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Peut-on valoriser intrinsèquement une banque ?

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La crise des banques régionales américaines, qui a débuté en mars dernier, a créé un sentiment de panique qui s’est diffusé sur la plupart des places financières, jusqu’en Europe. Nombre d’investisseurs ont alors préféré revendre leurs actions émises par des banques européennes, bien que solvables et liquides, par crainte d’un effet de contagion.

 

L’indice KBW Banks, qui intègre des banques régionales américaines, est alors devenu une référence quant à la santé du secteur outre atlantique. Ce vendredi 19 mai, l’annonce, par la Secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, que de nouvelles fusions entre banques seraient peut-être nécessaires, a fait perdre 0,98% à cet indice. Dans le même temps, l’indice Stoxx Bank, fondé sur des banques européennes, progressait de 0,19%. Le parcours boursier des banques européennes ne semble donc pas s’aligner sur celui des banques américaines. D’ailleurs, le cours de BNP Paribas a finalement progressé de 9% depuis le début de l’année, celui du Crédit Agricole de 19%, tandis que celui de la Société Générale a baissé de 4%. Au sein d’un même secteur, les performances boursières peuvent donc être contrastées. Au-delà de tendances générales, le cours de bourse d’une banque prend donc en compte les spécificités de son plan de développement économique. La méthode intrinsèque de valorisation des sociétés industrielles et commerciales par actualisation des flux de trésorerie futurs ne peut pas s’appliquer à une institution financière. Dans ce contexte, peut-on valoriser intrinsèquement une banque ?

Pour une société industrielle ou commerciale, la valeur de ses actifs opérationnels, ou valeur d’entreprise, est égale la somme des flux de trésorerie libres actualisés que ces actifs sont susceptibles de générer à perpétuité. Ces flux sont produits par l’activité opérationnelle et réduits par les investissements, nets des cessions d’actifs ; ils sont alors « libres » pour être affectés au service de la dette et au versement de dividendes. D’un point de vue comptable, ils sont calculés à partir de l’excédent brut d’exploitation, ou EBE qui, par définition, ne prend pas en compte les produits financiers et les charges financières. Les actifs opérationnels ainsi valorisés regroupent les immobilisations et le besoin en fonds de roulement.

Cette approche par Discounted Cash Flows (DCF) n’est pas transposable aux banques compte tenu des spécificités de leur activité. Celle-ci est prioritairement centrée sur le crédit aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités. En outre, les dépôts de leurs clients qui ne financent pas les crédits sont placés principalement en obligations. De plus une part, parfois essentielle, des crédits consentis sont refinancés par endettement. Par conséquent, la formation du résultat d’une banque repose d’abord sur la marge d’intérêt qui correspond à la différence entre d’une part les intérêts reçus des clients et des émetteurs d’obligations détenues, d’autres part les intérêts payés par la banque dans le cadre de son refinancement. Le produit net bancaire (PNB) est égal à cette marge d’intérêt augmentée notamment des commissions reçues par la banque, nettes des commissions payées et des plus-values sur titres. Ainsi, le résultat brut d’exploitation (RBE), égal au PNB réduit des charges opérationnelles, intègre-t-il, contrairement à l’EBE d’une entreprise industrielle ou commerciale, des produits financiers et des charges financières. La notion de flux de trésorerie affectable au désintéressement des créanciers n’est donc pas concevable pour une banque puisque ces éléments financiers sont, de facto, pris en compte dès le haut de son compte de résultat. Par ailleurs, les notions d’actif opérationnel et de valeur d’entreprise ne sont pas transposables à une banque. En effet, compte tenu de son métier principal de prêteur, il n’est pas possible de distinguer la dette financière d’une banque de ce qui relèverait de la dette d’exploitation. Le besoin en fonds de roulement n’est donc pas calculable à partir d’un bilan bancaire. De même, en supposant qu’il soit possible d’obtenir la valeur d’entreprise, la détermination de la dette nette, à déduire pour obtenir la valeur des capitaux propres, n’est pas envisageable.

Au-delà de ces aspects purement techniques, une autre particularité de la banque doit être intégrée à sa valorisation : la nécessité de respecter des contraintes réglementaires pour conserver la licence qui lui permet d’exercer son activité de collecte de dépôts et de prise de risques, notamment de crédit. Chaque pays a son propre organisme de supervision des institutions financières vis-à-vis duquel la banque doit, tous les 3 mois, rendre des comptes et notamment produire des ratios de solvabilité, de liquidité et de levier. En France, il s’agit de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, ou ACPR. De plus, à la suite de la faillite de Lehman Brothers, une réunion du G20 qui s’est tenue à Londres en 2009 a conduit à la création du Conseil de Stabilité Financière. Ce dernier a alors identifié les banques considérées comme systémiques et qui sont, depuis lors, également placées sous le contrôle de la Banque Centrale Européenne. C’est le cas, en France, de BNP Paribas, de BPCE, du Crédit Agricole et de la Société Générale.

