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Le Brexit Plonge Les Milliardaires Britanniques Dans La Tourmente

BrexitSir James Dyson | Crédit photo : Getty Images

Les milliardaires Sir James Dyson (fondateur de Dyson) et Sir James Ratcliffe (PDG d’Ineos), deux des plus fervents supporteurs du Brexit, avaient pour projet de rendre au Royaume-Uni ses lettres de noblesse dans la construction automobile dès la première année post-Brexit.

Cependant, Ineos a déclaré la semaine dernière envisager de déplacer son projet de 4×4 Grenadier en France, tandis que Dyson a abandonné son projet de voiture électrique en octobre dernier. Ces décisions prouvent que même pour les milliardaires, la réalité du Brexit (et les complexités du marché) fait de la fabrication de voitures ex nihilo un business coûteux, risqué et très concurrentiel.

Pour John Pearce, PDG de Made in Britain, un groupe qui soutient l’industrie manufacturière britannique, les décisions de deux des chefs d’entreprise les plus célèbres du Royaume-Uni sont « extrêmement décevantes ». Des milliers d’emplois vont sans doute être délocalisés à l’étranger, et le Royaume-Uni doit réfléchir à une solution pour retrouver sa gloire d’antan. Les Britanniques ont créé Rolls-Royce, Mini (toutes deux détenues par BMW), Jaguar, Land Rover et Range Rover (détenues par le groupe indien TATA) et Aston Martin (sauvées en janvier grâce à un investissement du milliardaire canadien Lawrence Stroll), pourtant aujourd’hui, ils fabriquent principalement des Nissans, des Toyota et des Honda.

 

Les milliardaires, convaincus de la nécessité du Brexit

Dyson et Ratcliffe ne sont que deux noms parmi d’autres milliardaires britanniques qui soutenaient le Brexit ou suggéraient qu’il ne serait pas aussi dommageable pour le Royaume-Uni que ne le laissaient entendre les médias. Lord Anthony Bamford, les frères Frederick et David Barclay, ou encore John Caudwell, font partie de ces derniers.

James Dyson déclarait à la BBC en 2017 qu’il était « très optimiste » à propos du Brexit, ajoutant qu’en tant que « patriote », il était « désireux de renouer avec le Commonwealth » et les « marchés en pleine expansion en Extrême-Orient ». Il avait ensuite averti qu’une sortie sèche de l’UE (ou no deal) ferait « plus de dommages aux Européens qu’aux Britanniques ».

De la même manière, James Ratcliffe, dont la fortune nette est estimée à 16,7 milliards de dollars, avait agacé les opposants du Brexit en 2016, publiant sur le site d’Ineos une déclaration affirmant : « En tant qu’entreprise, Ineos soutenait le marché commun, mais pas les États-Unis d’Europe », un affront contre la montée du fédéralisme en Europe. Au sujet des négociations avec l’Union européenne, James Ratcliffe précise : « N’oubliez jamais que nous avons un bon jeu de cartes… Mercedes ne va pas arrêter de vendre des voitures au Royaume-Uni ».

Les deux milliardaires, qui voient le Brexit comme une opportunité, ont forgé de grands projets, bien que différents, à la suite du vote du Royaume-Uni pour quitter l’Union européenne en juin 2016. Les deux projets concernaient la fabrication de voitures et le retour du Royaume-Uni en tant que grand centre automobile. Mais depuis le début d’année, les choses avancent au ralenti, et les deux hommes d’affaires britanniques ont plus de mal à faire cavalier seul qu’ils ne l’auraient pensé.

 

Le rêve d’un Brexit tout électrique

En septembre 2017, Dyson avait confirmé sur Twitter le projet de longue date visant à construire le véhicule du futur : une voiture entièrement électrique, incluant la qualité et le génie technique des équipements produits par son entreprise. Ce projet avait pour objectif de lancer Dyson sur un nouveau marché, celui de la Tesla européenne. En assurant 400 emplois et en espérant recruter en masse, le milliardaire avait suscité l’espoir. Le Royaume-Uni allait enfin devenir un poids lourd technologique capable de jouer dans la cour des grands. James Dyson avait annoncé que sa société engagerait 2,5 milliards de dollars dans ce projet. 

 

 

Pour sa part, James Ratcliffe avait formulé le souhait de ressusciter une icône : le Defender, le 4×4 préféré des fermiers, utilisé par les Sloane Rangers (une population typique de Londres issue de la classe ouvrière) dans les années 1980, qui ont apporté tous les éléments de la vie rurale en ville. Le Defender est l’un des premiers véritables véhicules utilitaires. Il s’agit d’un humvee britannique, que l’on retrouve dans les zones de guerre, mais aussi sur les chantiers et dans les fermes. Le Defender a été arrêté par Land Rover en 2016, après 67 ans de production continue, au grand dam du public, qui a fait la queue pour voir le dernier Defender classique sortir de la chaîne de production de la célèbre usine de Solihull, près de Birmingham.

 

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Un Land Rover Defender | Crédit photo : Getty Images

 

James Ratcliffe a ainsi saisi une opportunité commerciale et a imaginé une nouvelle version du véhicule, adaptée au XXIe siècle. Lors de l’événement de lancement du projet en septembre 2017, il affirme que sa voiture permettra de créer 10 000 emplois, précisant tout de même que des subventions de la part du gouvernement seraient sans doute nécessaires pour s’assurer que ces 10 000 emplois se trouveront bien au Royaume-Uni. Il avait alors déclaré : « C’est peut-être un peu arrogant pour une entreprise du secteur chimique de penser qu’elle peut produire un 4×4 de renommée, mais je pense que nous avons la confiance nécessaire pour se lancer dans la fabrication ».

