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IA et marché du travail : la Fed évalue les craintes concernant l’inflation et les risques liés au marché du travail

Fed
Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, donne une conférence de presse après une réunion du FOMC, le mercredi 19 mars 2025. | Source : Getty Images

Alors que les États-Unis s’apprêtent à célébrer la fête du Travail le 1er septembre, le débat sur l’IA et le marché du travail prend une tout autre ampleur. Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a profité du sommet de Jackson Hole pour signaler que le ralentissement du marché du travail s’ajoutait désormais à l’inflation persistante dans le calcul des risques de la Fed.

 

Les marchés ont bien évidemment réagi, y voyant une possibilité de baisse des taux d’intérêt. De leur côté, les travailleurs veulent savoir ce que cela signifie pour l’embauche et les salaires, et comment l’IA va influencer ces deux aspects.

 

Pourquoi la Fed a fait cette annonce ?

Le contexte monétaire est chargé. La Fed subit des pressions pour baisser ses taux alors que la croissance ralentit et que les créations d’emplois sont revues à la baisse. À Jackson Hole, le 22 août, Jerome Powell a reconnu que l’équilibre des risques s’était déplacé vers le marché du travail, ce que les investisseurs ont interprété comme un léger revirement.

Les actions ont rebondi, les investisseurs estimant que la porte était ouverte à un assouplissement dès septembre si les données sur l’emploi et l’inflation s’y prêtaient.

La situation est inhabituelle. Le chômage est faible, mais il est maintenu grâce à un équilibre fragile, avec peu de signes de licenciements généralisés, même si les embauches restent lentes. Toute augmentation des départs, y compris ceux liés à l’amélioration de la productivité grâce à l’IA, pourrait perturber cet équilibre.

Parallèlement, le plan d’action sur l’IA du gouvernement américain place l’IA comme un moteur de la productivité, de l’investissement et des opportunités. Ce plan met l’accent sur l’accélération, les infrastructures et les compétences, et demande aux agences gouvernementales de suivre les impacts sur l’emploi à mesure que le déploiement s’intensifie. Cette orientation politique est importante, car elle encourage les entreprises à adopter l’IA de manière à augmenter la production tout en améliorant l’efficacité.

Sur le front des données, l’inflation pourrait augmenter à court terme, notamment en raison de l’impact ponctuel des droits de douane. L’indice des prix des dépenses de consommation personnelle (hors dépenses alimentaires et énergétiques) a connu sa plus forte hausse en cinq mois, avec une augmentation de 2,9 % en juillet par rapport à l’année précédente.

Ce contraste explique le ton prudent de la Fed. Un affaiblissement du marché du travail n’est pas synonyme de récession, mais il plaide en faveur d’une gestion des risques.

 

Que retenir du sommet de Jackson Hole ?

Jackson Hole est le lieu où les banquiers centraux prennent du recul et relient leurs choix à court terme à des thèmes à long terme. Cette année, le traditionnel rassemblement des banquiers centraux, organisé par la Fed de Kansas City du 21 au 23 août, avait pour thème « Les marchés du travail en transition : démographie, productivité et politique macroéconomique ». L’ordre du jour de la réunion en dit long : la démographie tendue, la diffusion des technologies et la productivité sont désormais au cœur de la politique.

Au cours de la discussion sur l’IA et l’emploi, un message est ressorti : l’IA entraîne une réaffectation des emplois, et non un déplacement massif. Laura Veldkamp, professeure de finance et d’économie à la Columbia Business School, a présenté ses recherches, concluant que seule une petite partie des postes (4 %) repose aujourd’hui sur l’IA pour la plupart des tâches.

Lorsque les entreprises adoptent l’IA, la mobilité interne augmente, avec près de deux fois plus d’employés (15 % contre 8 %) déclarant avoir changé d’emploi en interne au cours des douze derniers mois, si l’on compare les entreprises qui ont adopté l’IA à celles qui ne l’ont pas fait.

