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Entretien Avec Stephan Winkelmann, Président de Bugatti

Bonjour monsieur Winkelmann, vous êtes le PDG de Bugatti, merci de nous accorder cet entretien aujourd’hui. Bugatti est l’une des entreprises les plus prestigieuses au monde. Pour commencer, pouvez-vous nous confirmer que c’est une marque française ?

Stephan Winkelmann : Absolument. Bugatti est une marque française, son fondateur était italien mais il est devenu un citoyen français au cours de sa vie. Pour moi, et pour nous tous, Bugatti est une entreprise française, qui fête ses 110 ans cette année. Nous souhaitons mettre en avant toute l’histoire de Bugatti, et même celle de l’époque où l’entreprise était en Italie, c’est une partie de notre héritage. Je peux aussi vous annoncer que nous allons dévoiler quelques nouvelles cette année, et il est donc important pour nous de parler de cet héritage et de faire prendre conscience au monde que nous sommes français. J’entends trop souvent des personnes me demander où le siège de Bugatti se trouve en Italie, alors que nous sommes en France. En général les voitures de sport et de luxe viennent du Royaume-Uni ou d’Italie, mais pas de France. Mais la France est le pays du luxe par excellence, et je pense que nous devrions être fiers d’avoir un constructeur automobile français qui fait rêver le monde de l’automobile, c’est incroyable.

C’est une très bonne chose que vous disiez cela, car nous avons sorti un magazine Forbes spécial luxe et nous avons fait le test de demander à une dizaine de personnes de nous donner le nom du meilleur constructeur automobile de luxe en France et 9 d’entre eux n’ont pas été capables de nous répondre. Je pense que nous avons encore du travail à accomplir de ce côté-là. Bugatti a été rachetée il y a quelques années par le groupe Volkswagen. Pouvez-vous nous dire ce que ce groupe a apporté à votre marque ?

S.W. : Ce qui est sûr, c’est que le groupe a apporté de la vie mais aussi une vision à notre marque, avec la Veyron par exemple. Selon moi, il y a 3 voitures qui représentent parfaitement notre marque : la Type 35, l’Atlantic et la Royale ; et le groupe Volkswagen est spécialiste des voitures historiques. Ces trois modèles de luxe représentent la beauté, le confort et la vitesse. Ces trois qualités ont été intégrée à la Veyron, c’est une voiture de luxe, confortable et très rapide. Et nous avons fait encore mieux avec la Chiron, ce qui nous a permis de retourner à ce qu’était la marque à l’époque. Et je pense que cela est dû à la stratégie qu’a adoptée Volkswagen en incluant une marque telle que Bugatti à son groupe.

Dans les années 1910, Ettore Bugatti, le fondateur de la marque souhaitait que la marque suive des valeurs fondamentales. Diriez-vous que l’ADN de Bugatti a changé depuis cette période ? Et qu’en sera-t-il dans le futur ?

S.W. : Ettore Bugatti était un homme différent des autres entrepreneurs de l’industrie automobile. Pour lui, le plus important était que Bugatti ait une essence, il voulait créer des voitures qui ne pouvaient pas être comparées aux autres, sinon ce n’étaient plus des Bugatti. Je pense que sa vision reste encore très moderne aujourd’hui.
Avec des voitures telles que la Chiron, nous avons des moteurs 16 cylindres et 1500 chevaux, ce qui est hors norme pour l’industrie automobile. Nous continuons à respecter la vision d’Ettore Bugatti, mais en même temps nous devons toujours nous adapter. Il ne suffit pas de regarder en arrière et de répéter des modèles que nous avons déjà. Une marque est un processus en développement continu. Nous devons rester dans l’ère du temps, mais à la fois proposer des choses différents qui restent cependant dans la même ligne d’idée que celle de Bugatti.
Nous visons également la perfection, et nous cherchons à proposer une technologie qui n’est adoptée de personne, nous recherchons des moteurs incroyables, des matériaux de qualité. Et nous essayons d’équilibrer tout ça avec nos prix, nous devons produire des voitures de rêve mais nous devons aussi faire en sorte que la marque survive dans les prochaines décennies. Il ne s’agit pas seulement d’investir, il faut que tout cela soit rentable.

