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La compagnie Singapore Airlines mise gros sur l’Inde

Singapore AirlinesAnand Sharma (à droite), ancien ministre du Commerce et de l’Industrie de l’Inde, avec Goh Choon Phong (à gauche), PDG de Singapore Airlines, et Ratan Tata (au centre), PDG du groupe Tata, lors d’une réunion à New Delhi le 25 octobre 2013. | Source : Getty Images

Dans une interview exclusive, Goh Choon Pong, PDG de longue date de la compagnie aérienne d’Asie du Sud-Est Singapore Airlines, expose son projet de faire de l’Inde sa prochaine grande plateforme.

Article de Jonathan Burgos pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Goh Choon Phong, PDG de Singapore Airlines, a de quoi se vanter : des bénéfices records, des avions presque pleins, le prix convoité de la meilleure compagnie aérienne au monde. Cependant, le sujet qui passionne vraiment Goh Choon Phong, 60 ans, c’est l’Inde. « On peut se rendre compte du potentiel de ce pays », s’enthousiasme-t-il lors d’une interview exclusive réalisée fin novembre au SIA Training Centre, près de l’aéroport de Changi. Pour Singapore Airlines, le potentiel de l’Inde est bien plus qu’un moyen de remplir quelques sièges. Goh Choon Phong prévoit d’en faire une plaque tournante, une deuxième maison pour la compagnie aérienne, avec une marge de croissance presque illimitée. Fin 2022, SIA a conclu un accord historique pour concrétiser ce projet, en prenant une participation de 25,1 % dans Air India, qui devrait être finalisée en mars de cette année.

 

« Nous avons été durement touchés par la pandémie »

Bien entendu, SIA est indissociable de Singapour. C’est la compagnie aérienne nationale de la ville-État qui connaît un succès phénoménal. Ses hôtesses de l’air soignées sont des emblèmes de Singapour célèbres dans le monde entier. Cependant, durant la pandémie, toutes les vulnérabilités d’un petit pays de 5,6 millions d’habitants ont été mises à rude épreuve.

« Nous avons été très durement touchés par la pandémie, nous n’avions pas de marché intérieur », explique Goh Choon Phong. Au creux de la vague, en avril et mai 2020, SIA a transporté moins de 11 000 passagers par mois, contre 3,4 millions en janvier de la même année, soit 3 % de sa capacité d’avant la pandémie. « C’était catastrophique », se souvient le PDG de Singapore Airlines.

Cette vulnérabilité existe depuis le début, malgré les efforts de SIA pour tenter de construire des plateformes aériennes dans la région. En Chine, la compagnie a proposé d’acquérir une participation dans China Eastern Airlines en 2007, mais les actionnaires de la compagnie aérienne publique ont rejeté l’opération. En Thaïlande, une coentreprise entre Scoot, la compagnie aérienne à bas prix de SIA, et Nok Air s’est effondrée durant la pandémie. « Nous avons cherché des moyens de participer directement à la croissance du marché indien », explique Goh Choon Phong.

 

Un accord fruit d’une longue série de négociations

Cet accord avec Air India est l’aboutissement d’une longue série de négociations. Durant des décennies, la compagnie Air India a été à la traîne parmi ses homologues asiatiques. Sa privatisation au début de l’année 2022 a permis au groupe Tata de prendre ou de reprendre les rênes de l’entreprise. Pourtant, auparavant, SIA et Tata Sons pilotaient une compagnie aérienne en Inde, Vistara, depuis 2015.

Fin 2022, SIA et Tata ont annoncé un accord pour fusionner Vistara avec Air India, formant un groupe Air India élargi dont SIA détiendra une minorité d’un quart et Tata Sons le reste. Une fois la fusion réalisée en mars, Air India sera la deuxième compagnie aérienne du pays (avec une part de marché d’environ 23 %), selon Statista, après le transporteur à bas prix IndiGo, qui détient une part de 55 %.

L’Inde est une valeur sûre pour SIA. Il s’agit du dernier grand marché d’Asie, largement inexploité, la Chine étant largement fermée aux étrangers et l’Indonésie étant relativement mature (dominée par de grands acteurs tels que Lion et Garuda). Aucun autre marché aérien en Asie, et peu dans le monde, n’offre le même potentiel.

 

Un marché aérien qui n’est pas encore arrivé à maturité

« L’Inde est en pleine croissance, mais le pays est très mal desservi », explique Goh Choon Phong. « C’est vraiment la force de l’Inde. Le marché aérien n’est en aucun cas arrivé à maturité. » En 2023, plus de 327 millions de passagers indiens auraient pris des vols nationaux et internationaux, soit une hausse de 73 % par rapport à l’année précédente, selon Statista. La croissance de l’économie indienne s’accompagne d’une croissance du transport aérien, et SIA est désormais en mesure de s’emparer d’une part importante de ce marché. Singapour est déjà une plaque tournante traditionnelle pour les voyageurs indiens vers de nombreuses destinations internationales.

