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Réindustrialisation de la France, comment dépasser la vision parcellaire

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Réindustrialisation de la France, comment dépasser la vision parcellaire

La dynamique de réindustrialisation s’essouffle. Selon le baromètre industriel de l’Etat, la France a compté 114 ouvertures de nouveaux sites industriels en 2024 contre 170 en 2023.

Une contribution de Tony da Motta Cerveira, principal au sein du cabinet de conseil Square Management

Au-delà des causes habituellement citées pour expliquer cet essoufflement (coût du travail et fiscalité trop élevés, complexité administrative, hausse du coût de l’énergie…), il existe des causes moins connues : une vision trop techno-centrée, l’absence d’un pilotage de l’adoption des innovations et un déficit dans l’accompagnement culturel des PME vers L’ETI. Améliorer la dynamique de réindustrialisation suppose de traiter ces causes moins connues.

Dépasser le technocentrisme

 

Pendant son échange à la Commission des affaires économiques, Olivier Lluansi met en lumière une myopie managériale française : « Depuis 2009, nous avons voulu faire fonctionner une réindustrialisation sur une jambe, à cloche pied, uniquement par de grands paris technologiques. En termes industriels, cela revient à construire des châteaux sur du sable ». En effet, depuis les grands chantiers industriels des années 70, le tissu productif a été lessivé et il n’y a plus de socle industriel – de compétences industrielles – pour soutenir des programmes de percées technologiques.

En conséquence, il est indispensable de conjuguer investissements technologiques et innovation managériale. Afin de garantir une montée en cadence, des entreprises doivent se transformer en écoles pour leurs futurs collaborateurs. L’École Hermès des savoir-faire, adossée à neufs pôles manufacturiers régionaux de la maison, en est un exemple ; La Murfy Académie, déployant 6 centres de formation aux 4 coins de France, en est un autre.

La réindustrialisation exige autant de paris technologiques que d’innovations managériales. La croissance d’une entreprise industrielle repose sur sa faculté à attirer, former, fidéliser, innover avec les talents de son territoire.

 

Mieux piloter l’adoption des innovations

 

Sur les 27 pays membres de l’UE, la France se classe seulement 12ᵉ en matière d’innovation [1], alors que sa recherche fondamentale excelle toujours (4ᵉ mondiale en nombre de prix Nobel). Si la France engendre encore de grandes percées scientifiques, elle ne les convertit plus en innovation. À l’instar d’Ynsect – actuellement en redressement judiciaire malgré 600 millions € de financement depuis sa création – de nombreuses entreprises industrielles françaises ne convertissent pas leurs efforts de R&D en offres rentables. L’échec commercial de trop nombreuses inventions entrave la création de débouchés stables et freine l’émergence de nouvelles filières industrielles.

Indéniablement, les méthodes de mise sur le marché peuvent être renouvelées. À la place des stratégies habituelles – techno-push ou Market Pull – de nouvelles approches sont disponibles afin de mieux évaluer et piloter l’incertaine création de valeur des offres innovantes. À dessein, le Centre de Recherche en Gestion de l’École polytechnique travaille depuis une décennie sur un modèle efficace et simple, dit « Full Value ».

La réinvention des méthodes de mise sur le marché et l’innovation de business model constituent une problématique phare, bien qu’encore trop négligée, de la réindustrialisation.

[1] European Innovation Scoreboard 2024 Report. European Commission. Alasdair Reid and Paresa Markianidou.

 

Optimiser l’accompagnement de la PME vers l’ETI

 

Locomotives de la réindustrialisation, les ETI industrielles demeurent trop peu nombreuses. Malgré la Stratégie Nation ETI, le cap des 2000 ETI industrielles est loin d’être atteint (sur un total de 6200 ETI). Il y a 15 ans déjà, Yvon Gattaz dans son ouvrage, Les ETI, champions cachés de notre économie, identifiait un biais culturel : « le culte de l’ourson et le refus psychologique de la croissance chez nos compatriotes ont finalement interdit la reconnaissance de ces petites entreprises qui grandissent parce qu’elles innovent, investissent, exportent et embauchent en devenant alors des ETI dépassant le seuil de 250 salariés ». Cette mésestimation des PME en plein essor a longtemps retardé leur passage au statut d’ETI industrielle.

Un meilleur accompagnement de la PME vers le statut d’ETI nécessite, de la part des entrepreneurs, l’exploration des nouvelles voies et, de la part des pouvoirs publics, l’invention de nouveaux moyens d’analyse et d’action favorable à une évolution culturelle. C’est le cas de la chaire etilab des Mines de Paris qui dote l’écosystème d’une plateforme reliant tous ses acteurs afin de développer une relation éclairée entre décideurs publics et privés, les jeunes talents et les chercheurs.

La réindustrialisation en France pourrait très certainement retrouver un nouveau souffle en croisant davantage les réalités des PME et des ETI avec les méthodes sophistiquées des meilleurs laboratoires en Sciences de Gestion, à l’image de la qualité de Société à Mission qui est née de cette manière.

 

Une théorie pour la réindustrialisation

 

La relance de la réindustrialisation française requiert une inflexion de méthode, rompant avec la vision parcellaire, techno-centrée. Une approche systémique s’impose. Il apparaît dès lors essentiel d’accroître la collaboration entre la recherche, les pouvoirs publics et le monde économique afin d’explorer les alternatives et construire un avenir industriel plus solide et adapté aux défis contemporains.

 


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