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IA, terres rares, souveraineté… Apple rebat discrètement ses cartes pour rester dans la course

IA, terres rares, souveraineté... Apple rebat discrètement ses cartes pour rester dans la course
IA, terres rares, souveraineté... Apple rebat discrètement ses cartes pour rester dans la course

Entre un plan à 470 millions d’euros pour réduire sa dépendance aux terres rares chinoises et des avancées notables dans l’IA embarquée, Apple multiplie les ajustements discrets. Discussions autour de Mistral AI, relocalisation industrielle, stratégie RGPD-friendly : en juillet 2025, la firme de Cupertino rebat ses cartes pour consolider sa position sans renier son modèle.

 

Fidèle à sa réputation de suiveur stratégique qui finit par dominer ses segments (“late but strong”), Apple ne cède rien à l’urgence. Mais plusieurs décisions récentes traduisent une nécessité d’adaptation pragmatique à l’évolution de son marché. Face à la montée en puissance des modèles d’IA, à la fragmentation des chaînes d’approvisionnement, et à une pression réglementaire accrue, Apple adapte sa stratégie pour continuer à dominer — à sa manière.

Sans effets d’annonce tonitruants ni ruptures spectaculaires, la firme privilégie comme toujours des ajustements ciblés, dans une logique de maîtrise discrète.

 

Réduire la dépendance aux terres rares

En mai 2025, Apple a officialisé un accord de 470 millions d’euros avec MP Materials, la seule mine opérationnelle de terres rares aux États-Unis. Ce partenariat vise à fournir dès 2027 des aimants néodyme recyclés — utilisés dans les iPhone, les moteurs de vibration et la recharge sans fil — tout en co-développant une chaîne de recyclage à Mountain Pass (Californie) et une usine d’assemblage à Fort Worth (Texas).

« Les matériaux de terres rares sont essentiels à la fabrication des technologies avancées, et ce partenariat contribuera à renforcer l’approvisionnement de ces matériaux vitaux ici, aux États-Unis. », a déclaré Tim Cook, CEO d’Apple, le 15 juillet 2025, en soulignant la portée industrielle de cette relocalisation stratégique.

En parallèle, Apple renforce ses investissements industriels sur le continent européen. Si elle ne figure pas parmi les partenaires formels des programmes européens de recyclage des terres rares, sa stratégie d’approvisionnement local et de durabilité s’inscrit dans une dynamique alignée avec les objectifs communautaires visant à réduire la dépendance aux matériaux critiques — alors que la Chine contrôle encore environ 85 % de la production mondiale.

Voici quelques exemples illustrant la présence industrielle d’Apple sur le continent :

  • Un centre de R&D à Munich, renforcé par un investissement de 1 milliard d’euros en mars 2023 au sein de son Silicon Design Centre, qui mobilise plus de 2 000 ingénieurs pour développer les puces Apple Silicon ;
  • Un approvisionnement massif auprès de fournisseurs européens, avec plus de 20 milliards d’euros injectés en 2022, incluant des leaders comme STMicroelectronics, Solvay, DSM ou Infineon ;
  • Un data center emblématique à Foulum (Danemark), mis en service en 2020, entièrement alimenté par des énergies renouvelables et optimisé pour la récupération de chaleur.

Cette approche d’ancrage local — à la fois aux États-Unis et en Europe — permet à Apple de mieux anticiper la fragmentation géoéconomique à venir, tout en répondant aux nouvelles exigences écologiques et réglementaires en matière de traçabilité des composants.

 

L’IA, une pièce manquante du puzzle

Jusqu’à récemment, Apple est restée en retrait sur le front de l’IA générative, laissant ses concurrents occuper le terrain. Selon Bloomberg, la firme serait en discussions avancées pour acquérir Mistral AI, licorne française devenue championne de l’IA open-source en Europe. Une acquisition encore hypothétique, mais révélatrice de la volonté d’Apple de renforcer sa souveraineté technologique sur un levier devenu stratégique.

Plus concrètement, lors de sa conférence WWDC en juin dernier, Apple a dévoilé Apple Intelligence : une série de fonctionnalités d’IA générative exécutées en local sur les puces M2 Ultra et M3, avec un traitement sécurisé, sans latence, et conforme aux exigences du RGPD.

