des équipes.

En revanche, il faut préciser que cette relocalisation est encore plus pertinente pour un distributeur-producteur car il possède un accès direct aux consommateurs. Si je produis moi-même, je peux enlever un intermédiaire et donc redistribuer de la valeur au consommateur en bout de chaîne. Comparé à un pure-player industriel, nous n’avons pas de dividendes à reverser aux actionnaires et nous avons donc plus de marge de manœuvre pour réduire les coûts et ainsi proposer des prix très compétitifs.

 

Qu’en est-il de l’amont de la chaîne et le sourcing des matières premières ?

En amont de la chaîne se trouve un goulet d’étranglement où de nombreuses industries dépendent de l’approvisionnement d’une poignée d’acteurs. Nous avons la chance d’avoir noué un partenariat stratégique avec le fabricant japonais de verres haut de gamme Hoya-Seiko, ce qui signifie que nous ne sommes pas soumis aux aléas de sourcing de matières premières ou de fragilisation des chaînes logistiques.

 

Est-ce que le recrutement peut suivre la cadence ? Quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics face à la pénurie généralisée de talents ?

Si produire en France est souvent plus cher, c’est avant tout car la main-d’œuvre chinoise coûte six fois moins cher. Mais produire soi-même est un choix assumé et le facteur rareté reste évidemment la main-d’œuvre dans nos usines. Nous avons d’ailleurs aujourd’hui largement recours à de l’intérim pour combler nos effectifs. Pour ma part, je ne demanderasi pas au gouvernement une baisse des coûts de production, ni de révolutionner le monde de la formation professionnelle, mais plutôt une incitation économique à travailler dans les usines. Autrement dit, faire en sorte que cela soit plus avantageux que de toucher des allocations chômage – dès lors que les conditions de travail et de rémunération sont attractives.

Dans nos magasins, nous avons affaire à une crise des vocations avec des diplômés en optique qui attachent beaucoup d’importance à l’équilibre vie professionnelle-vie privée. De plus en plus de salariés souhaitent par exemple adapter leur temps de travail de manière plus flexible alors qu’un commerce est ouvert 6 jours sur 7. Nous cherchons des solutions pour recruter davantage, par exemple sur notre exigence en termes de qualifications. Nous allons ouvrir 400 magasins d’ici 2028 et la moitié de nos collaborateurs n’auront pas besoin d’être diplômés.

Encore une fois, je pense que les pouvoirs publics doivent rendre la situation des chômeurs moins intéressante que celle des actifs. Le reste, on s’en charge : nous pouvons par exemple financer la formation de profils non-opticiens dans le cadre de notre propre CFA.

 

Un message à faire passer aux jeunes pour les convaincre de travailler chez vous ?

J’aimerais partager aux jeunes générations le fait qu’il est possible de réussir dans la vie sans faire de grandes études. L’Allemagne est un bel exemple notamment en termes d’efficacité de la formation professionnelle. Chez Krys, les jeunes en magasin peuvent bénéficier d’un contact client précieux mais aussi d’un lien privilégié avec des entrepreneurs aguerris. En effet, nos associés sont des chefs d’entreprise qui ont investi leur argent, leur temps et leur cœur dans le développement de leur magasin. Les jeunes ont beaucoup à apprendre de ces profils et il suffit ici d’un BTS pour se former à devenir un grand chef d’entreprise.

Le travail en usine est évidemment plus difficile, plus répétitif. Mais j’aimerais tout de même faire valoir que nous investissons régulièrement dans notre usine afin qu’elle soit toujours moderne, sécurisée et moins répétitive pour nos collaborateurs. Notre politique salariale est aussi un avantage indéniable et permet de couvrir largement les effets de l’inflation. Enfin, nous avons la chance en France d’avoir une filière optique parmi les plus performantes au monde, que cela soit en termes de technologie, de maillage territorial et de parcours de santé. Beaucoup d’opportunités de carrière sont à saisir.

 

Qu’en est-il de vos objectifs durables ? Est-ce que le reconditionnement fait partie des grands défis à venir ?

L’industrie est un maillon incontournable du développement durable. De notre côté, nous avons entrepris des efforts dans la récupération de la chaleur des eaux usées ou encore du froid de l’extérieur et de notre chaîne du froid. Nous allons également financer le déploiement de panneaux photovoltaïques très bientôt. Pour ce qui est des matériaux ou composants que nous ne produisons pas nous-mêmes – comme les montures par exemple -, il est question ici d’obtenir des informations plus précises sur le sourcing et le bilan carbone général. Ce n’est pas une tâche aisée mais notre objectif est de devenir de plus en plus précis.

Notre bilan carbone annuel en usine s’élève à environ 400 tonnes de CO2. Nous pouvons le limiter grâce à l’optimisation de la température et de la luminosité par exemple. Mais cette marge de manœuvre est quasi-inexistante pour les étapes de production que nous ne maîtrisons pas. C’est pourquoi cet objectif de relocalisation progressive est aussi un moyen de mieux mesurer notre impact et de le réduire. Nous avons par exemple décidé récemment de rapatrier notre production de lunettes loupe prémontées – initialement en Chine – en République Tchèque. La distance est bien moindre et donc permet de réduire notre impact carbone sur ce produit à faible valeur ajoutée.

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