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Qui est Hemant Taneja, grand investisseur américain en capital-risque ?

Hemant Taneja
Toronto, Canada - 22 juin 2022 : Hemant Taneja (General Catalyst) lors de la deuxième journée de "Collision 2022" à l'Enercare Centre de Toronto, au Canada. | Source : Getty Images

Les investisseurs encouragent toujours les start-up à repousser les limites de l’innovation. Hemant Taneja, de General Catalyst, applique ce conseil à sa propre entreprise.

 

Assis dans les bureaux de General Catalyst, avec vue sur Oracle Park, où jouent les Giants de San Francisco, et sur la baie qui s’étend à perte de vue, le PDG Hemant Taneja explique comment sa société de capital-risque va transformer l’accès aux soins de santé aux États-Unis : en achetant et en gérant un hôpital.

L’année dernière, la société a annoncé le rachat, pour 485 millions de dollars, de Summa Health, un réseau hospitalier de 8 000 employés basé à Akron, dans l’Ohio, dans le but de l’intégrer au moteur d’innovation de la Silicon Valley. Cela signifie injecter la technologie et l’intelligence artificielle (IA) dans presque toutes les étapes du processus de soins de santé, des examens médicaux à l’assurance. Aucun réseau hospitalier n’allait se lancer seul dans une telle entreprise, l’idée était donc simple : « Nous devons en acheter un et le faire nous-mêmes », explique Hemant Taneja. « Et le faire vivre. »


Cette vision globale est tout à fait appropriée, car Hemant Taneja, no 8 du classement Midas de cette année, le classement annuel des meilleurs investisseurs en capital-risque américains établi par Forbes, n’est pas étranger aux grands changements.

Acheter un hôpital est une décision stupéfiante pour un capital-risqueur. Les investisseurs dans le secteur technologique prônent la rupture, mais ils sont très conservateurs lorsqu’il s’agit de gérer leurs propres fonds. Peu de choses ont changé depuis que le grand-père du capital-risque, Arthur Rock, a commencé à signer des chèques de financement à des entreprises comme Intel et Apple. Des entrepreneurs tels que Gordon Moore et Steve Jobs avaient peut-être une « façon de penser différente », mais Arthur Rock lui-même était un diplômé de Harvard très conventionnel qui a commencé sa carrière à Wall Street dans les années 1950.

General Catalyst veut briser ce moule. Depuis 2018, la société est passée d’un partenariat de capital-risque classique à une société d’investissement aux multiples casquettes : elle dispose d’un fonds « création » qui lance de nouvelles entreprises d’IA visant à redynamiser des secteurs poussiéreux tels que la comptabilité ou le service client. Il y a ensuite le General Catalyst Institute, un think-tank qui cherche à façonner la politique technologique à travers le monde, et GC Wealth, un courtier haut de gamme destiné à attirer les fondateurs fortunés loin des banques privées.

Cela fait de Hemant Taneja, 50 ans, l’un des champions d’une nouvelle classe de capital-risqueurs. Les « méga-fonds » sont le nom parfois péjoratif donné à General Catalyst et à ses pairs tels qu’Andreessen Horowitz, Lightspeed et Thrive Capital, la société de Josh Kushner. Avec des dizaines de milliards de dollars sous gestion, ils restent toutefois de petits joueurs comparés à Blackstone (1 000 milliards de dollars d’actifs) et KKR (660 milliards de dollars).

Cependant, l’ambition de Hemant Taneja n’est pas de devenir le plus gros investisseur. Il souhaite plutôt que General Catalyst devienne un « conglomérat stratégique ». Neil Sequeira, ancien directeur général de General Catalyst, déclare : « C’est une nouvelle entité fascinante. »

Hemant Taneja a également ses détracteurs. Certains affirment que les investissements à l’échelle industrielle de General Catalyst ne ressemblent guère au capital-risque. D’autres critiquent discrètement le fait que General Catalyst se concentre désormais davantage sur la génération de revenus provenant de fonds toujours plus nombreux que sur le financement de start-up.

Les partisans de Hemant Taneja sont prêts à soutenir sa vision audacieuse grâce à une série de succès qui dure depuis près de 15 ans. Depuis qu’il a quitté Boston pour la Silicon Valley en 2011, Hemant Taneja a soutenu le géant des paiements Stripe (dernière valorisation : 91 milliards de dollars), la start-up de défense Anduril (en pourparlers de financement pour une valorisation de 28 milliards de dollars) et une série de licornes du secteur de la santé comme Commure (valorisée à six milliards de dollars).

General Catalyst a levé huit milliards de dollars auprès de ses investisseurs l’année dernière, soit plus que certains vétérans du classement Midas n’ont levé au cours de toute leur carrière, consolidant ainsi son statut de géant du capital-risque. Ses actifs ont explosé, passant de 3,8 milliards de dollars il y a seulement dix ans à plus de 36 milliards de dollars aujourd’hui. Et cette croissance s’accélère : General Catalyst, avec son rival Andreessen Horowitz, a revendiqué environ 20 cents pour chaque dollar investi dans des sociétés américaines par des sociétés de capital-risque l’année dernière, selon les données de Pitchbook.