C’est là que Scoot, la compagnie aérienne à bas prix de SIA, entre en jeu. Scoot joue un rôle majeur en amenant à Singapour des passagers en provenance de petits aéroports de certaines régions de l’Inde (et d’Asie du Sud-Est), à moins de cinq heures de vol. Scoot utilise des avions à fuselage étroit sur ces liaisons et a commandé à Embraer neuf E190-E2 de 122 places qui seront livrés à partir de cette année. Ces Embraer plus petits sont parfaits pour desservir efficacement les petits aéroports où le nombre de passagers est moindre.

« SIA mise sur les perspectives à long terme qu’offre l’Inde », explique par courriel Ahmad Maghfur Usman, analyste au sein du courtier japonais Nomura à Kuala Lumpur. « Air India a clairement amélioré son efficacité opérationnelle et, avec une nouvelle flotte, cette efficacité sera d’autant plus importante. SIA et Tata prévoient d’apporter leur expertise collective pour commencer à améliorer la réputation de qualité d’Air India, qui n’est plus un mauvais élève, mais l’une des premières compagnies aériennes d’Asie. »

Goh Choon Phong, qui est directeur général depuis 2011, a prouvé qu’il était un dirigeant capable de planifier à long terme pendant la pandémie. « Nous avons pris le risque de voir la compagnie aérienne faire faillite », explique-t-il. « C’était une période très stressante. »

 


L’INDE, UN MARCHÉ EN PLEINE ÉBULLITION

L’Inde est l’un des marchés du transport aérien dont la croissance est la plus rapide au monde, le nombre de passagers devant augmenter de 73 % entre 2022 et 2023.


 

Un énorme investissement

Le PDG de Singapore Airlines a demandé à son principal actionnaire, l’entreprise publique singapourienne Temasek Holdings, et à d’autres investisseurs, d’injecter 15 milliards de dollars singapouriens (10,35 milliards d’euros) de capitaux frais en souscrivant à des actions supplémentaires de la société. Au total, il a levé 23,5 milliards de dollars singapouriens (16,21 milliards d’euros), y compris grâce au produit de la vente d’obligations convertibles. Bien que la compagnie aérienne ait essayé de conserver autant de personnel que possible, elle a licencié 20 % de ses effectifs et ordonné des réductions de salaire allant jusqu’à 35 % pour les cadres supérieurs.

SIA a utilisé les fonds pour préparer la compagnie à son avenir post-pandémique en développant et en améliorant sa flotte. Elle a pris livraison de 36 nouveaux appareils pendant cette période (ce qui porte sa flotte totale à environ 200 appareils) et en attend 100 autres fabriquées par Airbus, Boeing et Embraer au cours des prochaines années. La compagnie aérienne a agi de la sorte alors que ses concurrents réduisaient leurs dépenses et mettaient des avions au placard. Avec les livraisons d’avions, SIA s’attend à ce que les dépenses d’investissement augmentent de 48 % pour atteindre 3,4 milliards de dollars singapouriens (2,35 milliards d’euros) au cours de l’année qui s’achève en mars 2025, puis 4,3 milliards de dollars singapouriens (2,97 milliards d’euros) l’année suivante.

La compagnie a dépensé 230 millions de dollars singapouriens (158,65 millions d’euros) pour réaménager les cabines des petits appareils sur les liaisons court-courriers en Asie-Pacifique. Par ailleurs, elle a installé davantage de sièges entièrement inclinables en classe affaires et propose désormais le wifi gratuit (pour toutes les classes) sur 95 % de ses vols. Enfin, 50 millions de dollars singapouriens (34,49 millions d’euros) supplémentaires ont été consacrés à l’amélioration de son salon au terminal 3 de l’aéroport de Changi.

Grâce à tous ces préparatifs, lorsque les restrictions sur le transport aérien ont été levées à la fin de la pandémie, SIA a pu immédiatement reprendre du service avec des vols pleins à craquer en raison de la demande refoulée, et obtenir de bons prix pour les billets. Aujourd’hui, la compagnie aérienne a presque retrouvé ses effectifs d’avant la pandémie et embauche à tour de bras. Le SIA Training Centre est en pleine effervescence, les pilotes s’entraînant sur des simulateurs Airbus et Boeing et les hôtesses et stewards se formant aux légendaires compétences de service à la clientèle en vol dans des maquettes de cabines d’avion. « Nous avons recruté 3 000 membres du personnel de cabine l’année dernière et nous en recruterons probablement encore 3 000 au cours du prochain exercice », déclare Goh Choon Phong.