Dans le même temps, la perception de la sécurité de l’emploi des salariés ne diffère pas entre les entreprises qui ont adopté l’IA et celles qui ne l’ont pas fait. Ces tendances confortent une vision plus mesurée des perturbations à court terme. Pour la Fed, ces données ne permettent pas de supposer une hausse immédiate du chômage due à l’IA et incitent à observer comment l’adoption de cette technologie interagit avec la productivité et les salaires au fil du temps.

L’opinion publique est en train de changer. Ruth Porat, présidente et directrice des investissements chez Alphabet et Google, s’exprimant lors de l’événement, a présenté les changements intervenus dans le profil des requêtes Google au cours des deux dernières années. Au départ, « de nombreuses recherches se concentraient sur les inconvénients potentiels (“l’IA va-t-elle remplacer…”). Aujourd’hui, les gens se concentrent sur les opportunités positives : davantage de recherches posent la question “Comment puis-je en tirer parti, l’utiliser, en bénéficier ?” »

Le double mandat de la Fed l’oblige à équilibrer des risques parallèles : si l’inflation reste élevée alors que l’embauche ralentit, la politique doit minimiser le risque que la faiblesse de l’emploi se transforme en un ralentissement plus général. C’est la raison pour laquelle les marchés ont entendu dire que des baisses étaient possibles et pourquoi les experts doivent surveiller de près les prochains chiffres de l’emploi et de l’inflation.

Le discours du président de la Fed a indiqué que, plutôt qu’une victoire sur les prix, ce sont les inquiétudes liées au marché du travail qui pourraient conduire à une baisse des taux. Le cadre défini par Jerome Powell est essentiel, et tout assouplissement à court terme des taux d’intérêt sera probablement lié aux conditions du marché du travail plutôt qu’à un changement radical des perspectives d’inflation. Si les gains de productivité liés à l’IA se concrétisent de manière inégale, les négociations salariales pourraient varier d’un secteur à l’autre, ce que la Fed surveillera de près.

 

Que faut-il surveiller à l’approche de l’automne ?

À l’approche de l’automne, trois facteurs sont particulièrement importants. Premièrement, l’IA et l’emploi resteront au cœur des communications de la Fed. Il faut s’attendre à ce que les responsables surveillent si l’efficacité rendue possible par l’IA se traduit par une augmentation de la production horaire et si cela contribue à réduire les coûts unitaires de main-d’œuvre sans entraîner de hausse significative du chômage. Si cette combinaison se maintient, la Fed pourra justifier une politique d’assouplissement progressif liée à la gestion des risques liés à l’emploi plutôt qu’à une réponse d’urgence.

Deuxièmement, il faudra suivre la manière dont l’utilisation de l’IA se répand au sein des entreprises. Les premières données suggèrent que les entreprises qui l’adoptent préfèrent réaffecter leurs employés plutôt que de les licencier. Cela laisse présager une période de réaffectation où les transferts internes et le perfectionnement des compétences auront autant d’importance que les nouvelles embauches.

Troisièmement, il faudra surveiller comment la politique américaine influence les investissements. Le programme d’accélération du plan d’action pour l’IA amplifiera les dépenses et les déploiements d’investissements, ce qui est favorable à la croissance si l’offre de main-d’œuvre et la formation suivent le rythme. Le risque réside dans un déséquilibre du pouvoir de négociation si la concentration du marché permet à quelques entreprises d’accaparer la plupart des gains. La Fed ne définit pas la politique de concurrence, mais elle doit évaluer comment ces dynamiques influencent les prix et les salaires.

À l’occasion de la fête du Travail aux États-Unis, la Fed s’efforce de maintenir l’inflation sur la bonne voie tout en évitant les erreurs inutiles sur le marché du travail. L’accent a été mis sur le risque lié à l’emploi, et l’IA et le marché du travail pourraient être un thème récurrent dans les discours, les projections et les conférences de presse des prochaines semaines. Il faut s’attendre à une approche prudente, à un recours à des données claires et à une évaluation continue de la rapidité avec laquelle l’adoption de l’IA peut stimuler les gains de production sans laisser les travailleurs de côté.

 

Une contribution de Paulo Carvão pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


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