Les rumeurs dans la Silicon Valley portent généralement sur la prochaine start-up qui va entrer en bourse, mais récemment, il a été question d’une introduction en bourse de General Catalyst. Hemant Taneja dément catégoriquement ces rumeurs. « Ce n’est même pas à l’ordre du jour », affirme-t-il. « Nous n’en avons jamais discuté. » Pour une société de capital-risque, Hemant Taneja dispose de beaucoup d’argent, mais sa stratégie ambitieuse pourrait nécessiter des sommes encore plus importantes.

Blackstone, KKR et Apollo ont vu leur valeur multipliée par plus de dix après leur introduction en bourse, car ces sociétés ont utilisé leurs actions fraîchement émises pour financer leur croissance, racheter des sociétés et racheter les parts de leurs anciens partenaires. Cependant, l’introduction en bourse des fonds de capital-risque reste taboue : les anciens de la Silicon Valley se souviennent encore de l’effondrement d’Internet Capital Group, coté au Nasdaq en 1999, lors de la bulle internet. La valorisation de la société de capital-risque a grimpé en flèche pour atteindre près de 60 milliards de dollars avant de chuter de 99,5 % en moins de deux ans.

Hemant Taneja côtoie désormais des chefs d’entreprise, des Premiers ministres et des membres de familles royales (il co-organise un bal annuel dans le château familial de Jeannette zu Fürstenberg, nouvelle recrue de l’entreprise, en Allemagne). Il a parcouru un long chemin depuis les rayons du CVS de banlieue du Massachusetts où il travaillait au lycée pour aider ses parents à joindre les deux bouts.

À l’âge de 15 ans, ses parents ont quitté New Delhi pour s’installer à Boston. Pendant la récession du début des années 1990, son père s’est retrouvé à diriger un KFC. « J’en ai probablement mangé presque tous les jours », dit-il. « Je ne peux plus voir un KFC. »

Après le lycée, il a intégré le MIT. Après avoir obtenu son diplôme, il a cofondé et vendu une start-up de logiciels mobiles, ce qui lui a permis d’attirer l’attention des cofondateurs de General Catalyst, Joel Cutler et David Fialkow, en 2001. Ces derniers étaient à la recherche d’un fondateur pour lancer de nouvelles idées commerciales. « Il avait tout pour lui. Nous avons très vite su qu’Hemant pouvait être un leader exceptionnel », explique David Fialkow.

General Catalyst a remporté quelques succès précoces, comme le site de réservation de voyages Kayak (qui est entré en bourse pour un milliard de dollars en 2012), mais son siège social sur la côte Est était loin du centre entrepreneurial de la Silicon Valley. En 2011, les fondateurs de la société ont donc fait appel à Hemant aneja, ainsi qu’à quelques autres partenaires, pour établir une tête de pont à Palo Alto.

La tâche était ardue. Le statut d’outsider de Hemant Taneja est apparu clairement lorsqu’il a été écarté d’un investissement initial dans Snap par des vétérans de la Silicon Valley. Sa chance a tourné lorsqu’un des premiers employés de Stripe a assisté à une conférence donnée par Hemant Taneja au MIT et l’a mis en contact avec les frères Patrick et John Collison, cofondateurs de la start-up.

Il a d’abord investi en 2010, puis a dirigé le tour de table de série B de la start-up deux ans plus tard. Alors que les cofondateurs de Stripe considéraient initialement leur entreprise comme un « petit service de paiement par carte bancaire destiné aux développeurs », Hemant Taneja a vu une opportunité plus importante dans la simplification des transactions numériques en général, explique le PDG Patrick Collison. « Il a vu plus de potentiel dans Stripe que nous. » Hemant Taneja a également participé à l’un des derniers tours de financement de Snap.

La nouvelle voie de Hemant Taneja s’est dessinée autour d’une bouteille de Brunello lors d’un dîner en 2017 à la Vicolina, une trattoria de Manhattan aujourd’hui fermée, en compagnie de Ken Chenault. L’ancien PDG d’Amex venait d’être engagé comme président de General Catalyst, en partie pour aider à gérer la transition entre les cofondateurs du fonds et leur héritier présomptif, Hemant Taneja. Au cours du dîner, Ken Chenault, qui fut l’un des premiers cadres afro-américains à diriger une entreprise du S&P 500, s’est penché vers Hemabt Taneja et lui a demandé quel impact il souhaitait avoir. « Je veux être un leader, pas seulement dans le monde des affaires », se souvient Ken Chenault.

 

Pour certains, la stratégie de General Catalyst ressemble à celle d’un fonds d’investissement privé recouvert d’une couche brillante d’IA.

 

Hemant Taneja a pris la direction de l’entreprise en 2021 et a commencé à transformer General Catalyst, qui était alors un partenariat fermé, en une entreprise capable de s’attaquer aux problèmes sociaux. Adieu la devise de Mark Zuckerberg, « move fast and break things » (bouger vite et faire de la casse). Bonjour « l’innovation responsable ». Ce slogan n’est pas aussi accrocheur et n’a pas toujours valu à Hemant Taneja un accueil chaleureux de la part de certaines des voix les plus influentes et les plus riches de la Silicon Valley.