« Les modèles qui propulsent Apple Intelligence deviennent de plus en plus puissants et efficaces, et nous intégrons leurs fonctionnalités à davantage d’endroits dans chacun de nos systèmes d’exploitation. » a indiqué Craig Federighi, SVP Software Engineering, lors de la WWDC du 10 juin 2025.

Contrairement à OpenAI ou Gemini, Apple ne cherche pas (encore) à dominer le marché de l’IA conversationnelle. Elle vise à renforcer son écosystème fermé, en y injectant de l’intelligence embarquée qui respecte ses standards de confidentialité. 

Apple s’est aussi positionnée en amont sur la formation. En juin 2025, elle a lancé une initiative éducative pour intégrer l’IA embarquée à Swift Playgrounds, son environnement de développement destiné aux jeunes publics et aux établissements scolaires. Des kits de démarrage pour CoreML ont été distribués à plus de 120 universités partenaires dans le monde, notamment en Europe, aux États-Unis et en Corée du Sud. Objectif : créer une génération de développeurs alignés avec les standards maison dès la phase d’apprentissage.

Pendant qu’Apple renforce ses capacités internes, la concurrence s’organise. Meta a lancé en juin 2025 une nouvelle version de son modèle open-source Llama 4, désormais intégré dans WhatsApp, Instagram, et proposé en open-weight aux développeurs tiers. Samsung, de son côté, a renforcé son alliance avec Naver pour doter ses futurs Galaxy de modèles IA embarqués. Dans ce paysage, Apple se distingue par sa méthode : pas de modèle ouvert ni de course à l’API, mais une IA souveraine, embarquée, au service de son écosystème propriétaire.

 

Prendre le temps pour mieux verrouiller

Apple n’a jamais été la première à adopter une technologie. Elle préfère observer les usages, corriger les angles morts, puis imposer une version verrouillée et optimisée. Ce fut le cas avec l’iPhone, la biométrie, les puces M1, ou récemment avec le casque Vision Pro.

En 2025, la logique reste inchangée. L’entreprise multiplie les dépôts de brevets autour de l’IA embarquée, tout en consolidant ses positions sur les semi-conducteurs en 2 nm via TSMC — sans jamais ouvrir ses architectures à des intégrateurs tiers.

Cette stratégie permet à Apple de maîtriser toute la chaîne de valeur, tout en construisant une fidélité client qui dépasse la simple logique produit. Dans un univers où l’interopérabilité devient une norme imposée, Apple parie sur la cohérence propriétaire comme facteur de différenciation.

 

Un contexte réglementaire révélateur

Le Digital Markets Act (DMA) est entré en application en mai 2023, et les premières sanctions ont été prononcées en avril 2025 : Apple a écopé de 500 millions d’euros d’amende pour manquement aux obligations d’interopérabilité. Par ailleurs, l’AI Act, adopté en juin 2025, impose des règles strictes sur la transparence, les usages sensibles et le contrôle des modèles d’IA.

Apple anticipe en revendiquant une IA locale, embarquée, conforme au RGPD — une stratégie qui repose sur des choix techniques clairs, comme l’exécution en local sur ses puces et la non-dépendance aux serveurs tiers — et en renforçant son lobbying à Bruxelles pour défendre ce modèle “privacy-first”.

 

En quelques mois, Apple a repositionné plusieurs pions clés :

  • Un investissement de 500 millions de dollars pour sécuriser sa chaîne d’approvisionnement en terres rares,
  • Une IA embarquée intégrée sans bruit mais avec méthode,
  • Une posture assumée face aux cadres réglementaires européens,
  • Un possible rachat stratégique dans l’IA open-source.

La firme à la pomme ne cherche pas à rattraper le train de l’innovation. Elle construit sa voie, à un rythme qui lui est propre. Et ce tempo lui donne à nouveau raison : entre mai et juillet 2025, le titre Apple a progressé de +6,2 %, porté par ses annonces dans l’IA et les investissements industriels européens. Plutôt que de précéder tout le monde, Apple préfère verrouiller solidement ce qu’elle contrôle — quitte à paraître en retrait, pour mieux durer.

 


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