 

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Le Grenadier d’Ineos, inspiré par le Defender | Crédit photo : Ineos

 

Mais entre temps, la réalité du marché britannique fait vaciller les deux projets. En octobre 2019, James Dyson doit abandonner son rêve de voiture électrique, expliquant au personnel que la voiture qu’ils avaient conçue n’était pas « commercialement viable ». Un an avant, le groupe avait déjà pris la décision d’abandonner son projet de production des voitures pour la RAF Hullavington, une base de l’armée de l’air située à l’ouest de Londres. La voiture électrique imaginée par James Dyson était un gros SUV avec une autonomie de 965 km. L’homme d’affaires a admis au Times : « Il y a une énorme tristesse et une grande déception. Notre vie est faite de risques et d’échecs. Nous essayons des choses et elles échouent. La vie n’est pas facile ». Chaque Dyson devait être vendue pour 150 000 £ pour couvrir les coûts, soit beaucoup plus que la Tesla Model 3, plus petite et plus sportive certes, mais vendue à 40 000 £.

La semaine dernière, le tour est venu pour James Ratcliffe de revoir ses ambitions à la baisse. Ineos a annoncé le 7 juillet que le Grenadier serait probablement construit en France, et non au Royaume-Uni. Ainsi, environ 600 emplois seraient relocalisés en Europe continentale. Le groupe a confirmé à Forbes être en « pleine discussion avec Mercedes-Benz concernant l’acquisition de son site de Hambach en Moselle, France ». Le milliardaire explique que la pandémie a causé « quelques retards dans les plans de développement du 4X4 ».

Le Grenadier, emblème du Royaume-Uni, sera donc fabriqué en France plutôt qu’à Bridgend, au Pays de Galles. Les moteurs (à essence et diesel) seront fabriqués par BMW, en Allemagne. Cette relocalisation a fait la frustration des Britanniques, dont John Pearce, PDG de Made in Britain, un logo utilisé pour identifier les produits fabriqués en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Ce dernier a déclaré à Forbes que pour les deux milliardaires : « Il n’y a plus d’excuses pour ne pas construire en Grande-Bretagne ». Il ajoute que « des matériaux de construction de classe mondiale » et « l’expertise nécessaire pour en tirer le meilleur parti » sont « facilement accessibles à quiconque souhaite réellement rester ici, investir ici et participer à la grande reconstruction post-Brexit et post-coronavirus ».

John Pearce est sans équivoque : « Ce dont la Grande-Bretagne a besoin, c’est de personnes désireuses et capables de réimaginer l’économie et la société, afin de pouvoir faire face à toutes les retombées connues (et inconnues) ». Il admet que pour d’autres entreprises britanniques, le signal envoyé par James Dyson et James Ratcliffe est « vraiment décevant », surtout pour les petits et moyens fabricants « qui alimentent les réseaux complexes de fournisseurs nationaux et internationaux pour les grands groupes comme Ineos et Dyson ».

 

Trop peu d’incitations commerciales ?

Nigel Driffield, professeur de commerce international à la Warwick Business School, affirme que la décision de se retirer d’un réseau mondial de fabrication est difficile à prendre. Plaisantant sur les milliardaires britanniques, il estime que, comme beaucoup de « capitalistes et de champions du marché libre », « Ratcliffe et Dyson aiment bien recevoir des aides d’État quand ils peuvent en obtenir, et dans les deux cas, ils en espéraient plus que ce qui s’est avéré être le cas ».

Sur la question de savoir pourquoi il est si difficile de construire en Grande-Bretagne, Nigel Driffield renvoie à 1992, à l’époque de Margaret Thatcher et du traité de Maastricht, qui a vu un changement fondamental de la position britannique : « Le marché unique est essentiellement une victoire de la spécialisation et des échanges, il suffit de voir comment l’industrie automobile a changé en Europe après 1992. Sur le fond, nous sommes passés des usines automobiles, où Ford fabriquait des voitures comme l’Escort dans une usine, la Fiesta dans une autre, etc., aux usines de moteurs, de carrosseries, de composants, etc. ». Les idées liées au projet européen de « libre circulation et de normes universelles » ont facilité cette évolution. « C’est pour ça que Margaret Thatcher était si enthousiaste, elle a pu constater les gains d’efficacité ».

Le professeur estime que le problème avec James Dyson et James Ratcliffe est le Brexit : « Nous avons choisi de quitter ce système (sous une forme encore non précisée) et d’avoir une relation plus souple avec lui ». De nombreuses entreprises, y compris celles dirigées par des milliardaires, rencontrent des difficultés à se développer en Grande-Bretagne depuis le Brexit. Nigel Driffield ajoute : « Beaucoup d’entreprises ne peuvent pas faire fonctionner ce système au Royaume-Uni, elles cherchent donc à se délocaliser là où elles le peuvent, et paieront alors les droits d’importation nécessaires pour expédier les marchandises au Royaume-Uni ». Tel était sans doute le projet de James Dyson, qui prévoyait de fabriquer sa voiture électrique en Malaisie, et de James Ratcliffe, qui a finalement opté pour une production française.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : David Dawkins

 

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