Comme vous le savez, chez Forbes nous aimons les chiffres. Pourriez-vous nous donner quelques chiffres à propos de votre production, de votre équipe, ou autre… ?

S.W. : Notre équipe est assez restreinte, nous sommes un peu plus de 300. L’année dernière, nous avons produit 76 voitures. Le groupe ne révèle les chiffres qu’au milieu du mois de mars, donc je ne peux pas vraiment savoir quels sont les résultats de l’entreprise. Mais nous avons fait une très bonne année.

Pouvez-vous me confirmer que vous allez produire 40 modèles Divo en 2019 ?

S.W. : Nous avons effectivement vendu 40 Divo, mais elles ne seront produites qu’entre 2020 et 2021.

Quelle est la marche à suivre lorsqu’on souhaite acheter l’une de vos voitures ?

S.W. : C’est un processus tout à fait normal. Vous pouvez vous rendre chez un concessionnaire, ou vous pouvez directement prendre un rendez-vous pour venir nous voir à Molsheim. Une fois que vous avez configuré votre voiture, tout cela se fait petit à petit jusqu’au jour de la livraison de la voiture. Ça n’a rien de compliqué. Évidemment nous contrôlons au préalable les personnes qui nous approchent, mais nous ne sommes pas une sorte de club inaccessible. Je ne dis pas que personne ne peut approcher Bugatti.

En termes de production, pouvez-vous également me confirmer que la plupart de vos voitures sont entièrement fabriquées à la main ?

S.W. : Dans une large mesure, nos voitures sont fabriquées à la main. Il y a un contraste entre cette fabrication à la main et notre technologie très pointue. Mais tout cela se mélange très bien ensemble. Lorsque des personnes nous rendent visite à Molsheim, nous appelons ça notre atelier et non notre usine.

En prenant compte de votre main-d’œuvre très qualifiée, comment pourriez-vous accroître votre production ?

S.W. : Nous produisons en moyenne 70 à 80 voitures par an. Nous souhaitons garder ce rythme car si nous voulons produire plus nous devons investir, engager de nouvelles personnes, et développer de nouveaux modèles. Je pense que notre marque serait prête à produire un nouveau modèle, mais nous devons d’abord trouver des idées intelligentes.

Est-ce que c’est difficile de trouver des personnes qui pourraient travailler pour vous ?

S.W. : Pas vraiment, mais c’est difficile de trouver des personnes avec des connaissances et de l’expérience, mais nous n’hésitons pas à les chercher. C’est un processus compliqué car si nous voulons produire un nouveau modèle, nous avons besoin de plus de personnes, mais cela prend beaucoup de temps car il faut les former.

De nos jours la demande augmente, et en réponse à cela vous avez également augmenté vos prix.

S.W. : Je ne pense pas qu’il soit juste de dire que le luxe équivaut forcément à des prix exorbitants. Cependant, nous investissons beaucoup et cela doit se ressentir sur notre retour sur investissement. Nous n’augmentons pas nos prix sans raison. Nous offrons de bons produits dotés d’une bonne technologie, et je pense que cela vaut son prix. Nous gagnons d’un côté, mais nous perdons de l’autre.

Qu’est-ce qui rend le modèle Divo si unique ?

S.W. : Avec la Divo, nous avons développé une nouvelle idée de performance, nous avons une voiture très maniable avec beaucoup de déportance. Nous avons un nouveau design complètement différent de celui de la Chiron, et beaucoup plus sportif. C’est une voiture qui procure beaucoup plus d’émotions. Habituellement, dans n’importe quelle entreprise automobile, vous pouvez produire une voiture qui mêle vitesse et maniabilité. Mais nos voitures sont tellement extrêmes que si nous voulons de la vitesse et de la maniabilité, nous devons diviser cela en deux voitures. C’est un avantage pour nos clients car ils comprennent tout de suite le message que veut faire passer notre modèle, mais c’est un inconvénient pour nous car nous ne pouvons pas rassembler tous ces éléments en une seule voiture. En règle générale, soit nous avons une voiture très sportive soit une voiture luxueuse très confortable, mais avec la Chiron nous avons réussi à combiner les deux. Cependant le mélange n’est pas dérangeant car elle est très confortable, facile à manier et vraiment exceptionnelle, elle semble venir d’une autre planète.

