Ces derniers mois, l’Europe a remis ses investissements dans le secteur de la défense au premier plan de ses préoccupations. En mars 2025, la France annonçait la création par Bpifrance d’un fonds d’investissement de 450 milliards d’euros dédiés aux projets du secteur de la défense. Cependant, en pleine relance de la production militaire, le secteur se heurte à un déficit de main-d’œuvre, à rebours de la dynamique de commandes record lancée par le gouvernement et l’Europe.
Ce qu’il faut retenir
Le réarmement massif voulu par la France et ses partenaires européens révèle un goulet d’étranglement inattendu : le manque de personnel qualifié dans les filières de défense.
Au cœur des tensions de recrutement qui frappent l’industrie de défense française se trouve une pénurie criante de profils techniques, pourtant indispensables à la montée en cadence des chaînes de production. Les entreprises du secteur peinent à attirer des compétences en usinage, soudure, électronique ou encore en ingénierie des systèmes complexes. Selon le GICAT, ce sont principalement ces métiers industriels qualifiés qui manquent à l’appel, freinant la capacité des groupes comme Nexter, Arquus ou MBDA à répondre à la hausse des commandes. Chez Thales, 4 000 postes sont ouverts, dont une majorité dans les métiers de l’ingénierie, la cybersécurité et l’électronique embarquée. Le problème est d’autant plus aigu que ces compétences techniques sont rares et très concurrentielles, recherchées aussi bien dans le civil que dans d’autres secteurs stratégiques comme l’aéronautique ou l’énergie.
« Le problème, c’est qu’on ne forme pas assez, et qu’on a perdu une génération de jeunes qu’on n’a pas orientés vers ces métiers-là », résume un industriel dans La Tribune. Cette tension s’explique par un double facteur. D’abord une forte méconnaissance des métiers de la défense puisque 70 % des jeunes ne savent pas exactement en quoi ils consistent. Ensuite, une autocensure alimentée par l’image élitiste du secteur.
Les résultats sont flagrants avec 65 % des 15-24 ans qui n’ont alors jamais envisagé une carrière dans l’aérien ou l’armement, alors même que la filière a dépassé les 222 000 emplois fin 2024. Un décalage important entre effort de réindustrialisation et pénurie de main-d’œuvre.
Pourquoi c’est important à suivre
La fragilité des ressources humaines dans l’industrie de défense européenne menace directement la souveraineté stratégique du continent. En France, où le gouvernement a engagé 413 milliards d’euros dans la Loi de programmation militaire 2024-2030, les industriels alertent sur un « effet goulot ». C’est-à-dire que les contrats affluent, mais les équipes manquent pour les honorer. Cette asymétrie entre volonté politique et réalité industrielle pourrait ralentir la cadence de production d’équipements cruciaux, tels que les avions Rafale, les systèmes anti-drones, ou les composants de dissuasion nucléaire. Au-delà des délais de livraison, c’est toute la crédibilité de l’autonomie stratégique européenne qui est en jeu, notamment face à la guerre en Ukraine, à la montée des tensions en mer de Chine, ou à la réalité d’une politique belliqueuse depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Citation principale
« La difficulté aujourd’hui, ce n’est pas de trouver des commandes, c’est de trouver des compétences », reconnaît un dirigeant industriel interrogé par Reuters.
Ce constat, partagé par de nombreux acteurs du secteur selon le média, souligne un basculement structurel dans les priorités de l’industrie de défense française. Alors que les carnets de commandes explosent dans le sillage des efforts de réarmement, ce sont désormais les ressources humaines qui deviennent le principal frein. La pression sur le recrutement touche toutes les strates, des techniciens aux ingénieurs, et remet en cause la capacité du pays à soutenir son ambition de souveraineté stratégique.
Le chiffre à retenir : 70 000
En France, 70 000 emplois seront à pourvoir dans l’industrie de défense d’ici 2025, selon les estimations du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT). Un chiffre qui illustre l’ampleur du défi à relever alors que la commande publique se redresse fortement. En 2023, le ministère des Armées avait déjà annoncé vouloir recruter 20 000 personnes supplémentaires dans ses effectifs. Cette accélération sans précédent place la question du recrutement au cœur de la stratégie industrielle de défense, au risque de voir les capacités de production entravées si les postes ne sont pas pourvus à temps.
Dans l’industrie aéronautique française, 25 000 recrutements sont attendus en 2025, dont plus de 6 000 alternants. En 2024, ce chiffre s’élevait déjà à 29 000, un record depuis la pandémie.
À surveiller
Face à la pénurie de profils techniques, les acteurs du secteur, comme le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS), multiplient les initiatives. La campagne nationale « L’Aéro Recrute », prévue durant le Salon du Bourget (16-22 juin), vise à faire connaître les métiers « concrets, porteurs de sens et d’avenir ». La filière explore également de nouvelles pistes de recrutement : sensibilisation dès le collège, recours à des influenceurs hors secteur, actions ciblées vers les zones rurales ou les publics en reconversion. Si ces efforts échouent, c’est la capacité de la France à produire ses armements de manière autonome qui pourrait s’en trouver compromise.
Lire aussi : “Alexandre Prot (Qonto) : « Pour les fintechs, l’IA peut tout changer »”

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits