L’annonce est tombée… les entreprises devront désormais s’acquitter d’un reste à charge forfaitaire obligatoire de 750 euros pour chaque contrat d’apprentissage signé dans l’enseignement supérieur. Cette mesure différenciante frappera l’ensemble des entreprises, quelles que soient leur taille ou leur secteur. Si elle vise à alléger la pression budgétaire de l’Etat, elle risque en réalité d’écarter du dispositif les acteurs mêmes qui ont porté la croissance exceptionnelle de l’apprentissage ces dernières années : les TPE et PME mais également de fragiliser dangereusement les CFA, maillons opérationnels indispensables de tout déploiement réussi et maîtrisé.
Une contribution d’Olivier Marion, Directeur général de Formasup Ain-Rhône-Loire
Un modèle qui a fait ses preuves
Il est important de rappeler que l’apprentissage est un dispositif de formation qui a démontré son efficacité avec une dynamique exceptionnelle. Entre 2018 et 2024, le nombre d’apprentis est passé de 435 000 à plus d’1 million. Cette réussite est le fruit d’un engagement collectif : celui des jeunes, des CFA, mais surtout des entreprises (en particulier les plus petites) qui ont massivement joué le jeu. Aujourd’hui deux tiers des contrats d’apprentissage sont portés par des TPE et PME.
En plus de répondre aux besoins des entreprises en matière de compétences, cela permet d’améliorer l’égalité des chances en matière d’accès aux formations du supérieur et de renforcer sa mixité sociale. Six mois après leur sortie de formation, six apprentis sur dix sont en emploi, un taux nettement plus élevé que pour leurs homologues préparant un diplôme par la voie scolaire. Cela est encore plus prononcé sur le supérieur qui affiche en outre de meilleurs scores sur le taux de réussite aux diplômes que le parcours en formation initiale.
Un contexte économique sous tension
Cette réforme intervient au pire moment. La croissance française stagne avec un recul de 0,1% du PIB au dernier trimestre 2024. Les défaillances d’entreprises explosent : + 18% sur un an. Le chômage repart à la hausse, notamment chez les jeunes dont le taux atteint 17,2%. Dans un tel contexte géo-économique, affaiblir un outil d’insertion aussi puissant est contre-intuitif.
Plutôt que de consolider un outil globalement performant on risque d’en fragiliser les fondations. L’apprentissage est un levier de souveraineté économique et plus que jamais nous avons besoin de bien former notre jeunesse pour nous engager favorablement dans la bataille des connaissances et des compétences du 21ᵉ siècle.
Une mesure inadaptée
Ce qui est particulièrement inquiétant est l’absence de modulation. Toutes les entreprises paieront sans distinction. Pourtant, un reste à charge forfaitaire peut représenter un obstacle insurmontable pour une petite entreprise. Le bon sens aurait appelé à une modulation selon la taille, en ciblant par exemple les entreprises de plus de 500 salariés et non le seuil administratif arbitraire de 250, plutôt inadapté à la réalité de fonctionnement de ces acteurs. Une contribution identique pour une PME de 30 salariés ou un grand groupe du CAC 40 ? L’effet risque d’être délétère…
Le ciblage de l’enseignement supérieur
Enfin, il est essentiel de ne pas céder à une vision catégorielle qui opposerait l’infrabac et le supérieur. Oui, nous avons besoin d’ouvriers qualifiés. Mais nous avons tout autant besoin d’ingénieurs, de cadres, de techniciens supérieurs.
Former et insérer des Bac+3 à +5 est vital pour réussir la reconquête de notre souveraineté industrielle, énergétique, technologique et sanitaire. Ils sont nos forces vives. Un artisan a besoin d’une route, d’un réseau, d’une infrastructure pour exercer son métier. Opposer l’infrabac et le supérieur conduit à une impasse conceptuelle et pratique.
La réforme en cours aurait pu se concentrer légitimement sur la question de la qualité des formations, des accompagnements et de leur performance en termes d’insertion. Faire peser « l’ajustement » du système sur les épaules des entreprises et sur les CFA devenant en outre désormais des collecteurs du forfait des 750 euros ; c’est fragiliser tout l’édifice patiemment construit depuis 2020 et nous exposer à un risque « industriel ».
L’apprentissage n’est pas qu’une ligne budgétaire. C’est une composante stratégique du développement de notre nation : un investissement salutaire dans notre jeunesse et une élégante manière de régénérer la collaboration entre les générations ; un compagnonnage heureux : voilà ce que nous propose l’apprentissage !
Ne le sacrifions pas mais bien au contraire : offrons-nous un chemin viable vers l’avenir !
À lire également : Formations Master : donner toute leur place aux compétences langagières !

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits