La fortune du magnat des satellites a grimpé en flèche après l’annonce de son projet de céder une partie des licences de spectre de son groupe pour 23 milliards de dollars. Une perspective qui a séduit Wall Street, mais qui sonne le glas de son ambitieux projet de réseau 5G national, longtemps perçu comme un espoir pour faire baisser le coût des forfaits mobiles.
Rien ne semblait tourner en faveur de Charles Ergen, du moins pendant un certain temps. À l’automne 2023, la fortune du magnat du satellite avait fondu à moins de 800 millions de dollars, loin du sommet de 20,1 milliards atteint en 2015. Les actions de ses sociétés, EchoStar et Dish, touchaient alors des planchers historiques (le plus bas en 25 ans pour l’une, un record absolu pour l’autre). Dish accumulait les pertes, croulait sous une dette de 21 milliards de dollars et voyait fondre son parc d’abonnés à la télévision payante. Quant au réseau sans fil qu’Ergen avait promis de bâtir pour le gouvernement américain, il semblait de plus en plus compromis. Beaucoup d’analystes pariaient déjà sur la faillite.
Mais mardi, l’ancien joueur de poker a retourné la donne. EchoStar a annoncé la vente à AT&T de licences de spectre 600 MHz et 3,45 GHz (parmi ses actifs les plus précieux) pour près de 23 milliards de dollars. Résultat : le titre EchoStar a bondi de 70 % en une séance, clôturant à 50,87 dollars, son plus haut niveau depuis la scission de Dish en 2008 (les deux sociétés, cofondées par Ergen, ayant fusionné de nouveau fin 2023). Dans la foulée, la fortune de l’homme d’affaires s’est envolée : de 3,6 milliards à 6,6 milliards de dollars en quelques heures, avant de dépasser 7,8 milliards mercredi soir.
Derrière l’envolée de la fortune personnelle de Charles Ergen se profile toutefois un revers pour les consommateurs. La vente de ses licences scelle l’abandon de son projet de réseau 5G national, qui nourrissait l’espoir d’un marché mobile plus concurrentiel à court terme. Privée des fréquences basses et moyennes qu’elle vient de céder, EchoStar ne pourra pas bâtir ce réseau ; l’entreprise admet d’ailleurs dans un communiqué que ses infrastructures seront « progressivement mises hors service ». (La société n’a pas répondu à nos demandes de commentaires.)
Cette issue marque un tournant. En 2019, la Commission fédérale des communications (FCC) avait donné son feu vert à la fusion entre T-Mobile et Sprint, à la condition qu’un nouvel acteur vienne remplacer Sprint pour éviter un marché réduit aux « trois grands » – T-Mobile, AT&T et Verizon. Ergen, qui accumulait des licences de spectre depuis 2008, apparaissait alors comme le candidat idéal. L’autorité lui avait accordé des délais supplémentaires sur ses licences proches de l’expiration et lui avait permis de racheter la marque prépayée de Sprint. Mais en contrepartie, il devait lancer une offre avec abonnement pour rivaliser avec les géants du secteur et bâtir un vaste réseau 5G.
La FCC avait imposé à Charles Ergen un calendrier serré pour bâtir son réseau 5G, tout en lui interdisant de céder ses licences 600 MHz aux trois grands opérateurs avant fin 2026. L’autorité voulait éviter précisément le scénario qui se joue aujourd’hui : voir Ergen esquisser l’entrée d’un quatrième acteur sur le marché, avant d’abandonner et de revendre ses fréquences. Déjà à l’époque, certains observateurs soupçonnaient l’entrepreneur d’accumuler du spectre à prix réduit dans l’unique but de le revendre plus cher.
En mai dernier, la FCC a ouvert une enquête pour vérifier si Ergen respectait ses obligations de déploiement. EchoStar, alors fragilisée, a alerté sur les risques que cette procédure faisait peser sur son activité, manqué le paiement d’intérêts obligataires et semblé au bord de la faillite. Mais après une rencontre en juin entre Ergen, Donald Trump et le président de la FCC, le ton a changé : l’agence a cessé de lui mettre la pression pour construire son réseau et a commencé à l’encourager à céder ses fréquences.
L’accord conclu mardi avec AT&T sonne aussi le glas de certains des paris technologiques d’EchoStar. L’entreprise était en effet la première aux États-Unis à déployer un « réseau d’accès radio ouvert », ou Open RAN. Conçu dès l’origine pour le cloud, ce système promettait un réseau plus rapide, moins coûteux et hautement personnalisable.
« C’est ce que je trouve le plus regrettable dans toute cette affaire », déplore Roy Chua, fondateur d’AvidThink. « Le réseau qu’ils avaient bâti était réellement innovant, et ils l’ont fait en un temps record, avec une efficacité remarquable. » Certaines des innovations Open RAN d’EchoStar ont depuis essaimé à l’international, ajoute-t-il, ce qui fait qu’elles n’ont pas été totalement perdues.
La transaction représente une véritable aubaine pour Charles Ergen et les autres actionnaires. Même si EchoStar reste fragilisée — la télévision par satellite perdant inexorablement du terrain face au streaming, et l’avenir de son activité Internet n’étant guère plus prometteur que celui de son réseau 5G avorté —, l’entreprise peut désormais capitaliser sur la vente de ses actifs pour une somme colossale. Elle conserve d’ailleurs près des deux tiers de son spectre, qui pourrait rapporter autant, voire plus, que l’accord signé avec AT&T, estime Roy Chua. Parmi les acheteurs potentiels figurent les « trois grands » opérateurs, mais aussi Starlink, la société spatiale d’Elon Musk.
Autre atout pour EchoStar : AT&T a accepté de payer une prime. Le groupe déboursera plus de 23 milliards de dollars, alors qu’Ergen avait acquis ces licences pour 13,5 milliards en 2017 et 2022. De quoi offrir au groupe l’oxygène nécessaire pour éponger une partie de sa dette, qui s’élève à 26,9 milliards de dollars. La conclusion de la transaction est attendue d’ici mi-2026, sauf veto des régulateurs — un scénario dont Morningstar évalue la probabilité à 25 %.
Les actionnaires misent sur le succès de l’opération. « Je ne crois pas que quiconque ait vraiment pensé qu’EchoStar resterait une entreprise viable plus de deux ou trois ans », observe Craig Moffett, directeur général senior de MoffettNathanson. « Pour ceux qui détenaient des actions, l’idée était que, qu’il y ait faillite ou non, le spectre serait vendu à un prix suffisamment élevé pour qu’il reste de l’argent pour les actionnaires. » Il note d’ailleurs que la somme distribuée aurait pu être encore plus importante en cas de faillite, les contrats de location de tours étant alors susceptibles d’être annulés, réduisant le passif : « C’est une situation étrange, où les actionnaires auraient sans doute été mieux lotis si l’entreprise avait fait faillite. »
EchoStar conserve toujours Boost, sa marque de téléphonie mobile destinée à concurrencer les géants du secteur. Mais elle fonctionnera désormais sur les réseaux d’AT&T et, dans une moindre mesure, de T-Mobile, plutôt que sur son propre réseau. L’activité de Boost restera donc beaucoup plus modeste que ce qu’Ergen avait laissé entendre et pourrait peiner à rester compétitive. « Nous mourrons peut-être tous sans jamais savoir si Charlie avait réellement l’intention de devenir un vrai opérateur de télécommunications », conclut Moffett.
Un article de Monica Hunter-Hart pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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