Les messages de soutien se multiplient. Une grande partie de mon travail d’audit m’amène à collaborer avec des entreprises chinoises, et mes amis s’inquiètent pour moi alors que l’administration Trump poursuit la mise en place de ses politiques tarifaires en faveur de l’industrie américaine.
En réalité, je suis aujourd’hui plus préoccupé par l’avenir des États-Unis que par celui de la Chine. Certes, l’imposition de droits de douane de 145 % sur les produits chinois — voire 245 % sur les voitures — risque de porter un coup dur, à court terme, aux exportations chinoises. Pékin devra aussi déployer des efforts colossaux pour atteindre son objectif de croissance de 5 % du PIB en 2025.
Mais la Chine a déjà prouvé qu’elle pouvait encaisser des chocs majeurs : les confinements drastiques du Covid-19, l’effondrement du secteur immobilier ou encore le durcissement contre les géants de la tech n’ont pas fait vaciller la population. En comparaison, je doute que l’Américain moyen soit prêt à débourser 3 000 dollars pour un iPhone « made in USA », quand le Chinois moyen, lui, accepte de vivre de riz et de melon.
Pour les dirigeants chinois, cette confrontation dépasse les enjeux économiques : c’est une bataille de civilisation, une lutte pour définir le cap du XXIe siècle. Ironie de l’histoire, les cent premiers jours de l’administration Trump semblent presque avoir été écrits pour servir les ambitions de Pékin.
Affaiblir les universités
Les universités américaines sont depuis longtemps l’objet d’admiration à l’échelle mondiale. D’après le classement Times Higher Education, huit des dix meilleures universités au monde se trouvent aux États-Unis. La mieux classée en Chine, Tsinghua, n’arrive qu’au 12e rang. Ces institutions sont le moteur des avancées majeures en intelligence artificielle, en informatique quantique, en science des matériaux ou encore en biomédecine — autant de domaines clés pour l’innovation et la prospérité économique du pays. Elles attirent les esprits les plus brillants de la planète.
Or, ces dernières semaines, plusieurs de ces universités ont été sommées de renoncer à leur autonomie académique, ont vu leurs financements fédéraux suspendus, leurs étudiants interpellés dans la rue, et certains de leurs professeurs quitter le pays pour rejoindre des établissements étrangers, hors de portée des pressions gouvernementales. Pour Pékin, un tel affaiblissement de la recherche américaine relève presque du cadeau inespéré.
Abandonner le Sud
Chine, Europe, États-Unis : malgré leurs différences, ces puissances partagent un même défi démographique majeur — la chute vertigineuse des taux de fécondité. La Chine n’enregistre plus que 1,2 naissance par femme, l’Union européenne 1,6, et les États-Unis 1,62, sans même compter l’effet du recul de l’immigration. Loin du seuil de remplacement de 2,1 enfants par femme, ces pays voient leur population stagner ou décliner, compliquant la croissance du PIB et menaçant l’équilibre de leurs systèmes sociaux. Dans ce contexte, la prospérité économique du XXIe siècle dépendra largement des liens noués avec les économies du Sud — en Asie du Sud-Est, en Inde, en Afrique et en Amérique latine.
Pourtant, alors que la Chine renforce ses partenariats stratégiques dans ces régions, les États-Unis semblent faire marche arrière. Selon le New York Times, l’administration Trump envisage une coupe de 50 % dans le budget du département d’État, ce qui réduirait considérablement l’aide étrangère. Certains pays d’Asie du Sud-Est, naguère bénéficiaires du découplage commercial entre Washington et Pékin, comme le Vietnam, se retrouvent désormais ciblés par des droits de douane pouvant atteindre 50 %. D’autres, bien plus petits — le Lesotho, Madagascar, le Botswana — voient leurs exportations taxées à 50 %, 47 % et 38 % respectivement. Quelle faute économique a donc pu commettre Madagascar ? Avoir exporté trop de vanille ? Pendant ce temps, Pékin accélère la cadence. Vingt pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont déjà rejoint son ambitieux projet des Nouvelles routes de la soie. La Chine déploie ses investissements, érige des infrastructures, connecte les réseaux numériques et gagne du terrain dans l’hémisphère occidental — là où les États-Unis, eux, semblent se retirer pas à pas.
Déstabiliser la devise américaine
Depuis 75 ans, le dollar américain règne en maître sur le système financier mondial. Il est la principale monnaie de réserve et les bons du Trésor à 10 ans servent de valeur refuge en période d’instabilité. Concrètement, cela signifie que les États-Unis peuvent imprimer des billets à moindre coût — quelques centimes pour un billet de 100 dollars américains — et les échanger contre des biens et services valant cent fois plus à l’international. Ce privilège a aussi permis à Washington de creuser sa dette sans subir l’hyperinflation qui a ruiné d’autres pays trop dépensiers, comme l’Argentine.
Pékin, de son côté, n’a jamais caché son ambition de remettre en cause cette domination. Son objectif : imposer un système monétaire multipolaire, avec un rôle central pour le renminbi (yuan). Et si les États-Unis se ferment au commerce mondial, le monde pourrait tout simplement ne plus avoir besoin de dollars.
La récente envolée des taux d’intérêt à 10 ans pèse déjà sur les emprunteurs américains : acheter une maison ou une voiture coûte bien plus cher. Or, selon l’I/O Fund, le Trésor devra cette année émettre 2 000 milliards de dollars de dette supplémentaire pour financer le déficit, tout en renouvelant 9 200 milliards d’obligations arrivant à échéance. Si les marchés venaient à bouder ces émissions, le choc pourrait être brutal — et potentiellement dévastateur.
Tarir le vivier de talents
Au-delà de ses ressources naturelles, la vraie richesse d’un pays réside dans sa capacité à attirer les meilleurs talents et à leur offrir un environnement où ils peuvent s’épanouir. L’un des grands atouts des États-Unis dans leur rivalité avec la Chine a toujours été leur aptitude à séduire les esprits les plus brillants, les plus ambitieux et les plus créatifs de la planète — et à les intégrer dans un écosystème unique : universités d’élite, marchés financiers dynamiques, entreprises innovantes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les immigrés représentent 50 % des doctorants, 60 % des fondateurs d’entreprises d’intelligence artificielle, et plus de 20 % de toutes les start-up créées dans le pays.
Or, ces dernières semaines, l’administration Trump a choisi d’inverser cette dynamique. Des milliers d’étudiants étrangers ont vu leur visa révoqué, dont une jeune Chinoise de 22 ans inscrite au MIT, à quelques semaines seulement de l’obtention de son diplôme, rapporte Reuters. Le signal envoyé est clair : les talents venus d’ailleurs ne sont plus les bienvenus. Un message qui pourrait causer des dommages durables au capital humain américain — au moment même où Pékin multiplie les efforts pour recruter les meilleurs profils scientifiques à travers le monde.
Difficile de croire qu’en à peine cent jours, les dirigeants américains aient pu faire autant pour servir, indirectement, les intérêts de leur principal rival stratégique. Lors de la dernière salve de sanctions commerciales, Xia Baolong, haut responsable du Parti chinois, a d’ailleurs renvoyé la balle à Washington avec une formule cinglante : « Laissons les paysans américains se lamenter devant les 5 000 ans de civilisation chinoise », selon Reuters.
Pour ma part, j’éprouve un profond respect pour l’histoire millénaire de la Chine, et une sincère affection pour son peuple. Mais je choisis sans hésiter un monde guidé par les principes démocratiques inscrits dans la Constitution américaine. Espérons seulement que les dégâts infligés ces derniers mois ne seront pas irréparables.
Une contribution de Drew Bernstein pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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