L’annonce, faite en août 2025, par le gouvernement américain de l’acquisition d’une participation de 10 % dans le géant des semi-conducteurs Intel soulève d’importantes interrogations sur le rôle de l’État dans l’économie de marché aux États-Unis.
Le gouvernement américain a historiquement investi — et parfois pris temporairement le contrôle — dans des entreprises de secteurs stratégiques en réponse à des crises nationales, comme lors de la crise financière de 2008 ou pendant la pandémie de Covid-19. Ces interventions étaient justifiées pour éviter un effondrement systémique aux conséquences catastrophiques, dépassant le simple cadre des entreprises concernées.
Par ailleurs, les investissements publics ont parfois servi d’autres objectifs, tels que le soutien à la politique industrielle ou la protection de la sécurité nationale, catégorie dans laquelle s’inscrit l’investissement dans Intel.
Avant de poursuivre d’éventuelles acquisitions d’actions dans des entreprises technologiques, l’administration Trump pourrait évaluer les inconvénients économiques potentiels de telles démarches. Il se pourrait que privilégier la déréglementation et la réforme fiscale — axes déjà en cours — soit une stratégie plus efficace pour renforcer l’économie américaine.
L’investissement dans Intel
Récemment, pour soutenir cette entreprise en difficulté et l’empêcher de se retirer du secteur manufacturier, l’administration Trump a approuvé un investissement public d’environ 9 milliards de dollars, faisant du gouvernement américain le principal actionnaire d’Intel.
Selon Intel, la participation de l’État sera « passive, sans représentation au conseil d’administration ni droits de gouvernance ou d’information supplémentaires ». Toutefois, le gouvernement devra « voter avec le conseil d’administration sur les questions nécessitant l’approbation des actionnaires ».
Financé en grande partie par le CHIPS and Science Act de 2022, cet investissement poursuit deux objectifs principaux :
- Renforcer la position des États-Unis dans le domaine de l’intelligence artificielle tout en consolidant leur sécurité nationale.
- Soutenir la production de semi-conducteurs sur le territoire américain.
Cette initiative intervient alors qu’Intel subit une baisse de sa valorisation boursière et fait face à une concurrence accrue dans le secteur des semi-conducteurs. Depuis plus d’une décennie, l’entreprise connaît des échecs répétés, entraînant une érosion de sa situation financière, tandis que les actions de ses concurrents comme Nvidia et Broadcom ont largement dépassé celles d’Intel.
Conséquences sur la concurrence
L’investissement dans Intel marque un écart par rapport aux mécanismes traditionnels de concurrence sur le marché libre.
- Un « capitalisme hybride »
Sami Karaca, professeur d’analyse commerciale à l’Université de Boston, considère cette opération comme révélatrice d’un « modèle hybride du capitalisme américain, combinant les principes du marché libre avec des éléments de capitalisme d’État ». Il adopte une position prudente quant aux bénéfices économiques à long terme :
- L’administration Trump a récemment pris des participations dans d’autres entreprises « stratégiquement importantes » et pourrait même créer un fonds souverain.
- Elle exige désormais une part des revenus des grands fabricants de puces, Nvidia et AMD devant reverser 15 % de leurs ventes en Chine pour obtenir des licences d’exportation.
- « Les prochaines années montreront exactement comment ces interventions de Washington vont remodeler le capitalisme américain », estime le professeur.
- Impact sur la dynamique concurrentielle
D’autres analystes voient cet investissement comme un filet de sécurité pour Intel, garantissant implicitement que le gouvernement ne laissera pas l’entreprise faire faillite. Cette protection particulière affaiblit la concurrence.
Jack Salmon, spécialiste en politique économique et fiscale au Mercatus Center, explique :
« Les marchés prospèrent parce que l’échec est autorisé. Quand une entreprise est mal gérée, elle se restructure, est rachetée ou fait faillite, ouvrant la voie à de meilleurs concurrents. La nationalisation partielle d’Intel court-circuite ce processus. Elle fige un modèle défaillant, transférant le coût des erreurs aux contribuables tout en ralentissant l’innovation. »
Certains signes montrent déjà que les capitaux privés commencent à se tourner vers Intel, au détriment des autres leaders du marché des semi-conducteurs, pour des raisons autres que la performance concurrentielle. Dans un effort apparent pour limiter l’impact des droits de douane sur ses activités nord-américaines, le géant sud-coréen Samsung a déjà entamé des discussions en vue d’un partenariat avec l’entreprise.
Si de tels accords peuvent améliorer les perspectives financières à court terme d’Intel, ils risquent de pénaliser les producteurs américains plus performants. Sur le long terme, ces distorsions de concurrence pourraient freiner l’innovation dans le secteur des semi-conducteurs et affaiblir la compétitivité américaine dans ce domaine stratégique.
- Une recherche de rentes contre-productive
Au cours des quinze dernières années, Intel a consacré plus de 2 millions de dollars par an au lobbying fédéral. Ces dernières années, la moyenne a encore augmenté, atteignant 6 millions de dollars annuels.
