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« La fin des privilèges » : le dollar a-t-il atteint son apogée et l’euro peut-il le remplacer ?

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Est-ce que l'euro peut remplacer le dollar ? | Source : Getty Images

Quel est l’impact réel des politiques économiques de Donald Trump sur les portefeuilles d’investissement ? Le chaos politique est tel au quotidien que de nombreux investisseurs surestiment probablement l’effet du président américain sur les marchés. À l’heure actuelle, les marchés boursiers et obligataires américains se situent à peu près aux mêmes niveaux qu’en mars… même si la confiance des investisseurs a été mise à mal.

 

L’avantage des marchés financiers réside dans le fait que certains des risques déclenchés par Donald Trump peuvent être couverts, alors qu’il est plus difficile pour les sociétés, les économies et le corps politique de compenser les implications des actions du président américain sur les flux d’investissements directs étrangers et la qualité du débat politique, par exemple.

Du point de vue de l’investissement, l’effet réel de Donald Trump sur les portefeuilles pourrait être qualifié de « fin des privilèges », c’est-à-dire que l’idée selon laquelle les actifs américains en général, et le dollar en particulier, bénéficient de ce que Valéry Giscard d’Estaing avait qualifié de « privilège exorbitant ». Cette ère touche lentement à sa fin. Concrètement, on peut s’attendre à ce que les investisseurs remettent en question le rôle des bons du Trésor américain en tant que valeur refuge et à ce que le dollar s’affaiblisse lentement (à partir d’un niveau très élevé) au fil du temps.


L’ensemble des politiques économiques menées par Donald Trump sont déroutantes et préjudiciables à la croissance américaine à long terme et au tissu social (son projet de budget « grand et beau » favorisera de manière disproportionnée les ménages riches au détriment des ménages pauvres). De plus, tout sens des responsabilités a été balayé et la corruption s’installe sans vergogne dans la vie publique (l’article d’Evan Osnos dans le New Yorker sur ce sujet est excellent).

En résumé, les États-Unis risquent de prendre les traits économiques d’une économie émergente mal gérée (il suffit de regarder les performances de la livre turque et du marché obligataire au cours des cinq dernières années pour avoir un exemple extrême).

À long terme, Donald Trump a définitivement brisé le système de Bretton Woods qui avait élevé le système financier américain au rang de premier parmi ses pairs. La conférence de Bretton Woods a été une lutte entre la Grande-Bretagne et les États-Unis pour façonner le nouvel ordre financier mondial et, avec lui, des organismes tels que le FMI. Les États-Unis en sont sortis grands vainqueurs, et la conférence a officialisé le transfert du « pouvoir mondial » de la Grande-Bretagne aux États-Unis.

Comme l’écrivait John Maynard Keynes (le négociateur en chef britannique) à sa mère : « Dans un an, nous aurons perdu les droits que nous avions revendiqués dans le Nouveau Monde et, en échange, ce pays sera hypothéqué aux États-Unis. » La mission de John Maynard Keynes était de négocier un accord pour la Grande-Bretagne qui lui éviterait de « perdre la face et de donner l’impression de capituler complètement devant la diplomatie du dollar ».

À partir de ce moment, la domination financière américaine s’est renforcée, se traduisant par une large utilisation internationale du dollar, qui a acquis une place très particulière en tant que pivot du système financier. En effet, l’un des principes fondamentaux de l’ordre mondial du XXe siècle et de l’essor de la mondialisation a été la position du dollar en tant que monnaie de réserve internationale.

Le dollar est devenu si important pour le système financier que deux économistes (Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey) ont poussé plus loin la notion de « privilège exorbitant » dans un article relativement récent, en introduisant celle de « devoir exorbitant », qui fait référence au rôle que jouent le dollar et le système financier américain en temps de crise en tant que refuge, même lorsque ces crises trouvent leur origine aux États-Unis mêmes. Il est alarmant de constater que le budget de Donald Trump (section 899) contient une disposition qui permet au gouvernement de taxer les détenteurs d’actifs américains dans certaines circonstances, ce qui ne peut que miner davantage la confiance.

La question est donc de savoir quels actifs et quelles devises bénéficieront d’un dollar moins « privilégié ». Tout d’abord, il semble que lorsque quelque chose ne va pas dans des pays émergents comme la Turquie, les capitaux affluent vers des pays comme la Suisse (tout simplement parce qu’une grande partie de ces capitaux est détenue par un petit nombre d’individus).

En ce qui concerne les flux institutionnels beaucoup plus importants, la destination évidente devrait être la zone euro. Cependant, ce n’est pas le cas. En effet, il est surprenant de constater le nombre d’investisseurs à Singapour ou aux Émirats arabes unis qui considèrent la zone euro comme un marché peu attirant pour l’investissement. Cela reflète peut-être une certaine ignorance de leur part, mais cela témoigne également d’un problème plus large de crédibilité internationale de la zone euro.

Dans ce contexte, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a prononcé un très bon discours sur les devises à Berlin, lundi 26 mai, intitulé Earning influence: lessons from the history of international currencies (Gagner en influence : les leçons de l’histoire des devises internationales). Dans ce discours, elle a souligné trois caractéristiques des devises dominantes : elles sont émises par de grandes économies (zones), elles disposent d’importants pools d’actifs financiers que les étrangers peuvent acheter et elles sont soutenues par des systèmes juridiques solides.

Ce discours comporte deux aspects contemporains importants : le premier est l’anticipation que les mesures prises par le gouvernement américain affaibliront structurellement le dollar, et le second est l’aveu très mature de la présidente de la BCE que la zone euro (à laquelle la Bulgarie adhérera en 2026) n’est pas parvenue à approfondir ses marchés de capitaux et à devenir le fournisseur d’actifs sûrs dans un monde de plus en plus instable.

Ces commentaires s’inscrivent dans le contexte d’une nouvelle poussée de la zone euro en faveur de l’union des marchés de capitaux, ou union de l’épargne et de l’investissement (UEI) comme on l’appelle désormais. Cette dernière comporte essentiellement trois volets : la mise en place d’autorités de régulation uniques pour les services financiers dans toute l’UE, la création de pôles d’expertise dans différentes capitales financières de l’UE (Amsterdam pour les actions, Paris pour le capital-investissement, etc.) et la sanction des flux d’épargne et de retraite des particuliers vers des actifs privés.

À bien des égards, l’UEI est un phénomène étrange : une politique cruciale pour l’avenir de l’Europe, mais qui n’intéresse guère la plupart des Européens. Outre le déblocage de centaines de milliards d’euros provenant des caisses d’épargne allemandes pour financer des investissements privés, l’Europe a également besoin d’un changement structurel dans l’appétit pour le risque. Pour cela, il faudrait peut-être un Donald Trump européen.

 

Une contribution de Mike O’Sullivan pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


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