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Jean-Pierre Nadir : « L’époque a changé, on passe d’un modèle d’abondance à un modèle de raison, voire de frugalité »

Jean-Pierre Nadir est un entrepreneur et investisseur reconnu, surtout célèbre pour avoir participé à l’émission à succès Qui Veut Être Mon Associé ?, où il aide des start-ups à trouver des investisseurs.
Jean-Pierre Nadir est un entrepreneur et investisseur reconnu, surtout célèbre pour avoir participé à l’émission à succès Qui Veut Être Mon Associé ?, où il aide des start-ups à trouver des investisseurs.

Jean-Pierre Nadir est un entrepreneur et investisseur reconnu, surtout célèbre pour avoir participé à l’émission à succès “Qui Veut Être Mon Associé ?”, où il aide des start-up à trouver des investisseurs. Fondateur de plusieurs plateformes innovantes, il est une voix incontournable de l’écosystème entrepreneurial français. Nous l’avons rencontré pour comprendre sa vision sur l’évolution des start-ups, de l’investissement et des nouvelles technologies en plein Vivatech.

Forbes France : Quels sont vos projets en cours ? 

Jean-Pierre Nadir : Notre activité s’articule autour de trois principaux domaines, avec une mission : accélérer la transition écologique du tourisme et démontrer que durabilité et rentabilité vont de pair.

  • Première activité (Distribution) – FairMoove Travel : Nous distribuons des séjours que nous avons identifiés comme ayant un impact carbone plus faible environnemental et social positif. Nous expliquons d’ailleurs ce choix de manière transparente, à travers une notation claire pour chaque établissement, afin que le client sache exactement ce que son voyage implique en termes d’impact. Nous essayons de faire en sorte que le prix ne soit pas le seul critère de choix !
  • Deuxième activité (Tour-opérateur) – Double Sens : Nous avons fait l’acquisition en 2023 de ce tour-opérateur solidaire, cofondé par Antoine Richard. Il propose des circuits intégrant les populations, avec hébergement chez l’habitant, repas locaux, et guides de la région. A la fin de chaque voyage, 70 % du prix du séjour est redistribué localement. Nous mesurons précisément ce retour afin d’en assurer la transparence. C’est l’un des seuls tour-opérateurs en France capable de dire quelle part de l’argent dépensé bénéficie directement aux habitants.
  • Troisième activité (Plateforme SaaS) – FairMoove Solutions : Grâce à la levée de fonds de 5,5 M€ réalisée en 2023, nous avons acquis Betterfly Tourism, un éditeur de logiciels qui a donné naissance à notre solution de décarbonation des hôteliers. Elle analyse leur activité (consommation d’énergie, d’eau, de détergents, etc.) et leur propose des recommandations pratiques pour réduire leur empreinte carbone tout en réalisant des économies.

C’est du gagnant-gagnant : l’hôtelier réduit ses coûts tout en diminuant ses émissions de CO2. Notre “green score” (de E à A, avec 15 paliers) sera bientôt visible sur des portails de réservation comme Booking. Objectif : rendre visible l’invisible (conditions de travail, politique sociale, engagement écologique) et permettre au client de choisir en conscience.

Nos ambitions :

  • Accélérer le déploiement de FairMoove Solutions pour atteindre 5 % de l’offre hôtelière mondiale (contre 0,6 % actuellement).

  • Devenir la référence en matière d’engagement hôtelier, à l’image du Nutri-Score dans l’agroalimentaire.

  • Développer Double Sens avec de nouveaux circuits solidaires.

  • Élargir l’offre bas carbone sur FairMoove afin de rendre ces choix plus accessibles et désirables.

Cette année, Vivatech placé sous le signe de la souveraineté, qu’est-ce que ça vous évoque ?