Si ces efforts ont permis à l’entreprise d’obtenir une subvention majeure dans le cadre de la loi CHIPS, Intel a néanmoins connu un ralentissement économique marqué, avec une baisse de ses revenus, des pertes nettes et une chute de sa valorisation boursière. La récente participation du gouvernement dans Intel ne garantit pas de résultats financiers meilleurs.
Ce type de stratégie envoie un signal négatif à l’ensemble des secteurs industriels, en les incitant à privilégier la recherche de rentes plutôt que l’innovation. L’intervention de l’État sur le marché favorise la dépendance aux relations politiques au détriment de l’amélioration des produits et services, ce qui se traduit par un ralentissement économique et un recul de la créativité industrielle.
- Les risques de la participation partielle de l’État
Une étude de la Banque mondiale menée en 2024 met en évidence des inquiétudes économiques liées à la participation partielle de l’État dans les entreprises, comme le souligne Daniel Di Martino, économiste au Manhattan Institute : « L’analyse a montré que les entreprises détenues à au moins 10 % par l’État présentaient en moyenne une productivité du travail inférieure de 32 % à celle des entreprises privées et étaient plus de 6 % moins rentables. Dans les pays développés, ces entreprises offrent aux investisseurs des taux de rendement inférieurs de près de 5 points de pourcentage par rapport aux entreprises privées médianes du même secteur. »
- Enseignements de l’histoire américaine
L’histoire des entreprises américaines soutenues ou contrôlées par le gouvernement montre également les risques associés.
« De nombreux exemples illustrent ce qui peut mal tourner lorsque l’État prend le contrôle d’une entreprise », explique Di Martino. « La poste américaine, totalement contrôlée par son syndicat, a ainsi généré un déficit de 9,5 milliards de dollars l’année dernière, après un déficit de 6,5 milliards l’année précédente, pesant lourdement sur les contribuables. »
Qu’en est-il des entreprises privées qui profitent des faveurs du gouvernement ?
Prenons l’exemple de Fannie Mae et Freddie Mac. Ces sociétés, bien que privées et cotées en bourse, ont été agréées par le Congrès pour « assurer la liquidité, la stabilité et l’accessibilité financière du marché hypothécaire » en rachetant des prêts immobiliers. Les investisseurs ont supposé que le gouvernement interviendrait pour les protéger de la faillite en raison de leur statut particulier d’« entreprises parrainées par le gouvernement » (GSE). Cette perception a isolé Fannie et Freddie des forces normales du marché, au détriment des contribuables américains.
Lors de l’effondrement du marché immobilier en 2008, ces deux sociétés ont subi d’énormes pertes liées à leurs pratiques de prêts et d’investissement risquées. Pour éviter un effondrement systémique du système financier, le Trésor américain a injecté près de 200 milliards de dollars dans les deux entreprises, qui demeurent sous tutelle fédérale.
Les enseignements à retenir de cette affaire sont clairs :
- La présomption d’un soutien gouvernemental incite les entreprises à prendre des risques pouvant nuire à leur efficacité et à leur compétitivité.
- Les pertes des entreprises soutenues par l’État sont transférées aux contribuables.
- Ces sociétés bénéficient d’avantages concurrentiels artificiels, réduisant la concurrence sur le marché.
L’alternative : réforme réglementaire et fiscale
Pour le meilleur ou pour le pire, l’investissement de l’État dans Intel est désormais acté. Cependant, l’administration Trump pourrait, pour l’avenir, évaluer les risques économiques sérieux que de tels investissements publics peuvent engendrer et privilégier des politiques alternatives. Plutôt que de multiplier les participations dans des grandes entreprises, elle pourrait s’appuyer sur la déréglementation et la réforme fiscale pour stimuler l’économie et renforcer la compétitivité des États-Unis.
Des mesures significatives ont déjà été mises en place dans ce sens :
- Des décrets présidentiels ont engagé l’administration à identifier et, dans toute la mesure du possible, à éliminer les réglementations fédérales et étatiques anticoncurrentielles qui faussent le marché.
- Les négociateurs commerciaux pourraient dynamiser l’économie en poursuivant la suppression progressive des distorsions réglementaires anticoncurrentielles chez nos partenaires commerciaux.
Les réformes fiscales favorables au marché peuvent également renforcer l’économie américaine, en stimulant l’investissement, l’emploi et la compétitivité internationale. Les premières mesures adoptées, notamment la déduction intégrale des dépenses inscrite dans le Big Beautiful Bill de juillet 2025, devraient accroître le PIB américain de 1,2 % à long terme, selon la National Taxpayers Union Foundation. L’administration pourrait également envisager d’autres réformes fiscales destinées à soutenir la croissance, telles que celles recommandées par The Growth Commission dans son rapport de novembre 2024.
Le cadre politique général
L’administration Trump s’est engagée de manière claire à promouvoir une économie américaine plus forte, dynamique et durable.
Dans cette perspective, les stratégies réglementaires et fiscales, déjà au cœur de son programme, méritent d’être poursuivies avec détermination.
En revanche, l’idée d’intégrer systématiquement de futurs investissements publics dans l’arsenal des politiques économiques apparaît pour le moins discutable.
Une contribution de Alden Abbott pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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