Le 2 avril 2025, proclamé par Donald Trump « jour de la libération », son administration a annoncé la plus forte hausse de droits de douane depuis la loi Hawley-Smoot de 1930 — souvent pointée du doigt pour avoir contribué au déclenchement d’une guerre commerciale mondiale et à l’aggravation de la Grande Dépression.
Deux jours plus tard, l’action Boeing s’échangeait à 136,59 dollars. Elle a clôturé à 210,86 dollars le vendredi 6 juin, enregistrant un bond spectaculaire de 54 % en à peine deux mois. Ce que Wall Street surnomme désormais le « TACO trade » – acronyme de Trump Always Chickens Out (Trump finit toujours par se dégonfler) – a valu au président le sobriquet moqueur de « DJ Taco ». Lors de son retour à la Maison-Blanche, les investisseurs s’attendaient à une vague d’opportunités inédites : réduction de la taille de l’État, budgets équilibrés, baisses d’impôts, allègement des réglementations. Des espoirs partagés aussi bien par les républicains que par certains démocrates.
Mais c’est finalement la politique tarifaire de Trump qui s’est imposée comme le véritable moteur des marchés. À Wall Street, tout le monde connaît l’adage : « les droits de douane font des ravages sur les marchés ». Pourtant, l’approche du président américain relègue la planification centralisée des années 1930 au rang d’exercice scolaire : ses décisions, souvent abruptes et incohérentes, plongent les marchés dans le chaos — un chaos dont certains investisseurs aguerris savent toutefois tirer profit.
Nombreux sont ceux qui reconnaissent l’intérêt d’une approche plus stratégique du commerce international, notamment vis-à-vis de la Chine. Mais pour une grande partie du reste du monde, la politique tarifaire de Donald Trump dépasse l’incompréhension : elle frôle l’absurde.
Prenons l’exemple de Boeing, dont les liens étroits avec le Japon et l’Italie — deux alliés clés dans le secteur aéronautique — sont mis à rude épreuve. Le PDG du constructeur a récemment estimé que les droits de douane coûteraient à l’entreprise 500 millions de dollars cette année. Et pourtant, malgré ce fardeau, l’action Boeing s’envole. Un paradoxe qui s’explique par l’environnement de volatilité et d’incertitude généré par la stratégie commerciale chaotique connue sous le nom de « TACO » — un terrain fertile pour les spéculateurs.
Boeing tire son épingle du jeu dans la tempête tarifaire
Au cœur des turbulences commerciales provoquées par la stratégie TACO, Boeing apparaît comme l’un des rares bénéficiaires. Sa spectaculaire remontée en Bourse repose sur des fondamentaux solides : le carnet de commandes du 737 MAX et sa capacité de production soutiennent une montée en cadence prometteuse, dopée par une demande soutenue et une infrastructure prête à suivre. L’entreprise semble ainsi bien positionnée pour tirer parti non seulement du chaos actuel, mais aussi d’une éventuelle normalisation des politiques commerciales.
À court terme, la croissance du chiffre d’affaires et des bénéfices dépendra de la levée des plafonds de production imposés par la Federal Aviation Administration (FAA), et de leur stabilisation à des niveaux plus élevés. À l’horizon 2034, Boeing vise jusqu’à 400 milliards de dollars de revenus. Mais si l’accélération de la production ouvre des perspectives séduisantes, la priorité reste la solidité opérationnelle : aller trop vite pourrait fragiliser le redressement à long terme et compromettre l’assainissement du bilan. Malgré la pression des investisseurs impatients, la croissance durable repose sur une production fiable, et non précipitée.
Le constructeur américain profite également d’un net avantage concurrentiel : il dépasse désormais Airbus en termes de commandes de gros-porteurs et de valeur totale des contrats. Dans un contexte de chaînes d’approvisionnement perturbées et de politiques commerciales imprévisibles, ce statut de fabricant national bien implanté renforce encore son attrait aux yeux des clients comme des marchés.
Airbus face aux vents contraires du marché
Bien qu’Airbus domine les livraisons de monocouloirs, le constructeur européen se heurte à des goulots d’étranglement persistants dans sa chaîne d’approvisionnement, freinant toute montée en cadence. Si la demande reste forte pour les deux géants de l’aéronautique — comme en témoignent leurs carnets de commandes bien remplis — Boeing bénéficie d’un léger avantage à court terme, dopé par la reprise de ses livraisons et la dynamique du « TACO trade ».
Dans un contexte commercial de plus en plus imprévisible, les fragilités logistiques d’Airbus apparaissent plus clairement. Une résolution rapide de ces tensions pourrait toutefois permettre à l’avionneur européen de rebondir et de regagner des parts de marché, faisant de 2025 une année décisive. En attendant, les politiques tarifaires américaines continuent de peser sur les acteurs étrangers, offrant un terrain plus favorable aux constructeurs nationaux comme Boeing.
Naviguer dans la stratégie TACO
Le TACO — pour Trump Always Chickens Out — ne se résume pas à la propension de Donald Trump à revenir sur ses menaces les plus dures. Il illustre aussi la manière dont les marchés s’adaptent aux secousses politiques. Les investisseurs ont désormais intégré ce cycle : choc initial après des annonces agressives, suivi d’un soulagement lorsque la ligne se radoucit.
Boeing est l’exemple emblématique de cette mécanique. L’entreprise joue sur deux tableaux : elle incarne à la fois la victime des guerres commerciales, ce qui attire des achats de soutien, et le symbole des politiques « America First », ce qui séduit les capitaux nationalistes. À chaque annonce de nouveaux droits de douane, l’action fléchit brièvement, plombée par la crainte de représailles ou de perturbations logistiques. Mais lorsque Trump recule ou nuance sa position — comme il en a pris l’habitude — Boeing rebondit, porté par l’optimisme retrouvé des investisseurs sur ses perspectives internationales.
La courbe boursière du groupe reflète ce scénario à répétition : un pic de volatilité suivi de hausses durables, à mesure que le marché reconnaît la solidité structurelle de Boeing et relativise l’impact réel des mesures protectionnistes. Les investisseurs aguerris ont désormais un réflexe : acheter Boeing au creux des annonces, et attendre patiemment que le président change de cap.
Les enjeux plus larges
La stratégie commerciale de Trump crée un environnement d’investissement inédit, où les entreprises aux fondamentaux solides mais exposées à l’international deviennent les cibles idéales pour les fameuses opérations de type TACO. Le bond de 54 % du titre Boeing en deux mois illustre à quel point il est possible de tirer parti de l’imprévisibilité politique, à condition de comprendre la logique qui sous-tend ces soubresauts.
Pour réussir une stratégie TACO, il faut savoir repérer les entreprises capables de profiter des revirements politiques tout en ayant les reins assez solides pour encaisser les chocs initiaux. Boeing, acteur central de l’aérospatiale américaine et pilier de l’aviation commerciale mondiale, cumule les atouts : exposition stratégique, carnet de commandes solide et stature suffisamment robuste pour traverser les turbulences.
À l’avenir, la volatilité restera sans doute la norme autour des annonces commerciales. Mais une chose est sûre : le modèle TACO, aussi chaotique soit-il, offre aux investisseurs aguerris des fenêtres d’opportunité de plus en plus prévisibles — à condition d’être prêts à naviguer dans l’incertitude que suscite la méthode Trump.
Note : l’auteur détient des participations dans certaines des sociétés citées dans cet article.
Une contribution de Robert Daugherty pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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