Selon vous, avec quelle autre marque que la vôtre un client pourrait hésiter à acheter une voiture ?

S.W. : Il existe beaucoup de marques qui attirent les consommateurs, mais toute personne qui comprend réellement la marque Bugatti n’hésitera pas avec une autre, notamment pour les raisons que je viens de vous décrire. Il ne s’agit pas seulement d’avoir une voiture confortable et qui va vite. Notre marque combine tout cela, et ça ne se retrouve pas ailleurs. Et je le répète, c’est français, nous devons en être fiers.

Vous avez récemment déclaré que vous ne feriez pas de SUV, est-ce que cette affirmation est toujours vraie ?

S.W. : J’adore les SUV, mais je pense que Bugatti doit faire quelque chose qui lui ressemble. Par le passé, Ettore Bugatti faisait de tout, tous les styles de voitures, des voitures de sport, des limousines… Aujourd’hui je pense que nous devons essayer de trouver quelque chose de nouveau, de différent. Nous avons des idées, mais comme je l’ai dit avant nous n’avons pas assez de personnes pour développer ces idées. Et comme nous faisons partie d’un gros groupe, il n’est pas si facile de se lancer dans quelque chose de nouveau.

Vous voulez dire qu’il manque quelque chose à votre gamme ?

S.W. : Je veux dire que notre marque est prête à développer autre chose.

Comme des voitures électriques par exemple ?

S.W. : Nous pourrions faire des voitures électriques, oui. Nous devons trouver le meilleur héritier possible au modèle Chiron. Si nous venions à faire un deuxième modèle, je ne voudrais pas que ce soit une hypervoiture, mais plutôt une voiture qu’on peut utiliser au quotidien, et l’électrique pourrait être une bonne idée.

En ce qui concerne votre clientèle, quel est le profil type de vos acheteurs aujourd’hui ? Et pour le futur, quelle clientèle visez-vous ?

S.W. : Nous vendons de manière quasi-égale en Amérique du Nord et en Europe. Pour ce qui est de l’Europe, nous vendons principalement au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suisse. Pour le futur, l’Asie est le continent qui semble nous présenter le plus d’opportunités. Nous n’avons pas de type d’acheteur précis. J’ai parfois rencontré des acheteurs qui venaient nous commander deux voitures, une pour eux et l’autre pour leur femme. Les chanceux ! 
Nous vendons à des joueurs de football par exemple, à des stars de l’industrie musicale, à des acteurs, mais ce sont principalement des entrepreneurs qui achètent nos voitures.

Est-ce difficile pour Bugatti qui est une marque ancienne d’adopter des designs plus modernes ?

S.W. : Nos designs se doivent d’être simples, sinon ils ne seront pas compris. Nous avons décidé de suivre trois directives : le devant arqué, la ligne Bugatti et la ligne centrale qui a été créée avec l’Atlantic. Nous souhaitons garder ces trois éléments et les réutiliser pour nos voitures à venir car ce sont des éléments distinctifs qui permettent de reconnaître notre marque. N’importe qui doit reconnaître que c’est une Bugatti même s’il n’y a pas de logo.

Bugatti a 110 ans cette année, qu’avez-vous préparé pour fêter cela ?

S.W. : Nous avons beaucoup d’événements à venir cette année. Le plus important se déroulera début septembre, où nous allons organiser une grande tournée avec notre clientèle qui possède une Veyron ou une Chiron. Nous allons partir de Milan, passer par Monte Carlo, puis aller à Paris. Ensuite, de Paris jusqu’à Molsheim des voitures historiques vont nous rejoindre sur une petite distance, et le final aura lieu à Molsheim. Nous allons organiser d’autres événements dans le monde, mais celui-ci sera le plus important.

 

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