J-P.N : Pas grand-chose. Moi, je ne crois pas beaucoup aux discours politiques en matière d’évolution technologique. Bon, je pense que le gouvernement a fait de très bonnes choses. La BPI, par exemple, a été un levier fantastique pour irriguer et soutenir le tissu industriel. Et toutes les aides pendant le COVID ont sauvé les trois quarts des entreprises en France. On ne le souligne pas assez. Quand certains pensent que le bilan de Macron, ce sont seulement des dettes, ils oublient que cette dette, ce sont les citoyens, les entreprises, qui l’ont générée en bénéficiant de ce soutien.

Ensuite, sur le souffle donné au business, mon sentiment, c’est que le gros problème du pays, actuellement, consiste plutôt à réussir à embarquer le maximum de citoyens dans une dynamique collective. Cette dynamique nécessite des efforts de la part de tous. Moi, par contre, ce que je n’admets pas, ce sont certains discours démagogiques. Dire que « les riches paient 25 % d’impôts tandis que la classe moyenne en paierait 50 % », ce n’est pas sérieux. On prend le cas des holdings : ce sont des structures utilisées afin de réinvestir l’argent. C’est de l’impôt différé, pas de l’impôt non payé. Et ce n’est pas la même chose. Il y a une obligation d’en réinvestir 60 % des bénéfices dans les deux ans. Dire que les entrepreneurs échappent à l’impôt en payant seulement 25 % ou 28 % est donc faux.

Par contre, dire : « Il serait bon que chacun, de manière exceptionnelle, contribue afin de redresser le pays », là, oui. Moi, je n’ai aucun problème avec le fait de participer, à condition que ce soit clair : d’abord, on me dit ce que vont rapporter mes impôts, et d’autre part, on m’explique les économies que l’État s’engage lui-même à réaliser. Si toutes les conditions sont remplies, que l’effort est équilibré et que le projet a du sens, je paierai sans problème. Parce que ce sont des choses concrètes que je veux voir.

Forbes France : Vivatech aussi marqué par un partenariat d’envergure entre Nvidia et Mistral, qu’en pensez-vous ? 

J.P-N : L’État s’est complètement investi dans la création d’un « champion français », en l’occurrence Mistral. C’est une initiative présentée en grande pompe, mais ce que j’en pense, c’est que ce partenariat est plutôt un coup de communication que quelque chose de vraiment concret. On verra ce que l’avenir dira, et comment tout cela évolue.

Pour l’instant, le principal problème de Mistral, c’est qu’ils sont sous-capitalisés, sous-investis, par rapport à des groupes étrangers, notamment face à OpenAI. Comment veux-tu imposer un standard dans ce contexte ? Cela me fait penser au cas de Qwant face à Google. On a créé un « moteur de recherche français », l’État a demandé aux ministères et aux école de l’adopter… et pourtant, tout le monde a continué d’utiliser Google. Qwant n’a pas réussi à s’imposer, tandis que Google a été massivement soutenu, y compris par des États, ce que l’on a tendance à oublier.

L’impression que j’ai, c’est que l’on a toujours un coup de retard. On court après les leaders avec des moyens moindres, et avec, sans doute, une vision pas assez affirmée. Parce que dans ce domaine, le business, ce sont deux choses fondamentales : le temps disponible et l’argent que l’on a. Et le rythme que l’on peut s’offrir, lui, dépend de ce capital.

Quand le facteur « temps », le « rythme », est contre vous, que vos moyens sont plus faibles que vos concurrents, vous pourriez lancer toutes les opérations de communication que vous voulez — des deals, des photos, des discours —, structurellement, vous n’aurez pas le dessus. Parce que vous n’aurez pas les produits, pas les composants, pas les coûts, pas les équipes suffisants. La clé de la promesse de ce « deal », personne n’en a vraiment compris la pertinence. C’est ce que je veux dire : le président Macron s’est mis en valeur en utilisant ce poulain, en laissant croire que la France « a elle aussi » son propre acteur.

Comment percevez-vous la vague d’IA qui traverse l’innovation en ce moment ?

