Chaque fois qu’un gouvernement propose d’augmenter les impôts des plus riches, même modestement, le même refrain commence. Les grandes fortunes, accompagnées de leurs comptables, se manifestent pour déclarer au public qu’elles seront malheureusement contraintes de fuir vers une juridiction qui n’a pas l’intention de taxer leurs revenus. La menace est immédiate et existentielle : les grandes fortunes sont chassées comme une espèce protégée, braconnée jusqu’à quasi-extinction.
Actuellement, le Royaume-Uni tente de modifier une niche fiscale vieille de plusieurs siècles qui permettait aux étrangers fortunés de résider au Royaume-Uni tout en déclarant leurs revenus à l’étranger. Les riches du monde entier désertent désormais Londres, vendant leurs propriétés et réservant des vols aller simple vers d’autres destinations. Les agents immobiliers se lamentent, les tabloïds prédisent la fin de la base d’imposition, et tout le monde semble certain que les jours de Londres en tant que plaque tournante du commerce mondial sont comptés.
De l’autre côté de l’Atlantique, le même refrain est repris avec un accent légèrement différent. À New York, lorsque Zohran Mamdani a proposé un impôt sur les millionnaires, la haute société a commencé à se faire passer pour le créateur de richesse opprimé à la recherche d’un paquebot pour la Floride.
Toutefois, il y a un problème : les grandes fortunes ne passent jamais véritablement à l’acte. S’ils le font, c’est en si petit nombre que l’impact fiscal est négligeable dans le pire des cas et, souvent, positif. Nous avons déjà vu ce scénario se produire.
Le Royaume-Uni modifie une niche fiscale, les riches font leurs valises (ou menacent de le faire)
Au Royaume-Uni, le régime « non-dom » était un avantage fiscal dont bénéficiaient depuis longtemps les ultras riches. Il permettait aux étrangers fortunés de vivre en Grande-Bretagne sans payer d’impôt sur leurs revenus étrangers. Ainsi, il permettait à l’élite mondiale d’acheter une adresse à Londres et de profiter des services publics associés sans contribuer de manière significative au Trésor public britannique (HMRC). Tous les avantages de la résidence, aucune responsabilité fiscale.
Ce printemps, le gouvernement britannique a finalement pris une décision impensable et a supprimé la niche fiscale des non-résidents. Le nouveau régime fiscal devrait rapporter 12,7 milliards de livres sterling (14,7 millions d’euros) d’ici 2030. Il est vrai que certains bénéficiaires de l’ancien régime semblaient déjà se diriger vers la sortie. Plusieurs milliardaires de renom ont déménagé à l’étranger et les ventes immobilières dans les quartiers les plus chics ont chuté.
Les anecdotes s’assemblent comme des aimants et, à partir de là, le récit s’accélère. L’idée que l’augmentation des impôts sur les riches les incitera à partir relève d’un certain bon sens, de sorte que des anecdotes ponctuelles suffisent à faire passer beaucoup de gens de l’hypothèse à la certitude : les riches sont en train de partir. Le même argument a été avancé la dernière fois que le Royaume-Uni a réduit les avantages fiscaux accordés aux non-résidents, en 2017. À l’époque, seuls 2 % des personnes concernées ont effectivement quitté le pays. Les autres sont restées et ont payé 50 % d’impôts en plus. Les riches sont plus doués pour proférer des menaces que pour les mettre à exécution, et les médias rapportent naïvement leurs fanfaronnades.
Pendant ce temps, à New York
New York fait face à son propre mélodrame élitiste. Le député et candidat à la mairie de la ville, Zohran Mamdani, un socialiste démocrate qui privilégie les mesures politiques plutôt que l’apaisement des donateurs, a proposé un impôt sur les millionnaires au niveau de l’État.
La réaction a été immédiate. Les chefs d’entreprise ont lancé de graves avertissements et son adversaire a évoqué des images d’un exode massif vers la Floride. Il semble que la simple suggestion que les ultra-riches paient quelques points de pourcentage de plus pour les transports publics ou le logement suffise à faire réagir les élites, qui se précipitent pour faire le plein de leurs jets privés.
Il existe un précédent aux États-Unis qui reflète la situation au Royaume-Uni : lorsque la Californie a augmenté les impôts des hauts revenus en 2010. Malgré les avertissements de ses opposants qui prédisaient une spirale économique mortelle, la part de la Californie dans le nombre de millionnaires du pays a augmenté. Aujourd’hui, près d’un millionnaire américain sur cinq vit dans le Golden State.
Le mythe du millionnaire en mouvement est politiquement utile, mais empiriquement caduc. Étude après étude, en Europe, aux États-Unis et ailleurs, le constat est le même : les millionnaires sont encore moins susceptibles de déménager que la population générale. Aux États-Unis, seuls 2,4 % des millionnaires déménagent dans un autre État au cours d’une année donnée, ce qui est inférieur à la moyenne nationale de 2,9 %.
Et pourtant, le mythe persiste. Pourquoi ?
Pourquoi le mythe du millionnaire persécuté persiste-t-il ?
Si les données ne corroborent pas le récit migratoire des millionnaires, pourquoi est-il toujours considéré comme parole d’Évangile chaque fois que quelqu’un propose une nouvelle tranche d’imposition ?
Parce qu’il ne s’agit pas vraiment d’économie, mais de politique. La menace de la fuite des riches est une arme rhétorique puissante, car elle permet aux opposants à la fiscalité progressive de se draper dans un argument égoïste qui semble relever de la prudence budgétaire plutôt que de la protection de la classe des donateurs.
Les opposants à la fiscalité progressive peuvent assurer aux contribuables qu’ils ne défendent pas les inégalités, mais qu’ils font simplement preuve de bon sens en élaborant des politiques visant à garantir le maintien du budget. C’est de l’austérité déguisée en inévitabilité.
Ce mythe se nourrit également d’anecdotes. Un milliardaire quitte Londres pour Dubaï, et dans les limites d’un article de journal, un univers est créé où tout le pays se vide de sa richesse. Un gestionnaire de fonds spéculatifs déménage en Floride et les lumières s’éteignent à New York. Et pourtant, pour chaque anecdote très médiatisée sur un départ, il y a des milliers de personnes à hauts revenus qui ne font rien de tel.
Les États-Unis, en particulier, aiment l’image du capitaliste robuste et jet-setter qui peut tout quitter et s’installer n’importe où. L’idée que les ultra-riches sont des nomades, sans attache et prêts à disparaître à l’étranger s’ils sont offensés, reflète le mythe de l’individualisme.
Et pourtant, cela ne correspond pas à la réalité, car la plupart des personnes fortunées, comme leurs homologues moins bien lotis, sont profondément attachées à leur communauté, à leur secteur d’activité et aux institutions locales. Un siège au conseil d’administration d’une association locale ou d’un country club ne tient pas dans la soute d’un jet privé.
Néanmoins, le mythe persiste. En partie parce qu’il sert de couverture, non seulement aux ultra-riches, mais aussi aux législateurs qui craignent de les contrarier et d’offenser leurs électeurs dans une mesure presque égale. Il en résulte une réaction politique pavlovienne où même les réformes fiscales les plus modestes s’accompagnent d’articles sur l’exode des millionnaires.
Une contribution d’Andrew Leahay pour Forbes US, traduite par Flora Lucas
À lire également : Classement : le top 10 des villes les plus plébiscitées par les grandes fortunes en 2025

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits