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Votre façon de négocier est-elle obsolète ?

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Votre façon de négocier est-elle obsolète ?

J’ai récemment été sollicité par une entreprise confrontée à une renégociation complexe avec un de ses fournisseurs. Leur demande ? Un accompagnement accéléré à la négociation… trois semaines avant le démarrage officiel de cette dernière.

 

Trois semaines pour renverser un rapport de force historique. Trois semaines pour inverser une logique de dépendance installée depuis des dizaines d’années. La négociation peut faire des miracles mais ce n’est pas de la magie.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Trop souvent, la négociation reste cantonnée à une compétence périphérique, activée dans les “grands moments” — signature de contrat, litige, appel d’offres. Pourtant, elle mériterait une plus grande attention car elle irrigue tous les domaines du business : relations fournisseurs, stratégie commerciale et achats, rapprochements d’entreprises, etc.

Mais dans un monde de plus en plus tendu, asymétrique, sous pression économique, cette vision est dépassée. Pendant que les entreprises transforment leur leadership, digitalisent leurs opérations, repensent leur expérience client… leur culture de la négociation, elle, reste figée. Il est temps de changer de regard.

 

La négociation reste souvent le parent pauvre des transformations

Les entreprises investissent massivement dans des programmes de leadership, des transformations digitales, des démarches agiles, des outils d’intelligence collective. Le “change management” est devenu une fonction reconnue, structurée, incontournable. Mais jamais il ne s’applique à la négociation. Cette dernière reste souvent confinée à des formations ponctuelles ou des accompagnements isolés. Résultat : les équipes négocient “comme elles peuvent”, souvent en réaction, rarement de façon stratégique. C’est comme si une armée envoyait ses troupes à l’aveugle, sans armes, sans munitions, sur un terrain inconnu, sans directive ni cap. En espérant que “ça passe”.

Cette approche suppose que la négociation est un « moment ». En réalité, c’est une dynamique.

 

Négocier n’est plus une technique, c’est une culture

Réduire la négociation à une compétence qu’on active à un instant t (client, fournisseur, partenariats…) est une erreur aussi courante que coûteuse.

Ce ne sont pas les lacunes techniques qui limitent les résultats. C’est la posture. Car à défaut d’une préparation stratégique, ceux qui négocient se retrouvent en situation de justification plutôt que de positionnement assumé. Ils subissent au lieu d’orienter. Ils défendent au lieu de proposer. On ne construit pas une position solide sur la seule base d’une joute oratoire. Une négociation se prépare dans le temps, par scénarisation, ancrage et stratégie. Il est surréaliste de voir des entreprises attendre le dernier moment pour préparer une renégociation qu’elles savent inévitable… depuis une ou plusieurs années.

Dans ce contexte, le mot important dans « stratégie de négociation » n’est pas « négociation », mais « stratégie ». Cela suppose de sortir des recettes toutes faites, et d’adopter une logique long terme : influence, diplomatie, jeu relationnel.

Ainsi, une direction commerciale ne devrait pas considérer la relation client comme un simple suivi opérationnel. Elle devrait la penser comme l’antichambre de la négociation à venir.

Chaque interaction anodine prépare le terrain d’un futur rapport de force. C’est un travail de sape ou de construction, selon l’intention. C’est une diplomatie active.

 

Négocier dans un monde asymétrique : vers une négociation activiste

L’époque est marquée par une forme de brutalité : dans les affaires, la politique, même la diplomatie. Dès son arrivée au pouvoir, Donald Trump proposait d’annexer le Groenland ou de faire du Canada le 51e État américain.

Dans le business, les rapports de force se durcissent, les confrontations se multiplient, les acteurs dominants protègent leur rente plus qu’ils ne cherchent le compromis.

Dans ce contexte, la négociation classique, fondée sur la persuasion et l’approche rationnelle, ne suffit plus. Les meilleurs négociateurs ne cherchent pas à gagner une discussion. Ils cherchent à créer les conditions qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs. Cela commence bien avant la salle de réunion. Dans la définition de la valeur, la construction du récit, les alliances, l’orchestration d’un rapport de force acceptable.

 

La négociation activiste n’est pas l’ennemie de la négociation collaborative

Non, il ne s’agit pas d’abandonner la négociation constructive. Mais pour qu’un vrai dialogue soit possible, encore faut-il que les forces soient équilibrées. Tant que l’une des parties dicte les règles, aucune co-construction sérieuse n’est envisageable. C’est là qu’intervient la logique activiste : celle qui prépare, qui déstabilise parfois, qui rebâtit un équilibre plus sain. Cela peut passer par des coalitions, du lobbying, un audit relationnel, une stratégie d’influence. Cela peut aussi impliquer de mobiliser des relais médiatiques, de faire appel aux autorités de la concurrence, ou de repositionner le débat sur le terrain réglementaire.

Prenons un exemple : celui des commissions payées par les commerçants sur les paiements par carte.

Face à des géants évoluant sur un marché oligopolistique, cherchant à préserver leur rente, inutile de brandir les arguments classiques du “win-win”. Certains commerçants, chaînes hôtelières ou enseignes de la restauration rapide, l’ont compris : ils ont commencé par rééquilibrer le rapport de force, avant même de parler négociation. En travaillant l’écosystème, les alliances, les points d’appui réglementaires ou concurrentiels.

Le même type de dynamique se retrouve dans les relations entre hôteliers et plateformes de réservation en ligne : pour retrouver des leviers, certains groupes s’organisent collectivement, challengent les clauses contractuelles abusives, et tentent de créer les conditions qui leur permettront d’entamer une « vraie » négociation.

 

La fin des négociateurs-pompiers

Trop d’entreprises activent la négociation dans l’urgence, comme un extincteur. Mais une négociation mal préparée, dans un rapport de force défavorable, sous pression… minimise presque toujours les résultats.

Une vraie négociation commence bien avant le face-à-face. Elle se déroule tout d’abord « away from the table » selon la formule de celui qui a été le directeur du Harvard Negotiation Project, James Sebenius. Mécanisme qu’il décrit très clairement dans son ouvrage 3-D Negotiation (Harvard Business Review Press, 2006).

Elle se joue en coulisses : dans la manière dont une relation est construite, dans les signaux faibles, dans la posture quotidienne. La négociation n’est plus une compétence ponctuelle, c’est une attitude. Un état d’esprit. Un muscle stratégique. Elle irrigue tous les espaces de l’entreprise. Et redéfinit les rôles : Un directeur commercial ne “gère pas une relation”. Son rôle est de rendre l’entreprise qu’il représente plus indispensable qu’elle ne l’était auparavant. Il façonne un théâtre relationnel favorable. Il crée un avantage structurel. C’est un scénariste. Un stratège. Un influenceur.

Parfois, il s’entoure — d’un coach, d’un sparring partner, d’un œil externe — pour l’aider à construire le bon récit, anticiper les tensions, choisir ses leviers. Après tout, les entreprises font appel à des coachs pour tous les sujets stratégiques… pourquoi pas pour la négociation ? Il ne négocie pas mieux. Il prépare mieux. Et il influence plus justement. Il n’est plus pompier. Il est architecte. Et c’est cette transformation qu’il est urgent d’enclencher.

 


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