J-P.N : Il y a une véritable révolution des comportements en matière de recherche, qui va profondément impacter le secteur du voyage, mon secteur. Aujourd’hui, les nouvelles générations ne passent plus forcément par Google, qu’ils trouvent trop lent ou trop compliqué. De plus en plus, les recherches se font directement sur des interfaces comme ChatGPT, qui synthétisent l’information rapidement et efficacement. Cette évolution va progressivement réduire le rôle de Google comme porte d’entrée principale sur le web. En conséquence, les stratégies classiques de référencement vont devoir s’adapter : il faudra apprendre à maîtriser ces nouveaux leviers, qui seront aussi des concurrents directs. ChatGPT, par exemple, intégrera une part encore plus importante du savoir disponible sur Internet, ce qui change radicalement la donne.

Cette transition est comparable à la fameuse confrontation entre Kasparov et l’ordinateur Big Blue, marquant la fin de la suprématie humaine face aux machines sur certains domaines. Aujourd’hui, les capacités des intelligences artificielles dépassent largement celles d’un humain, notamment dans le traitement et la synthèse massive d’informations. Pour le voyage, cela signifie une révolution complète dans la manière d’acheter, de concevoir et d’accéder à l’information liée aux voyages. En quelques secondes, on pourra rassembler toutes les données nécessaires, ce qui transforme aussi la production de contenus éditoriaux par les acteurs du secteur. L’IA prendra une place centrale dans la création des fiches, des annonces et des guides, bouleversant ainsi toute la chaîne de valeur du voyage.

Passons à un autre sujet : au premier trimestre 2025, on observe une baisse d’environ un tiers des financements en capital-risque par rapport à 2024. Est-ce un assainissement bienvenu ou un vrai problème ?

J-P.N : L’époque a changé, on passe d’un modèle d’abondance à un modèle de raison, voire de frugalité. Ce n’est plus la frénésie des levées de fonds où l’on investissait sans forcément se soucier des résultats. Maintenant, on investit avec rationalité, en se concentrant sur des entreprises qui ont un vrai potentiel et qui montrent des résultats tangibles. On est entré dans une phase de maturité où les startups doivent être de vraies entreprises, capables de générer de la valeur.

Cette baisse pénalise surtout les startups qui dépensaient sans limite, notamment dans des leviers comme le marketing Google pour acheter leur croissance, parfois au détriment de leur rentabilité. Par ricochet, cela impacte aussi les fournisseurs qui vivaient de cet écosystème : les espaces de coworking, les fournisseurs d’équipements, les organisateurs d’événements…

On revient à une vision plus classique du business où l’entreprise doit rester proche du travail réel. Ce fantasme selon lequel le travail serait un loisir s’effondre face à la réalité. Bien sûr, certains méritants vont être pénalisés et cela peut sembler injuste, mais c’est une réalité à accepter : il faudra désormais être performant et créer de la valeur mesurable.

Quel conseil donneriez-vous pour naviguer dans l’incertitude géopolitique et économique actuelle ?

J-P.N : Le secteur du voyage est très exposé à la géopolitique. Aujourd’hui, on subit de plein fouet cette réalité : la rhétorique protectionniste aux États-Unis a fait chuter les réservations vers ce pays de 40 à 50 %. Les tensions au Moyen-Orient, le conflit en Ukraine, ainsi que les événements en Turquie impactent aussi fortement les flux touristiques.

Ces facteurs créent une contraction du marché touristique, qui pourrait cependant déboucher sur plus de stabilité à moyen terme. Des pays comme l’Arabie Saoudite investissent massivement dans le tourisme durable.

Globalement, la géopolitique crée du chaos et de l’arbitraire, ce qui perturbe l’envie et la possibilité de voyager. C’est une période très difficile dans l’histoire mondiale, et il faut garder en tête la compassion pour les populations qui en souffrent. Pour nous, c’est clair que nous serons impactés, mais cela reste une industrie liée au rêve et à la stabilité, donc la reprise dépendra beaucoup de l’évolution du contexte mondial.

 


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