 


RETOUR À LA NORMALE

SIA a enregistré un bénéfice net annuel record au cours de l’exercice fiscal se terminant en mars 2023, dans un contexte de boom des voyages après la pandémie.


 

« Nous avons pu déployer rapidement des vols lorsque les frontières ont été rouvertes »

En septembre, la compagnie desservait 119 destinations internationales, soit environ 87 % de sa capacité avant la pandémie. SIA et Scoot ont transporté plus de 17,3 millions de passagers au cours du premier semestre de l’exercice fiscal en cours, soit une hausse de 52 % par rapport à l’année précédente. Le taux de remplissage de SIA était de 89 % en septembre dernier, selon les données de l’Association internationale du transport aérien, ce qui est nettement supérieur à la moyenne de 80 % des compagnies aériennes de la région Asie-Pacifique. La compagnie ayant conservé un niveau d’équipage de base lorsque les vols étaient cloués au sol, « nous avons pu déployer rapidement des vols lorsque les frontières ont été rouvertes », explique Goh Choon Phong.

Après trois années de pertes (5,5 milliards de dollars singapouriens, soit 3,79 milliards d’euros), le résultat net a rebondi pour atteindre le chiffre record de 2,2 milliards de dollars singapouriens (1,52 milliard d’euros) au cours de l’exercice fiscal qui s’est achevé en mars dernier. Au cours du premier semestre de l’exercice en cours, le bénéfice net a atteint un niveau record de 1,4 milliard de dollars singapouriens (97 millions d’euros) et devrait dépasser les 2,6 milliards de dollars singapouriens (1,79 milliard d’euros) pour l’année, selon les estimations compilées par Bloomberg. Les obligations convertibles émises pendant la pandémie ont été en grande partie remboursées et le cours de l’action de SIA a doublé par rapport au niveau le plus bas de la pandémie, ce qui a récompensé Temasek Holdings et les autres actionnaires.

 

Des mesures qui ont permis à Singapore Airlines de maintenir son standing

En guise de mesure supplémentaire, le PDG de Singapore Airlines a étendu les accords de partage de codes et autres partenariats avec un vaste groupe de compagnies aériennes asiatiques et européennes, dont beaucoup se considéraient autrefois comme des concurrents de SIA. Pour renouer avec les bénéfices, ces compagnies aériennes se concentrent sur les liaisons intérieures et les liaisons régionales à courte distance, permettant à SIA de gérer leurs vols internationaux à longue distance, qui sont parfois des pertes d’argent pour ces compagnies aériennes. Bien entendu, les vols internationaux long-courriers sont ce que SIA fait de mieux et de plus rentable. « L’un des principaux avantages du partage de code est qu’il permet aux compagnies aériennes d’étendre leur réseau international de manière rentable », explique Leithen Francis, directeur général de Francis & Low, société de conseil en aviation basée à Singapour. « Le partage de code aide également les passagers en leur permettant d’accéder à un plus grand nombre de destinations. L’autre avantage est que SIA peut alors placer ses passagers sur les lignes intérieures et court-courriers de ces compagnies, ce qui lui permet d’offrir un plus grand choix de destinations à très peu de frais. »

Kris+, le programme de fidélisation de SIA basé sur une application, a également été transformé en source de profit. Avec plus de 300 000 utilisateurs actifs mensuels dans 17 pays, Kris+ a généré plus de 600 millions de dollars singapouriens (413,88 millions d’euros) de revenus de janvier à septembre 2023, soit une augmentation de 37 % par rapport à l’année précédente. Pour élargir la portée de la plateforme en Australie, qui compte plus de 1,3 million de membres KrisFlyer, SIA s’est associée à Airwallex, une licorne fintech basée à Melbourne et fondée par Lucy Liu. Airwallex aidera à moderniser la structure de paiement de l’application afin d’améliorer ses offres et son service à la clientèle.

Cerise sur le gâteau, SIA a été nommée meilleure compagnie aérienne au monde par le cabinet de conseil britannique Skytrax en juin dernier, détrônant ainsi Qatar Airways, qui détenait ce titre depuis 2019. Grâce à l’accord avec Air India, SIA sera mieux équipée pour concurrencer les trois compagnies aériennes du Golfe, à savoir Qatar Airways et surtout Emirates et Etihad, qui dominent les liaisons avec l’Occident.

« Si Air India devient un transporteur international de classe mondiale avec toute la réputation de qualité de service et de ponctualité », explique Goh Choon Phong, « ce sera une option très attrayante pour les Indiens qui voyagent en Europe ». Pour Singapore Airlines, en pleine renaissance, les rêves d’avenir reposent sur l’Inde.

 


DE GRANDES DÉPENSES

SIA prévoit une augmentation considérable de ses dépenses afin d’étendre et de moderniser ses activités.


 

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