Historiquement, les autorités de contrôle se sont d’abord focalisées sur les ratios de solvabilité. Ceux-ci mettent en regard les fonds propres de la banque et les engagements que cette dernière a pris. Chaque ratio de solvabilité est fondé sur une définition, plus ou moins extensive des fonds propres, ces derniers pouvant intégrer certaines dettes subordonnées. L’attention des analystes financiers et des agences de notation est d’abord portée sur les fonds propres de niveau 1 ou common equity tier 1 (CET1) qui excluent toute dette subordonnée. Ces fonds propres sont calculés à partir des capitaux propres part du groupe. Ils intègrent une partie des intérêts minoritaires et sont notamment réduits des actifs incorporels, des écarts d’acquisitions ou goodwills, des dividendes qui devraient être versés au cours du prochain exercice et des participations dans des sociétés financières. Les engagements sont pondérés en fonction des risque pris par la banque. Le risque de crédit est, en général, le principal risque pris par une banque. Sa pondération intègre alors la probabilité de faillite de la contrepartie. A titre illustratif, au 31 mars 2022, les ratios CET1 de BNP Paribas, du Groupe Crédit Agricole et de la Société Générale sont respectivement de 13,6%, 17,6% et 13,5%.

Le premier pilier de la réglementation prudentielle prévoit que le ratio CET1 doit être au minimum égal à 4,5%. Mais un deuxième pilier ajoute des « coussins » prudentiels, propres à chaque banque et qui évoluent chaque année. A titre d’exemple, après prise en compte de ces coussins, le ratio CET1 minimal de la Société Générale s’établissait à 9,3% au 31 décembre 2022. A cette date, son ratio CET1 de 13,5% dépassait cet objectif de 4,2 points de pourcentage.

L’importance du ratio CET1 conduit les praticiens à l’intégrer dans la valorisation intrinsèque d’une banque. Celle-ci repose alors sur une approche par actualisation de dividendes futurs à perpétuité ou Dividend Discount Model (DDM). Les dividendes pris en compte ne sont pas ceux qui seront effectivement versés aux actionnaires. Il s’agit de l’excédent de CET1 au regard d’une exigence de solvabilité et qui pourrait, en théorie, donner lieu à distribution. A titre d’exemple, le CET1 d’une banque, dont les engagements pondérés sont de 1.000 et qui a un objectif de ratio CET1 de 10%, doit atteindre 100. Si son CET1 est de 120 au 31 décembre, la banque affiche alors un excédent de CET1 de 20 qui pourrait théoriquement être distribué. Ce calcul est alors effectué pour chaque exercice ultérieur. Comme dans le cadre d’un DCF, un plan d’affaires est élaboré sur une période de 3 à 5 ans et prolongé mécaniquement, sur la base de quelques indicateurs clés, sur 3 à 5 années complémentaires. La valeur des capitaux propres de la banque est alors égale à la somme de deux éléments. Le premier est la somme des dividendes théoriques actualisés sur la période du plan d’affaires ; le second est la valeur terminale qui est fondée sur une hypothèse raisonnable, en ligne avec les anticipations du marché, de croissance annuelle du dividende théorique à perpétuité.

L’actualisation portant sur des dividendes, eux-mêmes prélevés, par essence, sur un bénéfice intégrant le résultat financier, le taux d’actualisation est le coût des capitaux propres. Ce dernier est déterminé à partir du Modèle d’Evaluation Des Actifs Financiers (MEDAF). Il est donc égal au taux sans risque augmenté de la prime de risque de l’action de la banque qui est, elle-même, égale à la multiplication du beta de la banque par la prime de risque du marché.

Il est donc possible de valoriser intrinsèquement une banque. Il suffit, pour cela, de disposer de son plan d’affaires et d’actualiser, à perpétuité, des dividendes théoriques futurs dont les montants sont issus d’excédents de fonds propres prudentiels. Cette approche évite de recourir au DCF, inadapté aux institutions financières, tout en prenant en compte les contraintes de solvabilité propres à la banque.

 

 Olivier Levyne est Professeur Affilié à HEC Paris

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