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Menaces et intimidations : quand les coups bas s’invitent à la table des négociations

La vidéo est devenue virale. On y voit Donald Trump, lors d’une apparition publique devant un auditoire acquis à sa cause, se moquant d’Emmanuel Macron et dévoilant sa conversation téléphonique avec le président français. Il se vante ouvertement de la façon dont il a utilisé la force, la domination et la menace dans un désaccord sur l’instauration de nouveaux droits de douane entre les deux pays, et comment il a fait plier Macron en utilisant la menace et l’intimidation.

Ce désaccord de fond entre les deux présidents aurait logiquement dû laisser la place à une négociation afin de trouver une solution. Mais tous les conflits ne se règlent pas par la négociation ou la médiation. La solution peut passer par les tribunaux et, on vient de le voir, par l’utilisation de méthodes plus que douteuses et de comportements éthiquement répréhensibles, sous couvert de négociation ou pas.

 

De quoi parle-t-on ?

Il existe de nombreuses pratiques immorales que tous les bons manuels de négociation (comme celui de Marwan Mery & Laurent Combalbert – Negociator – par exemple) se font un plaisir de lister et de catégoriser de manière exhaustive. Mais ce dont on s’aperçoit, c’est que lorsqu’une partie est suffisamment malhonnête moralement pour faire appel à de telles méthodes, elle a tendance à utiliser non pas une seule mais plusieurs d’entre elles. Elle n’hésite pas à faire appel à une palette de pratiques immorales et douteuses. Cela peut aller de l’intimidation à l’ultimatum, en passant par la menace et le mensonge.

Ces pratiques, résolument répréhensibles et inacceptables lorsqu’elles apparaissent dans une négociation ou la gestion d’un conflit, sont à distinguer de ce que j’appelle la « menace émotionnelle ». Cette dernière, assez fréquente dans une négociation, est le fruit d’un énervement passager. La résultante d’une discussion qui peut être longue, complexe, et éprouvante, et qui laisse apparaître momentanément une émotion vive et agressive qui peut effectivement prendre la forme d’une menace. En général, l’auteur de cette dernière regrette immédiatement son dérapage incontrôlé et revient à un dialogue plus constructif.

Non, ce dont nous parlons ici, c’est bien de la mauvaise foi réelle, des comportements conscients, anticipés, intentionnels, froids et méthodiques. Au-delà des pratiques ci-dessus, il en existe une, particulièrement malhonnête, qui consiste à discréditer le ou les représentants de la partie adverse. Elle est assez honteuse et répugnante car elle prend en otage la réputation d’un individu dans le seul but d’arriver à ses fins. Ainsi, lors de la négociation autour du Brexit, certains politiciens britanniques ont mené des campagnes pour discréditer Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE, en le décrivant comme inflexible et hostile afin de saper sa crédibilité dans les négociations. Dans un tel cas, il est cependant important de noter qu’en agissant de la sorte, la partie adverse cherche avant tout à éviter la recherche de solution et la négociation. Elle prend le « problème » à la racine car elle estime qu’elle a plus à perdre en négociant. C’est une façon de refuser la négociation. Il faut dans ce cas, ne pas hésiter à dévoiler au grand jour ces pratiques d’un autre âge. Pratiques plus proches du film « Le Parrain » que de la bonne conduite dans les affaires.

Car non, il ne faut jamais accepter de tels comportements. Il faut les condamner, les révéler, les poursuivre et les éliminer.

 

David & Goliath

Décembre 2010. Tunisie. Un vendeur ambulant s’est immolé par le feu pour protester contre la corruption et le harcèlement policier. Cet acte de désespoir a déclenché des manifestations massives. C’est le début des Printemps arabes : une série de mouvements de protestations et de révoltes se sont enchaînés dans plusieurs pays du monde arabe. Ces mouvements ont été marqués par des manifestations de grande envergure, des grèves et des révoltes populaires. Des régimes ont été renversés, des présidents en exercice ont dû fuir et quitter leurs fonctions.

Pourquoi parler de ces événements ? Pour illustrer l’évolution des rapports de force dans nos sociétés modernes et digitales. Pour montrer que lorsqu’on est victime de pratiques douteuses et de coups bas dans une négociation, si la situation l’exige, le rétablissement d’un équilibre sain est à portée de clic. C’est ce qui s’est passé avec les Printemps arabes. La combinaison d’une frustration et d’une colère latentes des populations, avec les moyens digitaux mis à leur disposition, a été un cocktail détonant dans l’expression et la diffusion de leurs révoltes.

Sans aller dans de tels extrêmes, il est aujourd’hui possible pour un simple individu de se faire entendre par une multinationale grâce aux réseaux sociaux et autres plateformes de pétition en ligne. Il est devenu possible de s’adresser à Goliath lorsqu’on s’appelle David. Grâce à son authenticité et à l’écho favorable qu’elle suscite. Grâce au bon hashtag, au bon endroit, au bon moment. Car les relations de pouvoir ne sont plus verticales, mais évoluent dans un écosystème mouvant de parties prenantes, complexes et souvent incontrôlables.

 

Richard Branson et la surprenante bataille de Virgin contre British Airways

Dans les années 1980 et 1990, Virgin Atlantic, fondée par Richard Branson, est devenue un concurrent sérieux de British Airways (BA) sur les routes transatlantiques. La compétition entre les deux compagnies aériennes s’est intensifiée, menant à une série d’affrontements commerciaux et juridiques. Mais le BA de l’époque a aussi été impliqué dans plusieurs pratiques douteuses et illégales pour tenter de nuire à Virgin Atlantic et à son fondateur. La compagnie aérienne historique a en effet mené une campagne contre Virgin Atlantic, diffusant de fausses informations et des rumeurs pour discréditer la compagnie et son fondateur. Elle est allée encore plus loin en utilisant des coups bas (« dirty tricks ») où des employés de BA ont appelé les clients de Virgin Atlantic, se faisant passer pour des employés de Virgin, pour leur dire que leurs vols étaient annulés ou retardés afin de les faire changer de réservation vers BA.

Si ces pratiques sont absolument sidérantes, il existe également des aspects non moins surprenant concernant les employés de BA qui ont été impliqués ou témoins de ces pratiques : Certains d’entre eux ne se sont plus reconnus dans les valeurs de leur employeur et ont décidé de contacter Virgin Atlantic pour dénoncer ces pratiques, qui étaient en contradiction avec leurs propres valeurs éthiques. British Airways n’en est pas sorti vainqueur : non seulement la compagnie aérienne a été condamnée, mais surtout, sa marque et sa réputation ont durablement souffert d’un tel « écart de conduite ».

Mes étudiants en négociation me demandent souvent comment réagir s’ils sont confrontés à des entreprises utilisant de telles pratiques immorales dans la gestion des conflits. Ma réponse demeure invariablement la même, à savoir que l’éthique et la morale devraient être la seule boussole qui importe. Une boussole qui, à elle seule, est à la fois nécessaire et suffisante. Au-delà de cette rigueur morale, ils ont également compris qu’à notre époque, l’utilisation de telles pratiques, de ces « dirty tricks », était en outre contre-productive. Parce qu’il est aujourd’hui possible de dénoncer ces coups bas publiquement et de créer un mouvement de contestation. Parce qu’il suffit d’une personne, d’une seule personne, pour dévoiler ces intentions malveillantes. Quitte à ce que cette personne fasse partie du camp adverse, comme ce fut le cas dans le conflit entre BA et Virgin Atlantic.


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