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Mobilité durable mondiale : le paradoxe des voitures électriques – et comment la France prend les devants

Une contribution d’Emmanuelle Bischoffe-Cluzel

 

Tous les constructeurs affichent des ambitions en matière de stratégie climat : carbon neutrality pour la plupart, avec un objectif 2039 pour Mercedes, 2040 pour GM et Volvo, 2045 pour Geely et 2050 pour BMW, Renault,Toyota  et VW ; Stellantis se distingue avec une stratégie nette zero pour 2038. Tous vont vers l’électrique :  Renault, Geely et Volvo dès 2030 et pour 100 % de leur gamme. Cependant, et c’est là le paradoxe de la voiture électrique : les émissions carbones ne s’arrêtent pas à la phase d’usage de la voiture.

Lorsque l’on considère le cycle de vie de la voiture, depuis la phase de design jusqu’à la livraison du véhicule, le passage à l’électrique réduit en moyenne de 70% les émissions carbone mais il reste ces 30% restants provenant principalement du scope 3, pour laquelle la batterie pèse à ce jour défavorablement.

Comment surmonter ce paradoxe ?

La France lance une initiative intéressante : l’ADEME, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie met en place un bonus écologique revisité pour les voitures électriques neuves avec une mise en application dès 2024.

Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés à ce paradoxe : que signifie ce bonus écologique et comment en faire un atout pour la voiture propre et abordable financièrement ?

L’innovation et la compétition entre constructeurs pour réduire les émissions carbones de la voiture dans son usage ne sont pas nouvelles. Les constructeurs cherchaient déjà dès 2015 à produire les moteurs thermiques les plus efficients possibles : généralisation du Stop and Start, downsizing des moteurs essence (moteurs plus petits mais plus performants) de manière à afficher les meilleures consommations aux 100kms et de réduire par la même occasion les émissions de CO2.

C’est à partir de janvier 2020 que cette compétition vers les moteurs les moins émetteurs de CO2 est devenue une course obligatoire pour éviter les pénalités du CAFE : Corporate Average Fuel Economy, imposant une cible en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et vans sur la route.

Cette pénalité peut atteindre 95 € par véhicule et par gramme de CO2 au-delà de la cible. Les constructeurs sont contraints, en cas de dépassement, à payer des sommes gigantesques, atteignant parfois plusieurs centaines de millions d’euros et compromettant ainsi la profitabilité de leurs programmes véhicules.

En juillet 2021, « Fit for 55 » est venu renforcer cette législation sur les émissions sur base roulante avec une limite de 95 g/km jusqu’en 2024, puis -15% jusqu’en 2029, -55% jusqu’en 2034 jusqu’à l’interdiction des moteurs à combustion interne, dès 2035.

 

Source: EU Infographic – Fit for 55

 

Aujourd’hui la seule solution technique connue et développable à grande échelle, permettant de n’émettre aucun gramme de C02 lorsque la voiture roule, est la voiture électrique (j’inclus ici la voiture à hydrogène qui est une voiture électrique à la base).

Cependant, cette voiture électrique contient un composant à forte empreinte carbone : la batterie, qui à elle seule représente environ 30% de l’empreinte totale de la voiture électrique.

En effet, l’extraction des matériaux qui la composent (lithium, manganèse, cobalt, nickel), sont des facteurs d’émissions (key contributors). Ces matériaux sont très peu recyclés à ce jour, et enfin, ils proviennent majoritairement d’Asie.

Le paradoxe de ne prendre en considération que les émissions de la voiture sur route devient alors flagrant, dès lors que certaines batteries sont fabriquées dans des pays à centrale à charbon (60% en Chine) et transportées sur des milliers de kilomètres, par bateau ou camions fortement émetteurs.

C’est dans ce contexte que la France a pris une initiative audacieuse puisqu’elle conditionne désormais le bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques, à condition d’avoir un score environnemental minimal de 60.

Ce score dépend de l’empreinte carbone calculée par addition des quantités de CO2 émises lors des étapes du cycle de vie d’un véhicule précédant son utilisation sur route : production de l’acier, de l’aluminium, et des autres matériaux entrant dans la composition du véhicule, d’une part ; transformations intermédiaires et assemblage du véhicule, empreinte carbone de la batterie (traitée en tant que telle), production de la batterie et acheminement du véhicule depuis son lieu d’assemblage jusqu’à son lieu de distribution en France, d’autre part.

En cas de non atteinte du score minimal, un constructeur peut déposer un dossier complémentaire pour déroger à certaines de ces valeurs de référence, en justifiant de valeurs réelles meilleures que ces dernières.

Enfin, une initiative plus vertueuse et plus efficace, qui devrait encourager les constructeurs à prioriser des pistes de développement durable telles que la fabrication d’un acier et d’un aluminium verts décarbonés, le recyclage de l’aluminium, de l’acier et du plastique notamment, l’efficacité et la densité des composants chimiques de la batterie, et enfin le développement d’un écosystème circulaire pour les batteries.

Est-ce que ce sera suffisant ? Comment vont s’adapter les constructeurs souhaitant s’implanter en France ? Quid des batteries provenant d’Asie pour équiper des véhicules produits en France ?

Aujourd’hui, les véhicules éligibles sont uniquement européens : les véhicules produits en Chine en sont exclus, la Dacia Spring en fait partie, une seule exception : le Mazda MX-30 assemblé au Japon.

La commission européenne a également annoncé la mise en place des passeports numériques pour les batteries, obligatoires d’ici 2026.

Tous ces dispositifs vont dans la même direction : avoir une vision de l’empreinte environnementale tout au long de l’ensemble du cycle de vie de la voiture « from craddle to craddle », et fixer des règles du jeu pour l’ensemble des constructeurs en évitant le paradoxe de ne se concentrer que sur une seule partie du périmètre d’actions.

 

Conclusion

Ainsi, le paysage de la mobilité durable pourrait connaitre une transformation significative dans les mois à venir. Cette initiative française, si elle est suivie dans d’autres pays et combinée à des développements réglementaires plus larges pourrait non seulement résoudre le paradoxe actuel mais également ouvrir la porte à un avenir durable et décarboné pour l’industrie automobile mondiale.

 

Emmanuelle BISCHOFFE-CLUZEL

Sustainability Lead –  Global Automotive Industry – Capgemini France 

 

À lire également : Batteries électriques : accorder au recyclage sa juste valeur 

 

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