L’appel de General Catalyst à la mise en place de garde-fous pour les nouveaux systèmes d’IA a été accueilli par des huées, notamment de la part du milliardaire Marc Andreessen, cofondateur d’Andreessen Horowitz.

« Ils sont très intelligents, ils ont des opinions très arrêtées. Tout cela est positif à mes yeux », déclare Hemant Taneja à propos de la société rivale. « Ils jouent un jeu différent du nôtre. » En privé, Marc Andreessen et Hemant Taneja s’entendaient bien lorsqu’ils siégeaient tous deux au conseil d’administration de Samsara, une société de logiciels logistiques désormais cotée en bourse, selon son PDG, Sanjit Biswas.

Avec ou sans garde-fous, l’IA est au cœur de la stratégie de l’entreprise, qui consiste à réaliser des fusions dans des secteurs longtemps considérés comme trop conservateurs pour la Silicon Valley, tels que les services informatiques et les ressources humaines. Les fonds de rachat le font depuis des décennies, réduisant les coûts en délocalisant les emplois. Hemant Taneja veut utiliser l’IA.

L’année dernière, une start-up de General Catalyst appelée Crescendo a racheté PartnerHero, une société de centres d’appels générant 80 millions de dollars par an, et a automatisé les appels à l’aide de robots, ne laissant aux employés humains que les cas difficiles. Cela a permis aux clients de réaliser jusqu’à 30 % d’économies, selon Matt Price, PDG de Crescendo.

Dwelly, une start-up immobilière basée à Londres et cofondée par General Catalyst, a racheté plusieurs sociétés de gestion immobilière et ajouté des outils d’IA pour gérer les visites libres et les demandes d’entretien. Non seulement l’IA est moins chère, mais le délai d’intervention pour réparer un robinet qui fuit ou effectuer d’autres réparations a été réduit de 40 % à 30 jours, selon Ilia Drozdov, PDG de Dwelly.

Pour certains, cette stratégie ressemble à du capital-risque recouvert d’une couche brillante d’IA. Hemant Taneja rejette cette idée, affirmant que si le capital-risque est davantage axé sur la réduction des coûts, les regroupements de General Catalyst visent à instaurer une culture de « l’innovation », même si celle-ci permet également de réduire les coûts.

Hemant Taneja est le moteur de ces regroupements et souhaite que General Catalyst cofonde les entreprises qui les mettent en œuvre. Son modèle est Livongo, la start-up de gestion du diabète qu’il a cofondée en 2014. Elle est entrée en bourse en 2019 pour 3,6 milliards de dollars. Ce serait un coup de maître pour la plupart des investisseurs, mais Hemant Taneja ne faisait que s’échauffer. Un an plus tard, Livongo a été rachetée pour 18,5 milliards de dollars par Teladoc, ce qui a généré un gain comptable de 3,4 milliards de dollars pour le fonds. Ce rendement exceptionnel est presque entièrement dû à la participation importante de General Catalyst (18,3 %) en tant que cofondateur.

Pourtant, Hemant Taneja suit un chemin difficile. Il doit surmonter les protestations locales contre le rachat d’un hôpital qui n’est pas encore finalisé avant de redresser cette entreprise qui pèse deux milliards de dollars (chiffre d’affaires en 2024). Et si Hemant Taneja est un investisseur avisé, il n’est en aucun cas infaillible. Une série de paris sur des start-up spécialisées dans le climat lui a coûté 100 millions de dollars, et Olive, spécialiste des demandes de remboursement d’assurance maladie, autrefois évalué à quatre milliards de dollars, est aujourd’hui en faillite. General Catalyst n’a finalement tiré que 1,8 milliard de dollars de Livongo, le cours de l’action Teladoc s’étant effondré de 97 % par rapport à son plus haut niveau.

Cependant, le plus grand risque est peut-être que General Catalyst en fasse trop. « On me pose souvent cette question », répond Hemant Taneja. Il explique qu’il s’agit d’une question de « bande passante du leadership » et d’un bon modèle opérationnel, comparant l’entreprise à Amazon, qui s’est développé dans les livres, les centres de données, les épiceries et même la production cinématographique.

Hemant Taneja a déjà repoussé ses limites par le passé. Au MIT, son conseiller a averti cet étudiant qui suivait trois cursus (informatique, biologie et mathématiques) qu’il ne terminerait peut-être pas ses études avec une charge de travail aussi lourde. Non seulement il a obtenu son diplôme, mais il a également décroché quelques années plus tard un master en ingénierie et en recherche opérationnelle. C’est un schéma qui l’a suivi tout au long de sa vie, explique-t-il en riant. « J’essaie toujours de faire trop de choses à la fois. Je me pousse au maximum. »

 

Article d’Iain Martin et de Richard Nieva pour Forbes US, traduit par Flora Lucas


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